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Boubacar Boris Diop : « L’Afrique est une vaste mosaïque de langues»

Jeudi 12 Mai 2016

Boubacar Boris Diop nous parle d’une entreprise totalement inédite qui met en jeu trois maisons d’édition, en France, au Sénégal et au Québec, dans le dessein de traduire en wolof, de Césaire à Le Clézio, des chefs-d’œuvre de la littérature francophone.


Boubacar Boris Diop : « La seule alternative à la littéralité, c’est une immense liberté. Je crois aussi que chaque texte a son propre rapport à la langue d’accueil. » (Photo : Aurimages/Imageforum)
Boubacar Boris Diop : « La seule alternative à la littéralité, c’est une immense liberté. Je crois aussi que chaque texte a son propre rapport à la langue d’accueil. » (Photo : Aurimages/Imageforum)
L’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop, Laure Leroy, directrice en France des éditions Zulma, et le poète haïtien Rodney Saint-Éloi, qui, à Montréal, est à la tête de la maison d’édition Mémoire d’encrier, créent ensemble la collection Céytu, rayonnant sur trois continents, entièrement dédiée à une langue africaine, le wolof, qui compte 11 millions de locuteurs, d’abord au Sénégal. Quatre titres par an sont prévus. Les premiers choix éditoriaux se sont portés sur Une si longue lettre, de Mariama Bâ, l’Africain, de Jean-Marie Le Clézio, et Une saison au Congo, d’Aimé Césaire. Boubacar Boris Diop répond à nos questions.

C’est une première, cette alliance d’éditeurs pour faire entendre la grande littérature d’Afrique et d’ailleurs dans une des langues de ce continent…

Boubacar Boris Diop La globalisation, c’est une immense scène où doivent s’entrecroiser, et pas seulement se croiser, toutes les identités humaines. Dans ce cas précis, il s’agit de faire en sorte qu’elles se parlent puisqu’il n’est de plus puissant révélateur d’identité que la langue. La violence aveugle, l’errance des migrants et les crispations actuelles disent l’affolement des imaginaires et peut-être cela réveille-t-il chez chacun un désir de dialogue resté longtemps inconscient. Est-ce pour cette raison que Céytu suscite un engouement qui nous surprend quelque peu nous-mêmes ? C’est probable.

Est-ce de concert que vous avez choisi les premiers écrivains publiés ?

Boubacar Boris Diop Bien évidemment. Beaucoup de noms d’auteurs ont été mentionnés au cours de mes premiers échanges avec Laure Leroy. La traduction, particulièrement réussie, d’Une si longue lettre, de Mariama Bâ, existait déjà et nous l’avons reprise telle quelle. L’Africain, récit autobiographique de Le Clézio, d’une grande virtuosité et farouchement personnel, semblait être un gros morceau mais nous nous sommes justement laissé tenter par la difficulté. Quant à la pièce de Césaire, sa version française est archiconnue des Sénégalais qui n’arrivent toujours pas à oublier, comme les autres Africains, l’odieux assassinat de Lumumba. Nous comptons monter Nawetu deret à partir de novembre et la jouer dans quelques grandes villes de chez nous.

Quel type de difficultés peut rencontrer le traducteur qui va « transvaser » la langue française en wolof ? Donnez-nous quelques exemples…

