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Lettre à l’auteur des Confins du silence[1] Par Alpha Amadou SY.

Samedi 21 Février 2015

Mon cher Papis,
 
Je m’excuse  de ne pas t’appeler El hadj quand bien même je n’occulte pas ni ne minore ton séjour aux Lieux Saints! Donc  c’est à dessein d’autant que tu sais que ce n’est pas blasphématoire, et c’est même plus correct. Ce n’est sans doute pas à toi que j’apprendrai que le titre de El Hadj était réservé à ceux qui sont en projet, sur le chemin de la Mecque.  Tu conviendras avec moi que c’est uniquement par cette quête de prestige et d’aura, aux accents traumatisants chez nos compatriotes, que le titre a subi  cet élargissement sémantique qui lui fait intégrer, pour la vie, celui qui  s’est déjà acquitté du cinquième pilier de l’islam. Je  sais que  toi, avec ton effacement légendaire et ton combat quotidien contre toutes formes de tartufferie, tu n’es pas dans ce jeu. Alors, je m’autorise, en toute liberté, d’en revenir à l’orthodoxie. Et Papis m’est  moins  protocolaire, plus familier et plus expressif de cette immense estime qui inonde notre intériorité.
Toi, le poète qui n’en est pas un :
 
Je ne suis pas poète
Mais j’aime l’harmonie des couleurs et du silence
 
Et le mot est lancé pour  s’incruster dans les méandres de ta puissante production: silence. Et la tentation a été grande de te surnommer : le poète du silence ou le locataire du silence! Pas que tu n’habilles pas tes sentiments et ressentiments par des mots! Le cas échéant ta pensée nous serait inaccessible. Mais t’as choisi d’écrire sur le blanc des lignes. Tes écritures invisibles entre les lignes visibles livrent dans un silence sublime ton message éloquent si tant est qu’on  apprend avec Lacan que le silence  est bruissant de paroles. Ou alors  qu’on s’exerce avec Louis Althusser à une délicate lecture symptomale dans laquelle l’essentiel  s’identifie dans le non-dit. Ou peut-être  encore te mettre au divan en y convoquant Freud!
La conscience de l’innocence, conjuguée à l’intensité de ta foi, alimente ton espérance  en démultipliant tes capacités de résistance. Cette posture te permet  de revisiter ton séjour carcéral en triomphant de la haine et de l’amertume.
 
Imaginez ! Un univers de clés et de serrures
Qui scratchent à intervalles réguliers
Du matin au soir
Dans un espace clos où la nuit est noire avant la nuit
Nul horizon !
 
En récapitulant par  l’élément de la pensée et par la vertu des mots l’isolement du monde, 128 jours durant, tu réalises, à la fois, l’atrocité de l’épreuve et la grandeur née  de la privation :
 
J’ai oublié la dimension des choses
Leur parfum leur couleur
J’ai oublié la saveur d’un baiser
Le nom de l’amour le rire cristallin de mes enfants
 
Et le paradoxe en est que ta liberté et ta créativité dans les sinistres lieux ont triomphé d’une captivité d’autant plus révoltante qu’elle s’est avérée arbitraire. Tes mouvements physiques limités ont donné libre cours à ta verve et à ton verbe. La magie des mots a opéré. Des mots avec lesquels t’as noué  un lien dont l’apparence ludique cache une immense charge thérapeutique. Et les mots sculptés avec la patience de l’orfèvre se sont enveloppés d’une sonorité que tisse une musique qui n’est pour déplaire ni aux yeux ni au cœur :
 
Silences brisés
Mots libérés…
Mots sensuels
Sublimes subtils
Plus loin :
 
  Là haut rien ne luit nuit noire
 
Et pourtant, cette quête esthétique qui fait sens dans la création poétique n’est pas, loin  s’en faut, une fin en soi. Et tu l’as dit : « Il ne s’agit pas  d’écrire pour écrire encore moins de faire de la poésie gratuite. Il faut donner du temps au temps pour bien trouver l’harmonie et la musicalité afin que les choses ressenties, conçues et exprimées par le poète nous touchent, nous plaisent, nous émeuvent ! »
 
Tu ne t’es pas contenté de le proclamer, tu l’as assumé! Moi si habitué au mouvement des concepts et fort étranger à l’univers des alexandrins et assonances, je demande bien si la catégorie de vérité est recevable dans ton univers énigmatique de poète! Mais je ne peux m’interdire de penser que ta création est travaillée, de part en part, par une volonté de vérité. Une volonté de vérité qui n’est pas, au demeurant, ipso facto selon une vision nietzschéenne,  une volonté de puissance. Ta volonté  de vérité est plutôt une volonté de paix et cette volonté est impensable sans la volonté de justice sociale :
 
