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Riz importé en Afrique : une chaîne alimentaire juteuse

Mardi 15 Octobre 2013

Cinq ans après la spectaculaire hausse des denrées alimentaires, nos Etats africains semblent avoir pris conscience des dangers de la dépendance. Mais les choses ont peu changé dans les faits. A qui profite le statu quo de l’importation du riz au Sénégal et en Afrique de l’Ouest?


Riz importé en Afrique : une chaîne alimentaire juteuse
C’était en 2007-2008, une année avant le septembre noir et la faillite de la banque américaine Lehmann Brother. La tonne de riz qui valait 219 dollars en 2006 est passée de 400 à 1000 dollars en l’espace de quatre mois à cause de la spéculation des producteurs, mais aussi, note un trader ayant pignon sur rue sur la place de Genève, de l’embargo simultané à l’exportation de l’Inde (pour lutter contre sa propre inflation intérieure), du Brésil et de la Chine. A cela, s’ajoute un prix plancher revu à la hausse de manière hebdomadaire par le gouvernement vietnamien. Le tout dans un contexte de panique et d’achat massif Philippin.

Il n’en fallait pas plus pour que le riz brisure 100%, denrée de base du Sénégal, n’ atteigne des sommets, débouchant sur des émeutes de la faim obligeant les pouvoirs politiques à soutenir le pouvoir d’achat par des interventions aussi onéreuses (à la TVA supprimée depuis plusieurs années, s’ajoute la suspension des droits de douane et des subventions indirectes) qu’impuissantes face à la flambée. Bien évidemment, une baisse de 10% des droits de douane ne pouvait pas juguler une hausse de prix de l’ordre de 60%.

Dans le cas du Sénégal, la subvention directe de 5,3 milliards de FCFA, le plafonnement des marges des distributeurs et la mise en place d’un numéro vert au service des consommateurs pour dénoncer les commerçants ne respectant pas les tarifs décrétés, a plutôt abouti à un bras de fer avec l’Etat, sans impact significatif sur le prix final. Au plus fort de la crise, l’Etat soutiendra quelques importateurs pour diminuer la tension entre l’offre et la demande sans parvenir à rétablir les prix d’avant la crise. Où en est-on aujourd’hui ?

Cinq ans après la débâcle de 2007, nos Etats africains, qui importent 10 millions de tonnes de riz par an*, semblent avoir pris conscience des dangers de la dépendance dans un contexte où la denrée prisée n’a toujours pas rejoint son seuil de 2006 (219 dollars la tonne). Dès lors, comment ne pas craindre de nouvelles envolées alors que la Chine est devenue, structurellement, importatrice ?

Si le débat est de mise en Afrique de l’Ouest, les choses ont peu changé dans les faits. Le Nigeria qui a décrété la fin des importations en 2015 occupait toujours la deuxième place des acheteurs nets de riz en 2012. Quant au Sénégal, 13 millions d’habitants, il en est le dixième importateur mondial avec 700 à 900 milles tonnes par an. Pourquoi ce système de dépendance a –t-il survécu à la crise de 2007/2008 ? Hyperpuissance des lobbys locaux imbriqués aux intérêts étrangers ou absence de volonté politique de la part de nos dirigeants ?

La longue chaîne de l’import, qui dégage d’énormes profits tous les ans, entretient encore aujourd’hui des intervenants qui vont du producteur sud-est asiatique, de sa coopérative en passant par le trader international et, en dernier ressort, au soi-disant importateur sénégalais, lequel, trop souvent, achète de la marchandise livrée au port via un tiers détenteur et avec la caution de sa banque. «Ceux qui maîtrisent le processus ne sont ni en Thaïlande ni au Sénégal, mais bien à Genève et dans les grandes places financières », relève un courtier du Global Advisory Services à Genève.

Pour cet autre intervenant, ancien employé de Louis Dreyfus aujourd’hui reconverti dans la production de riz en Afrique de l’Ouest, «l’Afrique est un marché spot » ce qui, estime-t-il, dénote d’un manque d’organisation de la part des Etats importateurs. «Vous dites que le Sénégal est le dixième importateur mondial de riz. C’est comme dire que l’Afrique est la quinzième économie mondiale. Il s’agit d’un chiffre agrégé qui n’a aucune réalité puisque nous avons une multitude de petits acheteurs de riz aux pouvoirs de négociation faibles face aux grands traders et aux coopératives sud est asiatiques bien structurées et encadrées par leurs Etats.

