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Retour sur le livre d’Abdou Latif Coulibaly - Par Ousmane Abdoulaye Barro

Dimanche 14 Septembre 2014

« Les sénégalais sont d’une étonnante passivité et d’une indifférence choquante face au déroulement de leur propre histoire. Le fatalisme de ce peuple qui s’alimente à la source d’une foi biaisée et de certaines traditions anachroniques et insupportables, autorise toutes les dérives au prince et à tous les politiques. »
Abdou Latif Coulibaly, une démocratie prise en otage par ses élites, L’harmattan, 2006, p.209.


Ainsi cédait à la démesure, le célèbre journaliste sénégalais, en se laisser aller à des jugements aussi dépréciatifs à l’endroit de ses concitoyens. En effet, l’auteur fait semblant d’ignorer, du moins dans cet extrait, que la démocratie est une affaire d’élites. Cela est d’autant plus vrai que lui même intitule son ouvrage en ces termes : une démocratie prise en otage par ses élites.

« La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale et la volonté générale ne se représente point : elle est la même ou elle est autre : il n’y a point de milieu. Les députés du peuple ne sont donc pas ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que des commissaires. » L’auteur du « contrat social » ne peut se payer le luxe d’abandonner le peuple entre les mains des représentants subitement dépositaires de la légitimité démocratique. Les décisions politiques, du fait de l’étendue des territoires, ne sauraient être soumises à l’appréciation de tous les citoyens. Il suffit que les représentants du peuple soient issus d’élections pour que le tour soit joué. Seulement, il faut craindre que le jeu politique soit monopolisé par des forces politiques sans prises avec les catégories sociales ou totalement indépendantes de celles-ci. La légitimité dépend des liens qui unissent agents politiques et citoyens. La représentativité des premiers est selon Alain Touraine l’un des trois piliers du système démocratique.

Dans les pays occidentaux, la « crise de la représentation » s’explique par les profondes transformations inhérentes à l’avènement de la modernité. La distance entre les décideurs et les citoyens se creuse sous les effets combinés de grandes mutations au point que le lien politique se délite de jour en jour. « Plus encore, ces sociétés sont définies autant par la consommation et la communication de masse, par la mobilité et les migrations, par la variété des mœurs et la défense de l’environnement que par la production industrialisée, de sorte qu’il est impossible de fonder la vie politique sur des débats et des acteurs qui ne correspondent que partiellement à la réalité présente. » Les partis politiques confrontés au défi de présenter des agendas susceptibles d’emporter l’adhésion des militants et citoyens peinent à être cohérents idéologiquement à cause de la complexité qui caractérise ces nouveaux problèmes.

Les partis politiques continuent à défendre des projets de société mais ils ne détiennent plus « le monopole de l’action collective ». Ce n’est pas qu’ils ne représentent plus des acteurs sociaux mais c’est la nature de cette relation qui s’est modifiée. La définition objective des acteurs sociaux qui donnait sens et teneur à la représentation s’est effritée au profit des revendications axées sur la liberté, les droits de l’homme etc.

Dans les pays africains, plus particulièrement le nôtre, il est difficile de distinguer les responsabilités dans la « crise » que traverse nos institutions. Le journaliste Abdou Latif Coulibaly fustige, dans son ouvrage publié en 2006, « une sorte d’association de ravisseurs » portée à sacrifier le projet démocratique sous l’autel du clientélisme politique et de l’enrichissement personnel. Le phénomène majoritaire, qui loin d’être le problème des démocraties du Sud, est corrélé à des problèmes aussi aigus que la pauvreté et l’analphabétisme. Le parlement fonctionne au rythme de l’exécutif, détenteur exclusif de l’ordre du jour.


L’idée de représentation connote une dimension aristocratique dans la mesure où l’exercice de la souveraineté est confiée à des individus sur lesquels les citoyens n’ont quasiment aucun pouvoir. Pour ouvert que soit le champ de la contestation, cela ne fait pas de la démocratie représentative une démocratie directe. Il faut admettre avec Bernard Manin que le système représentatif comporte des éléments démocratiques comme celui de demander des comptes à la fin du mandat et, au besoin, de sanctionner. Mais la dimension aristocratique du système se traduit par l’élitisme qui empêche d’y voir une représentation pure et simple des citoyens. Appliqué au cas sénégalais, la conception élitiste que propose Antoine Tine révèle la tendance des élites politiques sénégalaises à monopoliser le pouvoir. La logique unitaire apparait comme la stratégie politique la plus partagée par les régimes qui se sont succédé.

Le multipartisme ne correspond pas à un pluralisme encore moins à l’enracinement de la démocratie par la circulation des équipes dirigeantes porteuses de projets alternatifs. Il sert plutôt à créditer un système dont les sources de légitimité se sont épuisées à force de contestations sociales et qui veut renaitre sous de nouveaux habits sans pour autant changer en profondeur. Cette forme de manœuvre connue sous Senghor et Diouf a survécu à la première alternance.

Si l’on s’accorde sur le fait que l’écart entre les citoyens et les représentants est lié à la nature du système représentatif lui-même, il serait inadmissible de présenter « la crise de la représentation » comme une chose nouvelle. Le gouvernement représentatif reste ce qu’il a toujours été : un gouvernement d’élites distinctes de la masse de la population par leur statut social, leur mode de vie et leur culture. A vrai dire, la représentation politique n’a pas été conçue pour réaliser la démocratie mais plutôt pour la contenir.

Ousmane Abdoulaye Barro
PASTEF-LES PATRIOTES
ousmaneabdoulayebarro@yahoo.fr












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