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Entretien avec Baye Ndaraw DIOP, Sociologue : « La recrudescence de la violence est révélatrice d’un profond malaise qui traverse la société »

Dimanche 26 Mai 2019

Face à la montée des périls dont la recrudescence de la violence n’est qu’une manifestation, il faut nécessairement travailler au retour des valeurs cardinales fondatrices de la société, et partant réhabiliter la famille afin que cette cellule de base formatrice redevienne le cadre de socialisation de ses membres. C’est le sentiment du sociologue Baye Ndaraw DIOP. Dans un entretien accordé au journal L'As de ce week-end, le Sociologue estime qu’en plus des actions punitives, une panoplie d’interventions préventives doit être déployée dans les différentes sphères où se manifestent les formes de violence pour conjurer ce fléau.


Entretien avec Baye Ndaraw DIOP, Sociologue :  « La recrudescence de la violence est révélatrice d’un profond malaise qui traverse la société »
L’AS : Quelle lecture faites-vous de la recrudescence des meurtres et autres agressions physiques, notée actuellement au Sénégal ?

Baye Ndaraw DIOP : Tout d’abord, je veux rappeler que le Sénégal est loin d’être le havre de paix que nous claironnons à tout bout de champ. À la bonne école de leurs parents, nos garnements sont le fruit de notre société, telle que nous refusons de l’admettre. La société sénégalaise étant une société patriarcale, c’est-à-dire fondée sur la prédominance de l’homme sur la femme et les enfants, légitime le droit pour les hommes d’être violents envers les femmes et explique la tolérance de la violence masculine aussi bien sur le plan individuel que sur le plan institutionnel.

Les jeunes sénégalais savent être si violents qu’ils  surprennent dans leur passage à l’acte tous ceux qui n’ont pas le regard exercé à décoder ce que les adultes exposent au quotidien devant nos tout-petits: violence physique, verbale, psychologique, sexuelle, culturelle, médiatique, socioéconomique, religieuse (prosélytisme, fanatisme), etc. Ainsi, à l’instar de tous les pays du monde, notre pays n’échappe point à l’omniprésence de la violence à l’échelle quotidienne et historique. À tous les niveaux, la violence est là et nous la subissons de plein fouet.

Nos politiciens qui s’insultent à l’Assemblée nationale, en pleine rue ou sur les plateaux de TV, les jeunes marchands ambulants qui menacent de se muer en agresseurs si on ne les laisse pas envahir la chaussée, etc., même nos ruraux qui d’habitude se cognaient à coups de coupe-coupe pour le sourire d’une dulcinée font à présent dans les brassards rouges et écument les médias pour un oui ou pour un non.

On se demande pourquoi tendre un micro à quelqu’un qui revendique des futilités, sous la complicité du journaliste qui n’hésite pas à chauffer la foule et inciter les protestataires. La parole est accaparée, prise en otage par ceux qui n’auraient jamais dû parler, tant ils démontrent par leurs discours toute la profondeur de leur ignorance ou de leur méprise. Voilà le tableau peu reluisant qui s’offre à nos yeux et à nos oreilles. « La violence englobe des actes qui impliquent des tourments ou des souffrances d’ordre physique, mental ou sexuel, la menace, la contrainte et autres privations de liberté ».

À votre avis, quelles sont les causes profondes de ce fléau pernicieux et préoccupant ?

Le contexte socio-économique très difficile, le chômage endémique favorisent la pauvreté, le désarroi des populations, entrainant par la même occasion la souffrance dans l’espace familial, institutionnel et communautaire. Le traitement inégal, selon le sexe, entraine également une tendance accrue de la violence et de l’instabilité au sein du couple et de la famille. La violence au Sénégal est d’abord verbale. On ne se parle plus car on s’assomme à coup de mots, toujours plus durs, encore plus vulgaires et toujours plus dénués de sens. C’est le fameux « Dooranté sciences ». Les plus écoutés, les plus lus, sont ceux qui n’ont rien à dire car bâtissant leurs propos en colportant. On les appelle « PEOPLE », les radoteurs qui ragotent.

