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« Théâtralisation de la ville de St-Louis dans les romans : une contamination des genres » - Par Papa Samba SOW "Zoumba"

Vendredi 27 Juin 2014

Bonjour Mesdames et Messieurs.
Nous engagerons naturellement cette communication en remerciant les principaux organisateurs de ce colloque, l’Université Gaston Berger de St-Louis et le Lawrence University du Wisconsin, de nous avoir fait confiance au point de nous associer à cette aventure scientifique déjà amorcée l’année dernière sous la forme d’une riche table-ronde.
Si dans les titres et thèmes de nos écrits on retrouve souvent les bases d’une universalité, il faut avouer qu’il nous est régulièrement reproché, à nous autres écrivains de St-Louis, de proposer des ouvrages pas suffisamment neutres parce que révélant notre trop grande fierté d’appartenir à cette ville.
Nous voici contributeurs pour une archéologie de la littérature écrite saint-louisienne, laquelle dans son antériorité pluriséculaire, influença non seulement la région, mais aussi le Sénégal et même d’une certaine manière l’Afrique francophone. Ville coloniale, St-Louis fut le reflet de la conscience nationale et africaine, le creuset des aspirations conscientes ou inconscientes de l’âme de nos peuples.
On sait déjà que les premiers auteurs de Saint-louis et de sa région convoquèrent régulièrement l’histoire si l’on en croit dés 1912 Amadou Dugay Clédor Ndiaye dans La Bataille De Guilé, puis en 1913 Les Baoulés d’Outre-mer et Les Trois Volontés de Malick, d’Amadou Mapathé Diagne, l’Histoire des Familles du Fouta Toro d’Abdoulaye Kane, Les Chemins du Salut de Masylla Diop (1923), Force Bonté de Bakary Diallo (1926) et tant d’autres encore.
Ceci étant donc un principe acquis, presque un postulat, il nous est apparu plus pertinent de traiter plutôt du cheminement de cette littérature. Comment l’écrivain Saint-louisien s’y est-il donc pris pour devenir un des rouages vitaux de notre système collectif ? L’hypothèse que nous formulons est que les auteurs saint-louisiens, plus ou moins influencés par le théâtre, ont alors personnifié leur espace géoculturel en s’en appropriant le cadre infrastructurel et la superstructure. Dans des écrits-témoins et de divers âges, on peut envisager d’analyser comment la ville y devient toujours un élément actant, qui parle, qui s’anime, qui propose des règles ou qui solutionne ; une ville qui dépasse le simple décor immuable, une ville qui joue, une ville rejouée, c’est à dire écrite avec sa tête, son tronc et ses membres.
Notre propos ne sera guère spécifiquement de vous entretenir d’une « saint-louisianité » de notre littérature, mais seulement de rechercher les marques d’une contamination des genres. En d’autres termes, le sujet suggère que nos auteurs seraient donc partis du théâtre pour écrire des romans, qu’ils auraient régulièrement habillé les formes géographiques d’une ville, lors considérée comme un énième personnage, élément actant.
Peut-être suis-je personnellement influencé par ma formation de metteur en scène et par ma longue pratique des scènes de théâtre. Quand je lis les livres d'auteurs de la place, je constate que St-Louis y est appréhendé comme un véritable personnage, bien caractérisé et assez dynamique. Et puisque la mise en scène contemporaine, s’émancipant des principes classiques, recherche de plus en plus la mise en espace de textes non dramatiques, nous pensons qu'il peut-être instructif d'étudier cela en laboratoire. Tel est simplement l’enjeu.
1. Théâtre et théâtralité
Pour définir le théâtre, nous allons citer directement feu le Professeur Mwamba Cabakulu : « le théâtre est la représentation spectaculaire et solennelle d’un aspect ou d’un fait majeur de la vie d’un peuple … Les historiens du théâtre africain ont démontré que l’Afrique précoloniale offrait des manifestations qui sont du théâtre authentique »
Cabakulu Mwamba : « quel théâtre africain pour le 20e s », in De l’Instinct Théâtral : Le théâtre se ressource en Afrique ; Harmattan, 2002 ; p27
Quant à la théâtralité, c’est au départ une sorte de jargon signifiant la qualité ou un ensemble de qualités propres au spectacle joué sur scène par des acteurs. Pour faire plus simple, nous ne chercherons pas si loin une définition de la théâtralité. « La théâtralité, c’est le théâtre moins le texte » nous dit Roland Barthes dans ses Essais Critiques. Ainsi énoncé, cela semble assez bien résumé mais le détail devient plus complexe si avant le visuel du spectacle nous nous intéressons à la théâtralité même du texte.
2. Eléments constituants de la théâtralité du texte
Dans la conception aristotélicienne du théâtre, il y a invariablement ce fil logique allant de l'exposition du conflit aux nombreuses péripéties jusqu'au dénouement ultime- du prologos à l’episodus. Le texte théâtral contient nécessairement ces deux parties distinctes que sont le dialogue et les didascalies. Son analyse permet d’y déceler d’autres éléments dynamiques comme les ressources d’une spatialité, l’action, la mimesis (imitation du réel, représentation artistique du réel par le jeu), l’écriture au temps présent, le travail sur le langage.
3. Similarités et accointances des genres
a) Caractérisation des personnages
Les titres des romans évoquent souvent la scène théâtrale en mettant en évidence des protagonistes (Nafi – Mademoiselle – les anges blessés, Le Gouverneur de Diorbivol – Itinéraire d’un Saint-Louisien …)
Dans St-louis du Sénégal : Palimpseste d’une ville, on peut lire à la page 41 :
« …Ces narrations historiographiques de st-louis ne sauraient échapper à des procédés de fictionalisation. Avant même que le roman, la photo ou le film ne s’en emparent, le monde saint-louisien s’est en quelque sorte constitué et affermi en se racontant ou en se représentant avec plus ou moins d’exactitude les intrigues de ses grands ou moins grands personnages»