Boubacar Boris Diop Nous parlons ici de deux langues totalement différentes, je m’en étais déjà bien rendu compte en traduisant du wolof vers le français mon propre roman Doomi golo. C’est pourquoi il est hors de question de faire du mot à mot. La seule alternative à la littéralité, c’est une immense liberté. Je crois aussi que chaque texte a son propre rapport à la langue d’accueil. Il y a ainsi une proximité naturelle entre les deux versions du roman de Mariama Bâ, dont la traduction a presque été une remise « à l’endroit » en ce sens que la musique de la langue wolof était déjà quasi obsédante dans la version française. Pour Le Clézio, la grande difficulté a consisté à adapter à notre contexte culturel des tournures typiquement françaises et surtout de donner à comprendre des noms d’objets inconnus au Sénégal. Mais le plus intéressant avec Le Clézio, c’est le titre de son livre, l’Africain, qui est en quelque sorte le piège idéal. En principe, ça doit être traduit par « Doomu afrig » mais cela ne restitue pas l’idée que Le Clézio parle de son père. Il faut donc le préciser mais aussitôt surgit une nouvelle complication. Laquelle ? En wolof, quand vous dites sama baay, « mon père », vous énoncez un fait établi, en toute neutralité, mais quand vous inversez les mots, baay sama, cela devient « mon père bien-aimé » et c’est là un élément essentiel car Le Clézio parle de son père, qu’il ne nomme d’ailleurs jamais, avec une infinie tendresse. J’ai moi-même traduit Une saison au Congo, aidé par ma longue familiarité avec la langue poétique très particulière de Césaire. À cela s’ajoute le fait que, comme toutes les grandes œuvres, sa pièce n’a pas pris une ride, un demi-siècle exactement après sa publication. Je trimais là-dessus quand il est arrivé ce que l’on sait, au Burkina Faso, à Blaise Compaoré. Il reste toutefois vrai que certains passages sont si ésotériques que j’ai dû les laisser « au repos » pendant plusieurs semaines avant de me colleter de nouveau avec eux.

Que représente le wolof sur le territoire de l’Afrique en son entier ?

Boubacar Boris Diop Si je suis africain, c’est parce que je suis wolof comme un autre est kikuyu, yoruba ou joola. Il est temps de se faire à l’idée que l’Afrique est une mosaïque, comme toutes les autres parties du monde, avec ses lignes de fuite et ses points de contact. Je suis d’accord avec ceux qui suggèrent une langue africaine de communication internationale, qui pourrait être le swahili, mais cela ne devrait frustrer personne de son être profond. Et ce qui exprime le mieux cette présence dans l’histoire humaine, c’est encore la littérature, qui n’a rien à voir avec la démographie. Les Grecs, pour m’en tenir à ce seul exemple, sont à peine 10 millions – contre 14 millions de Sénégalais – et cela ne les empêche pas d’écrire, comme les Albanais, les Slovènes ou les Bulgares, dans leur langue, le grec, qu’eux seuls connaissent. De nos jours, tout écrivain ambitieux vise un double public : les siens d’abord, dans sa langue, et ensuite le monde entier à travers les traductions. En somme, la question de savoir pour qui on écrit est devenue obsolète car des millions d’inconnus occupent, qu’il le veuille ou non, l’espace mental du créateur. Mais s’il ne veut pas se contourner lui-même, il ne doit pas en faire son audience première.

Cette collection a été baptisée Céytu. Pour quelle raison ? De quoi s’agit-il ?

Boubacar Boris Diop Céytu est le nom du village natal de Cheikh Anta Diop, où du reste sa veuve, récemment décédée, et lui-même reposent. Cet esprit puissant et indomptable représente tout pour des millions de Noirs, qu’ils soient Africains ou de la diaspora. Nous sommes ses héritiers. Il a fait dès 1954, dans Nations nègres et culture, un travail de traduction que la collection Céytu essaie de perpétuer.

Quels sont les canaux de diffusion dans les pays où la langue wolof est parlée ?

Boubacar Boris Diop Les Sénégalais, qui sont de grands voyageurs, emportent avec eux leurs langues à travers le monde, nous y ajoutons une littérature en wolof florissante mais assez mal distribuée. Aujourd’hui, ils peuvent trouver nos titres dans toute bonne librairie ou bien les commander en ligne.

Quels sont les prochains titres envisagés ?

Boubacar Boris Diop Un ami m’a déjà envoyé une traduction du Petit Prince, de Saint-Exupéry, réalisée il y a longtemps et que je n’ai pas encore lue. Un travail est en cours sur la Grève des bàttu, d’Aminata Sow Fall, et Matigari, de Ngugi wa Thiong’o. Quelques autres idées flottent en l’air et je suis personnellement très tenté par Brecht, plus précisément par la Résistible Ascension d’Arturo Ui. Il suffit de voir où en est l’Amérique avec Trump pour comprendre cette envie !

Humanite.fr


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