La presse ne nous informe plus, elle nous met au courant. Tiens, l’ex-femme de l’autre qui retrouve ses photos nues sur un site porno sénégalais, c’est ça la «Une». Le peuple sénégalais est infantilisé, ne pouvant pas penser par lui-même. Notre société est inédite, elle est à la fois traditionnelle et moderne, féodale et capitaliste, islamique, chrétienne et laïque. La violence par l’image, c’est aussi ça la promotion de la pornographie. Ou alors c’est le marabout « ami des Djinns », qui promettait facilités, monts et merveilles à ses clients et clientes, qui se retrouve derrière les barreaux, et on en fait un sujet pour la revue nationale de presse. Le peuple sénégalais est infantilisé, ne pouvant pas penser par lui-même.

Comment se manifestent les conséquences de ce fléau au sein de la société, et particulièrement les familles ?


Les actes de violences (coups et blessures volontaires, viols, insultes, etc.) faits aux personnes vulnérables sont révélateurs d’un profond malaise qui traverse la société. Les personnes vulnérables (femmes, enfants, personnes âgées, handicapés) sont victimes quotidiennement des pires formes de violence. La légitimation de la violence et le sexisme empêchent la dénonciation de ce fléau. Les victimes souffrent de différentes formes d’oppression et d’exploitation. L’oppression maritale, les sautes d’humeur de leur mari, le silence d’être battue, l’oppression de la maternité avec des gestations répétées qui usent le corps, l’oppression socioculturelle : les femmes devant accepter les caprices de leurs maris (clef du paradis), les brimades, la répudiation, les sarcasmes, etc.

Les formes de violence les plus connues sont : les drames conjugaux, les mariages précoces, les mariages forcés, les coups et blessures volontaires, les mutilations génitales féminines, les insultes, le harcèlement sexuel, etc. La famille qui est l’instrument privilégié de conditionnement social, une communauté affective spirituelle intégrale porteuse de valeurs telles que : l’honneur, le courage, le dévouement, le don de soi, l’estime de soi, l’esprit de sacrifice, l’amour de la vie, la solidarité, cette famille-là est fortement affectée par la rapidité de l’évolution et les changements socio-économiques.»

Quelles solutions préconisez-vous pour juguler ce phénomène?

Voyez-vous, on ne le dira jamais assez : les conséquences de ce fléau sont vraiment désastreuses. Il ne se passe pas un jour sans que l’on apprenne à travers la presse des cas de meurtres, mutilations,  démoralisation, déshumanisation, de perte de la confiance en soi, de perte de l’estime de soi, d’aliénation, de dislocation familiale avec son cortège de malheurs. C’est devenu quelque peu une banalité car on s’en émeut pendant quelques jours puis on passe vite à autre chose. Ce n’est pas la meilleure manière de combattre un tel danger. Sous ce rapport, je pense à une approche holistique qui intègre plusieurs dimensions. D’abord, il faut que l’on retourne aux valeurs familiales, sociales, culturelles, religieuses qui ont cimenté notre société.

La famille, qui est l’instrument privilégié de conditionnement social, doit retrouver sa place. En réhabilitant la famille, on lui permet de redevenir le cadre de socialisation de ses membres qu’il ne devrait jamais cesser d’incarner.

Puis, en sus de la sensibilisation du cercle familial, de l’opinion publique et des décideurs sur les conséquences néfastes de la violence, il faut renforcer les interventions préventives dans les différentes sphères où se manifestent les formes de violence. Il faut en ce sens mener des actions sociales pour contrer les violences faites aux femmes, créer des cadres d’accueil pour les femmes victimes. Il urge d’encadrer les victimes par l’accompagnement judiciaire, de combattre les barrières socioculturelles et de mettre un terme à l’impunité. Enfin, aussi bien les victimes que les auteurs ou les témoins  de la violence, tout ce monde a besoin d’une aide, de soutien,  ou de traitement adapté pour mettre un terme à ce cycle infernal.

Entretien réalisé par Galaye SENE

 


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1.Posté par Tintin le 26/05/2019 21:59
Constat lucide et sans langue de bois de la société Sénégalise ....dont la presse et la télé sont d'une nullité affligeante ....

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