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Un baobab s’est effondré( par Louis Camara)

Dimanche 24 Mars 2013

Un baobab s’est effondré( par Louis Camara)

Lorsqu’un baobab tombe, la forêt tout entière tremble et résonne du bruit de sa chute. Chinua Achebe, ce géant de la littérature mondiale et « père de la littérature Africaine moderne », selon le mot de Nadine Gordimer, a tiré sa révérence ce jeudi 21 Mars à Boston aux Etats-Unis. Le monde des lettres et de la culture africain est en deuil, orphelin d’un écrivain exceptionnel mais aussi d’un homme de conviction qui, sa vie durant, a fait sien le combat d’une Afrique en quête d’une véritable indépendance économique, politique, sociale et culturelle.

« Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours les chasseurs » aimait à dire Achebe, affirmant ainsi clairement ses options idéologiques en même temps que son zèle passionné pour la cause Africaine et la reconstitution de la vérité historique gravement oblitérée par des siècles d’oppression coloniale. Ecrivain engagé sur le double plan de l’art et de la politique, Chinua Achebe n’a cependant jamais fait l’amalgame entre les deux domaines même si, comme il le dit lui-même, son œuvre littéraire n’a jamais été « dépourvue de sérieux ou d’intentions et de desseins politiques ». S’il a réussi à mettre son grand talent d’écrivain au service de ses idées, il n’a pour autant jamais fait montre de prosélytisme dénonciateur ni de militantisme excessif ou tapageur car ayant subtilement fait la part des choses entre ce qui relève du champ de la création littéraire et ce qui s’affilie à l’engagement politique.

Son intransigeance relativement à la défense de ses idéaux politiques (il a en son temps pris fait et cause pour l’éphémère république sécessionniste du Biafra dont il fut même l’ambassadeur) n’a d’égale que son exigence sur le plan artistique et de la création littéraire. Chinua Achebe n’était pas de ces écrivains va-t-en-guerre qui, se croyant investis d’une « mission » à eux dévolue on ne sait trop comment, clament urbi et orbi leur « foi révolutionnaire » et leur « engagement » au service de causes faisant fi de tout ce qui ne s’accorde pas à leurs vues étroites. Chez Achebe, il y a au contraire fusion, et non confusion, entre l’art d’écrire et l’engagement social et politique car, ainsi qu’il l’écrit lui-même « l’écrivain ne peut pas s’attendre à être exempté de la tâche de rééducation et de régénération qui doit être accomplie ».

Loin d’être un simple donneur de leçons, Achebe est un artiste, au sens majeur du terme, un écrivain qui par sa maîtrise du langage, a su donner à son œuvre le sens que lui assignait ses options politiques et idéologiques sans pour autant se départir de ce souci esthétique et de cette démarche artistique qui est la marque des écrivains authentiques.

Témoin attentif de l’histoire de son pays, le Nigeria, mais également acteur lucide et courageux de sa difficile évolution, Chinua Achebe aura, de manière significative, contribué à forger la conscience de l’élite intellectuelle progressiste à travers son œuvre magistrale et par la magie de sa prose incandescente. Depuis le fabuleux « Le monde s’effondre » jusqu’à « Les termitières de la savane » roman de la dénonciation de la corruption, l’écrivain a toujours su insuffler à ses personnages une force intrinsèque qui a permis que soit atteint son objectif suprême : « explorer en profondeur la condition humaine ».

Plusieurs fois cité parmi les écrivains nobélisables, lauréat du « Margaret Wrong Prize » avec « Le monde s’effondre » dès 1959, du « Nigerian National Trophy for Literature » en 1960, du « Commonwealth Poetry Prize » en 1972 et en 1979, du « Prix de la paix des libraires allemands » en 2002, Chinua Achebe n’a pourtant jamais été un « coureur de prix littéraires » ni de quelque autre distinction comme le prouve son refus du titre de « Commander of the Federal Republic » (CFR), l’une des deux distinctions honorifiques les plus prestigieuses du Nigeria, pour protester contre la politique de son pays qu’il jugeait corrompu. Le grand écrivain Nigérian n’a jamais fait cas des honneurs car pour lui seuls comptaient l’engagement au service du mieux-être de son peuple et la poursuite des vérités essentielles à l’équilibre de l’humanité tout entière.

Paralysé depuis 1990 à la suite d’un accident de voiture, Chinua Achebe a néanmoins vécu dans la plus grande dignité avec son terrible handicap physique qui ne l’a pas empêché de poursuivre son œuvre de dénonciation des injustices et de l’oppression en Afrique mais aussi partout ailleurs dans le monde. Jeudi le 21 Mars 2013, le « Chi » de l’écrivain Chinua Achebe a regagné le céleste royaume des ancêtres, il est allé rejoindre Okonkwo le héros du fantastique « le monde s’effondre », son premier roman, qui restera sans doute parmi les plus emblématiques de sa vaste production littéraire.

« Le promontoire au dessus des récifs de corail », celui dont le critique Ernest Emenyonu disait qu’il était « le plus grand écrivain Ibo et l’un des romanciers majeurs de notre époque », le pourfendeur de la colonisation mais aussi des régimes corrompus de l’Afrique indépendante, l’homme au sujet duquel Nelson Mandela s’est plu à dire qu’il faisait « tomber les murs des prisons », est parti en léguant à la postérité une œuvre immense qui continuera d’éclairer la conscience des générations d’Africains actuelles et à venir.

Adieu l’artiste ! Que la terre de tes ancêtres Ibo que tu as tant aimée et célébrée avec passion te soit légère pour l’éternité.

Louis CAMARA Ecrivain,
Enseignant-Chercheur à L’UFR/CRAC, Université Gaston Berger.




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1.Posté par ansoumana le 24/03/2013 20:30
Très bel hommage posthume et magistrale leçon de littérature! Merci professeur Camara, continuez de nous éclairer de vos lumières!

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