Connectez-vous
NDARINFO.COM

Accueil
Envoyer à un ami
Version imprimable
Augmenter la taille du texte
Diminuer la taille du texte

HISTOIRE DU NAIN BOITEUX (3)

Samedi 23 Février 2013


Lorsque Ndiaga Niaaw lui avait parlé de son projet de mariage, il avait d’abord sursauté puis avait ri dans son for intérieur, se disant que la folie du nain était désormais sans limites. Mais vivant sous la coupe et dans la crainte du nabot et pensant aussi à tout le bénéfice qu’il pourrait tirer de cette affaire si par miracle elle s’avérait concluante, le cynique Samba Linguère s’était engagé à entreprendre les démarches préliminaires auprès du père de la belle Coumba. C’est ainsi qu’un vendredi après-midi, après la prière rituelle à la grande mosquée de Pikine, l’ancien chauffeur de taxi s’était rendu chez le vieux Mody Sakhanokho passablement surpris par cette visite inopinée. En quelques mots, l’émissaire du nain avait exposé les raisons de sa présence et exigé de recevoir une réponse avant de repartir.

Pour finir, Samba Linguère avait remis au vieil homme qui l’avait écouté sans broncher, une liasse de billets de banque tout neufs offerts par Ndiaga Niaaw et dont une bonne partie avait bien sûr pris le chemin des poches de son kaftan. Le vieil homme qui n’en avait sans doute plus ressenti la douce texture depuis fort longtemps, fut tout ému de caresser les billets lisses et froufroutants qui lui avaient été glissés dans la main. Lorsqu’il eut compris quel était l’objet de la visite de Samba Linguère, le vieux Mody Sakhanokho avait d’abord failli tomber à la renverse et avait ressenti comme une piqûre au niveau du cœur pendant qu’une bouffée de chaleur l’avait envahi de la tête aux pieds. Un flot d’indignation et de dégoût avait submergé son être tout entier et un grossier juron était remonté du fond de ses entrailles : « gnamokhodé ! », « sale bâtard ! ».

Mais l’injure n’avait pas franchi la barrière de ses lèvres. Une peur instinctive l’avait refoulée, l’empêchant d’éclater comme une bulle sonore en plein air, telle la poudre sèche expulsée de la gueule du fusil de chasse ! Semblable en cela à tous les habitants de Pikine, la seule pensée du nain avait suscité une peur inexplicable chez le vieil homme. D’autre part, le froufroutement des billets de banque qu’il froissait continuellement dans sa main lui procurait une agréable sensation de bien-être et de réconfort qu’il n’avait plus éprouvé depuis il ne savait combien de temps.

Il se ravisa donc et garda le silence un long moment, en proie à une foule de sentiments contradictoires et certainement douloureux. Puis, prenant la parole d’une voix mal assurée, presque blanche mais qu’il s’efforçait de rendre ferme, il s’adressa à son interlocuteur qui l’avait observé en silence : « Samba Linguère, je te remercie pour ton initiative et te fais savoir que… que je suis très… honoré par cette demande en mariage que m’adresse l’honorable Ndiaga Niaaw…J’en parlerai à Coumba Sira dès qu’elle sera de retour à la maison, mais d’ores et déjà tu peux donner à Ndiaga Niaaw l’assurance que la main de ma fille lui est accordée… ». Ayant dit ces mots, Mody Sakhanokho se tut et avala sa salive à grand ‘peine. « A la bonheur ! Toi au moins tu es un homme intelligent et pratique qui a le sens de ses intérêts !... » approuva bruyamment Samba Linguère d’un ton où perçait une ironie mêlée de commisération. Il était aux anges et jubilait d’avoir réussi à convaincre sans difficultés le père de Coumba. Il allait pouvoir annoncer la bonne nouvelle au nain qui, à coup sûr, en serait plus qu’enchanté ! Satisfait d’avoir accompli sa mission avec succès et, opportuniste comme il l’était, Samba Linguère décida de rester savourer les trois « normaux » de thé qu’était en train de préparer le fils cadet du vieux Mody. (à suivre…)