Ceci nous conforte dans l’idée selon laquelle le romancier saint-louisien agit en un précieux historiographe des annales de son temps et en un hagiographe élogieux des ses grands personnages.
Quant à la ville elle-même, elle n’est pas seulement le théâtre des actions, elle est aussi un élément actant : Le plus souvent elle se nomme « La rumeur » ou bien elle devient matière (eau, le pont) avec des couleurs (bleu blanc rouge) et elle se meut. Dans les Anges Blessés, l’auteur fait de St-Louis un réel axe de parole : « Elle est belle St-Louis, de la beauté liquide de sa mer et de son fleuve. Son fleuve aux tons changeants qui passe capricieusement de la teinte quiquéliba de l’hivernage au ton azur des mortes saisons ….. mais elle parle trop St-Louis, et fait trop parler ses âmes »
b) Espace :
Dans les romans des auteurs de st-louis, la ville est géographiquement organisée en une vaste scène de théâtre, tant qu’on a l’impression que la photographie (aérienne) de St-Louis leur est un support d’écriture. Et selon le livre le proscenium peut valablement se situer à chaque point cardinal, tantôt vers la longue plage de la Langue de Barbarie, tantôt du côté des entrées par les routes de Dakar et Mauritanie.
D’ailleurs à la page 16 de l’ouvrage anthologique de l’Académie Zoa, la romancière Aminata Sow Fall nous précise que St-Louis est un théâtre :
« Dans l’intimité des chaumières, prêtez l’oreille à la chanson du talibé. L’image d’un ballet surgira : jeunes filles gracieuses déambulant en lenteur, quelle grâce ! Vous ne rêvez pas. C’est tout St-Louis. Ici le théâtre est inscrit dans l’âme même de la ville comme aspiration innée au bonheur de vivre, dans la splendeur des instants les plus courts, les plus longs»
c) Formes
La disposition régulière en chapitres chasse la linéarité dans l’intelligence du récit. Les différents mouvements des textes sont articulés en tableaux rappelant le schéma actanciel du théâtre (des actes et des scènes). C’est ainsi que l’on tombe sur plusieurs effets flash-back, comme au cinéma.
d) Temps de l’écriture
Le meilleur exemple est à trouver dans notre propre ouvrage Les Anges Blessés, où tout le texte est au présent de narration. Pour d’autres spécimens, on retrouve normalement les temps passés de l’indicatif. Mais l’influence du théâtre est toujours manifeste car les auteurs contournent cet écueil par une floraison de dialogues et une prise en charge particulière des niveaux de langue
e) Langage
On retrouve en constance le même langage théâtral dans le ton du récit, ce «parler-succulent » si cher à l’auteur saint-louisien Cheikhou Diakhité :
« Le parler succulent est un patrimoine, un élément indispensable dans l’évolution sociale de St-Louis. Il revêt un caractère hautement identitaire, tant par sa forme que par son fond…. Le parler succulent est l’expression même de la parole quotidienne où s’étalent à la fois les faits divers et les nouvelles fraîches ». (p 90)
Ce parler saint-louisien typiquement théâtral est régulièrement reproduit dans les romans, lesquels pullulent d’aphorismes bien placés. Ainsi on écrit certes en français correct, normal ou normatif, mais on s’autorise souvent quelques élans du précieux langage ordinaire local, parfois hors de guillemets et parenthèses ou loin des tirets, en fidélité avec le style général de l’ouvrage.
Attention toutefois : Si à St-louis tout ne se joue pas, tout ne s’écrit pas non plus. Dozon continue d’ailleurs son raisonnement en soupçonnant que les créateurs de st-louis se retiennent, qu’ils opèrent une sélection à partir d’une censure. « … Un tel procédé d’autofiction par lequel certaines représentations sont mises en avant aux dépens d’autres, est, me semble t-il, la première marque identitaire de St-Louis » (p 41)
Diakité termine d’ailleurs son roman par ces mots : « Baye Amar Ndir est mort. Que ceux qui savent se taisent » Et Amina Sow Mbaye se croit obligée dans l’épisode à la page 157, de préciser qu’on est dans une mimésis, un simple jeu : « Si l’histoire d’Aida et Ardo était un conte de fées, elle aurait pu se terminer par la conclusion de routine : ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » Avant de se rattraper aussitôt : « Mais elle est bien réelle… ».
Naturellement nos romanciers ont donc toujours mis en avant les éléments qui fondent la cosmogonie culturelle de leur ville, leur patrimoine culturel matériel et immatériel est toujours valorisé : la beauté de la ville, son pont Faidherbe, la grâce des ses dames, les superstitions locales, le génie de l’eau Mame Coumba Bang.
Et sur cette « actrice » précise qu’est Mame Coumba Bang, on constate le même iconoclasme : Certes elle est souvent présente dans les romans, mais elle n’en est point le protagoniste, la fiction romanesque - pourtant d’ordinaire assez libre - n’osant guère s’aventurer assez loin. Les mêmes clichés y sont constamment reproduits, comme s’il s’y appliquait les mêmes tabous religieux de représentations d’images saintes. .
Il est évident que les acteurs de théâtre doivent être visibles pour une représentation physique directe. Qu’à cela ne tienne, le langage du roman saint-louisien s’arrange toujours pour installer des couleurs et de la musique, qui rappellent le coryphée et le dithyrambe du théâtre classique, par des chants en refrains dans plusieurs situations ainsi dramatisées. On trouve une foultitude d’exemples chez Diakité, notamment ce chant d’un locuteur neutre, un chant en voix off et qui revient aux pages 12, 15, 56 et 116. Un choeur théâtral qui tantôt résume tantôt réoriente l’action dramatique :
« O Enfance volée !
O Enfance violée !
Où retrouverai-je le son cristallin
De vos rêves avortés ? »
Ou avec l’auteur Moumar Gueye, de claires didascalies renseignant sur le rythme et l’accent de l’ethnie lébou du Cap-Vert, avec plusieurs essais de traduction. Exemple à la page 48 :
« Sama yaay yaama yonniwoon
Buntu keur Tanta Irma Diagne
Fekknaa xaleya toogandoo
Tann naa sama sënom bu seer
Sënom bu seer summina kaskbaa
Alaboroosam ba neexnamaa »