Mais rappelez- vous
Monsieur le juge
Que la nuit la plus noire
Jamais
Ne blesse  à mort
La clarté du jour
Et un jour il fera jour
 
Et voilà que le poète, que tu n’es pas,  s’indigne du comportement des élites. Et imprimant une pédagogie aux mots, tu les interpelles et tu leur rappelles, fraternellement, leur  responsabilité afin de les mettre en demeure d’apporter la contribution qu’on est en droit d’attendre d’elles dans les ruptures fatales que requiert le progrès :
 
Les élites se courbent se cachent
Se taisent se terrent
 Se corrompent se compromettent
S’alignent se débinent
 Se liguent
Se sucrent s’écrèment se régalent
 
Maître des  mots ayant atteint l’acmé à force de privations,  tu promènes ta camera sur  ce monde nôtre des espérances ensevelies, des adolescences abrégées, des libertés confisquées et des rêves en deuil. Et malgré tout, largement adossé sur une  foi jamais prise à défaut, tu  refuses de ne voir dans la grisaille que la grisaille. Tu gardes l’espoir par reconnaissance à l’amour de ta douce moitié. Tu ne sauras abdiquer car tu serais disqualifié et inapte à lui tisser des louanges à la         hauteur de sa dignité et  de sa grandeur  dans la privation :
 
Mais nulle larme sur le filigrane  de ton visage
Inaltérable diamant noir ange sans âge
…Mais nul désespoir dans tes yeux doux d’amande
Primevère que le soleil arrose
Les jours d’offrande
 
Et pour cause :
 
 
Que ta bravoure soit magnifiée
Digne Guer
Que  l’on te tresse une couronne
Belle Linguère
J’inscris tes prouesses
Dans le saint du mémorial
Je te bénis et te  chante
D’un chant primordial
 
Ni  inhibition ni érotisme même pas soft, tu chantes la pureté de l’Amour et les vertus de l’altérité. Et, dans la mesure où l’homme est mi-ange et mi-bête, tu dis par le mot comment, dans l’extase de la sublime altérité, la relation épouse les contours de l’osmose. Alors et alors seulement tu magnifies, avec un talent consommé,  Mélica ; un  hymne  somptueux pour et  à ton «  amie » mais aussi pour et à toutes ces moitiés du ciel qui savent, véritablement,  aimer…pour le meilleur et pour le pire. Cette osmose  se décline en « accords parfaits ! » :
 
Je te cerne tu m’assièges
Je te couvre tu m’habites
Je te tourbillonne tu m’oppresses
Je te profane tu retiens
Volupté purs plaisirs intenses
Soupirs…souffles
Ivresse extase turgescence silence des draps
Accords parfaits !
 
Mais la cause de cette résistance n’est pas réductible à cette volonté forte de persévérer afin d’être dans les conditions de tisser, de mille manières, une couronne  « à l’Inaltérable diamant noir ange sans âge ». C’est aussi, d’une certaine façon, continuer à faire du combat contre l’injustice ton élément, avec cet espoir  que t’as en partage avec tous les créateurs qui préfigurent, à partir des chaos du jour, les signes avant-coureurs des lendemains enchantants. Ainsi de David Diop avec ce grand arbre qui pousse et repousse ;  d’Etienne qui, au-delà de l’héritage immédiat de Henri Pierre Thioune,   revendique,  à sa manière, la mission d’un Lumumba, Kwamé Nkrumah, d’un Amilcar Cabral ; de cet adolescent qui, dans Afrique sunu, parcourt l’Afrique pour reconstituer, sur toile de fond d’une femme en larmes, un continent en lambeaux.
Et mon cher Papis, ce combat tu le portes sans rancœur ni rancune car, à la  manière de Coumba l’aveugle des Bois de bois de Dieu, t’as appris «  à combattre sans haine ». Instruit par l’expérience et par les ravages de l’injustice gratuite, tu as su avec hauteur mais sans faiblesse cultiver la pédagogie du pardon. Et sans doute ce n’est certainement pas la lecture de Maxime Gorki qui t’en dissuadera : « Les hommes dès que tu les comprends, ils deviennent meilleurs ! »
Son puissant message clairement transmis par le révolutionnaire Paul Vlassov, principal protagoniste de son chef d’œuvre La mère, est d’un humanisme dont notre monde sans soleil a si grandement besoin.
Et je sais que ta plume, ton arme, tu continueras ce combat sans atermoiement. Du moins, je l’espère !

 
 
[[1]] Abdoukhadre Diallo, Paris, éditions l’Harmattan, octobre 2014.


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