Le riz, un marché à risque

Dès lors que les marchés ouest africains à l’import ne sont pas organisés, les traders et les divers intervenants peuvent jouer sur leurs poids relatifs par rapport à leurs partenaires. «Le marché africain est facile à prévoir, évoluant en fonction de la démographie, des niveaux de stock et de la pluviométrie. Mais c’est un marché à risque », poursuit notre interlocuteur qui requiert l’anonymat.

Les négociants qui achètent à terme limitent leurs risques au maximum en utilisant les informations dont ils disposent. La concurrence est telle que les plus avisés chargent leurs bateaux et mettent deux pays optionnels comme lieu de débarquement. Pour le reste, tout est question d’opportunités de tendances et de retournement de tendances. Les importateurs africains achètent la cargaison à bord, après avoir obtenu le feu vert de leurs banques (crédit documentaire) et souvent à travers un tiers détenteur. La Le nombre de paramètres mis en jeu par le trader au bateau flottant (évolution des affrètements de navires, cours de riz à l’international et dans les marchés locaux, évolution des cours de fuel, etc.) fait du négoce de riz un marché très risqué, à rendement élevé. «Mais, claironne ce courtier londonien, «Il est difficile d’y faire de vieux os ».



Pas de grands feeders de référence mondiale

D’ailleurs, tous les grands noms ont quitté ou pris leurs distances avec ce commerce à l’instar de Cargill, le plus gros trader au monde. La réputation de marché à risques et à problèmes éloigne les feeders de référence et fait prospérer spécialistes chevronnés et aventuriers sans scrupules. Ceux qui ont du succès dans ce commerce sont ceux-là qui ont intégré l’activité du négoce avec la production. Cas notamment de Bagastani (CIC), l’un des meilleurs spécialistes du marché africain, un homme qui est au négoce du riz ce qu’Amanjaro est à celui du cacao, et qui cumule 50 ans d’expérience dans le domaine. Impossible de faire parler cette bible du trading qui confirme ainsi le bouche et motus cousu qui tient lieu de catéchisme du métier.

«Les marchés africains sont cristallisés, plus de concurrence aiderait beaucoup à éviter une prise d’otages des consommateurs par quelques noms qui font la pluie et le beau temps », affirme –t-on à Genève. En attendant, l’absence de planification des importations constitue le beurre des intermédiaires. «Si un Etat africain décide d’imposer un stock de sécurité aux intervenants (cas de l’Egypte avec le blé) , l’évolution des cours de riz sera mieux maîtrisée. Nos marges s’en trouveraient affectées », renseigne –t-on sur le ton de la confidence.

Pour le moment ce n’est pas le cas au Sénégal où l’Etat, afin de décourager le morcellement des acteurs, a introduit un prélèvement de 3% (article 220 du code des impôts) appliqué aux importateurs faisant moins de 1 milliard d FCFA de chiffre d’affaires comme acompte fiscal sur le bénéfice commercial et industriel. «Une telle mesure renchérit à notre avis le riz auprès du consommateur. L’importateur a tendance à répercuter les 3% dans la structure de ses coûts », avertit Ousmane Sy Ndiaye, président de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (UNACOIS). Notons au passage que l’UNACOIS vient tout juste de lancer une centrale d’achat au capital de 100 millions de FCFA.

La centrale d’achat ; une solution efficace

La marge des traders vient s’ajouter à celle de la coopérative à l’export. Ces éléments constitutifs de la structure des coûts s’ajoutent aux coûts de financement bancaire, aux coûts de passage portuaires et au fret. Or les pays africains qui ont privatisé leurs ports, cédé leurs flottes de commerce, n’ont aucune maîtrise de la chaîne de valeur. Ni au niveau du port encore moins au niveau du marché. Aussi, le mécanisme d’urgence déclenché souvent par nos Etats pour baisser les prix consiste à supprimer la TVA et les droits de douane, voir à subventionner les produits importés sans garantie de résultats. La meilleure manière de baisser les prix ne consiste-t-il pas à revisiter toute la structure de la chaîne de valeur ?

En mettant en place une centrale d’achat bien structurée et en réorganisant nos ports (parmi les plus chers au monde), l’on optimiserait les frais financiers (obtention de financements et d’ouverture de lettre de crédit aux meilleurs taux) et on pourrait négocier directement avec les coopératives (économie de 15 à 30%) importatrices. La centrale d’achat permet d’optimiser la gestion de stock, de contrôler la qualité des produits livrés, de piloter le monitoring des besoins du pays en utilisant les instruments financiers d’achat (options et marché à terme) et de lever de l’argent. L’Etat zambien a mobilisé des centaines de millions de dollars sur la base de ses stocks et de ses prévisions de consommation. Le Sénégal pourrait en faire de même en optant pour des achats groupés à travers une démarche de partenariat public-privé.