Ou encore ce chant classique des scouts dans Mademoiselle, aux pages 137 et 138 et 141 :
« Que la route est jolie
Jolie vraiment
Amis vive la vie
Et nos quinze ans »
Vous voyez donc, Mesdames et Messieurs, nous ne traitons que de romans, mais après le chœur lancinant, nous voici carrément dans un ballet théâtral populaire transcrit. Ceci n’est qu’un colloque astreignant à des règles de temps. Par de belles pirouettes verbales, un fin stratège oral aura toujours quelque chance d’y éblouir sans que soit nécessairement garantie la pertinence scientifique de son exposé. Nous espérons susciter et alimenter un intérêt des chercheurs pour un approfondissement de ces questions que nous avons soulevées et vous remercions de nous avoir écouté..

Bibliographie :
- BARTHES Roland: Essais critiques, Paris, Éditions du Seuil, 1964.
- DIAKITE Cheikhou : Nafi ou la Saint-Louisienne ; Ed. Nouvelle Lumière ; 2010.
- DOZON J-P : Saint-Louis du Sénégal: Palimpseste d'une ville ; Ed Karthala ; 2012.
- EFFENBERGER Julius : De l’Instinct théâtral : Le théâtre se ressource en Afrique ; Harmattan, 2002.
- GUEYE Moumar : Itinéraire d’un Saint-louisien ; L’Harmattan ; 2004.
- MBAYE Amina Sow : Mademoiselle ; NEA-Edicef ; 1984.
- SOW Pape Samba : Les anges blessés ;Fama Editions ; 2009.


Pape Samba A. SOW dit "Zoumba"
Ecrivain, Metteur en scène, Musicien et Poète-Conteur
Pdt. du COCON Compagnons-Conteurs du Nord-Sénégal
Dir. Artistique "Cie Zoumba"
Tél: (221) 33 960541 - (221) 77 5428571
site web : http://zoumba.e-monsite.com/


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1.Posté par zulfikar le 27/06/2014 21:41 | Alerter
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