L’Etat parviendrait ainsi à économiser sans supprimer la TVA et les droits de douane. Ces montants ainsi dégagés iront au renforcement de la production locale, sacrifiée aujourd’hui. «Il est curieux que le riz produit au centre du Vietnam, transporté jusqu’au port de Ho Chi Min, embarqué en vrac dans un bateau pour le port d’Abidjan ou de Dakar, débarqué puis transporté par route à Bobo Dioulasso ou à Saint Louis soit préféré par les populations et soit moins cher que le riz local », s’interroge un opérateur, anciennement sociétaire de Glencore international.



Production locale africaine , la voie d’avenir


La production locale sénégalaise peut-elle être rentable ? Cette préférence du riz importée, obstacle désigné de la production locale, peut-elle s’inverser ? La réponse à la première question est simple.Toutes les études menées (voir tableau) sur le rendement à l’hectare, les coûts de production placent le Sénégal parmi les pays producteurs les plus compétitifs. Cela quoique dans un contexte de cherté de l’énergie. Quant à la deuxième question (la préférence du riz importé), elle dépend des modes de vie et des habitudes entretenus par des préjugés tenaces sur le riz local. Quoique des rizeries modernes permettent aujourd’hui de transformer le paddy dans les mêmes conditions que le riz thailandais ou vietnamien, en proposant plusieurs qualité en fonction du pouvoir d’achat, le riz local reste relégué au rang de sous produit, notamment à Dakar.

Incohérences dans la production locale

La production locale représente 200 000 tonnes de riz paddy, soit 140 000 tonnes de riz local. L’objectif du gouvernement est d’arriver à 1 million de tonnes à l’horizon 2015 dont 800 000 tonnes produites à travers la riziculture irriguée. L’Etat sénégalais fait de l’autosuffisance alimentaire son cheval de bataille. Mais l’on relève toujours quelques incohérences par rapport à cette option. Les incitations fiscales sont plutôt accordées aux investisseurs qui réalisent 80% de leurs chiffres d’affaires à l’export. Etonnant. Ce n’est pas tout, alors que les producteurs asiatiques bénéficient de subvention sur l’énergie, l’eau et les fertilisants, dans la vallée du fleuve Sénégal, les mécanismes de soutiens continuent de faire défaut. Ainsi, il n’y a pas de subventions sur l’énergie au niveau de la production du riz et de l’aménagement (offset). L’urée, qui était subventionné à hauteur de 50% entre 2006 et 2011 et vendu au prix de 6 000 FCFA se négocie désormais à 9 000 FCFA. Si le DAP a baissé effectivement, la quantité disponible couvre à peine la moitié des besoins. L’on retrouve la problématique de l’ énergie à travers la transformation du riz local. «Il y a des charges mensuelles fixes pour l’électricité. Que vous travailliez ou pas, vous vous acquittez de 250 000 FCFA par mois. Dans ces conditions, le riz local vendu à 12 5O00 carreau usine (12 500 pour le riz entier) peut-il être compétitif, et générer assez de revenus pour un saut quantitatif et qualitatif ?


Des mesures qui peuvent casser la dépendance

-La mise en place d’une centrale d’achat, confiée au privé mais encadrée par l’Etat, permet à un pays de planifier ses achats, de disposer de plus de pouvoirs de négociations auprés des fournisseurs, de contrôler la qualité et de profiter des nombreux systèmes de financement libellés sur les stocks et les consommation futures. Pour le Sénégal, cela reviendrait à raccourcir la chaîne d’approvisionnement, à disposer d’un stock de sécurité (amortisseur des chocs externes) et à harmoniser les prix pratiqués dans tout le pays. L’efficacité du système passe par la réforme complète de la chaîne logistique pour réduire le temps de transit portuaire et les délais de livraison des marchandises.

-L’incitation à la production et à la transformation locale, avec une fiscalité adaptée et des mécanismes de soutien bien étudiés (énergie, engrais et fertilisant) serait de nature à augmenter la production et, in finé, à participer à l’équilibre de la balance de paiement du pays.



*Le contexte de l’enquête


Cette enquête, finaliste de « THE AFRICAN STORY CHALLENGE» à travers une sélections de plusieurs centaines de dossiers, est réalisée avec le concours de l’African Media Initiative (AMI) et l’International Center for Journalists
(ICFJ). la version anglaise de cette enquête est disponible sur www.financialafrik.com.


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