Jamais un nouveau virus n’a fait l’objet d’autant de recherches, études, analyses que le SARS-CoV-2 en aussi peu de temps. Mais si les informations s’accumulent depuis fin 2019, des questions essentielles demeurent pour tenter de comprendre à quoi la planète est confrontée. Au début, on imaginait ainsi que ce n’était qu’un simple coronavirus, à l’instar des autres : un peu pathogène, assez contagieux, mais relativement maîtrisable. Tout a explosé. D’une pathologie infectieuse, les cliniciens ont découvert qu’elle se transformait et devenait une pathologie immunitaire, voire ensuite cardiaque. Et le Covid-19 surprend par ses mystères, avec plus de 80 % de personnes infectées sans manifestation réelle, 20 % avec des symptômes plus ou moins importants, dont 5 % iront en réanimation. Ces proportions, depuis plusieurs semaines, n’ont guère bougé. Mais qu’en est-il du reste ? De sa transmission ? Des nouveaux symptômes ? Des porteurs sains ? Ces questions n’ont toujours pas de réponses complètes. «C’est comme un iceberg, on ne voit encore et n’arrivons à comprendre que la partie émergée», nous dit un membre du Conseil scientifique. Tour d’horizon, alors que la France entame sa cinquième semaine de confinement.

Comment le virus se transmet-il ?

  Vendredi 3 avril, Anthony Fauci, directeur de l’Institut américain des maladies infectieuses et membre du groupe de travail de la Maison Blanche, relayé par le président Donald Trump, a semé un trouble planétaire. Le Covid peut-il se transmettre «quand les gens ne font que parler», comme le prétend ce scientifique respecté ? «Tout prend des proportions incroyables quand Trump ouvre la bouche», ironise le professeur Xavier Lescure, infectiologue à l’hôpital Bichat. «Une étude américaine a certes évoqué la transmission par discussion trop rapprochée mais si tel était le cas, on aurait un taux de reproduction de base (RO) du coronavirus proche de celui de la rougeole, sourit Karine Lacombe, cheffe de service des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine. En clair, chaque personne infectée pourrait en contaminer 10. On en est loin. Pour les experts, le taux de RO du Covid-19, sans confinement, se situe plutôt entre 2 et 3.» La professeure Lacombe insiste : «La contamination se fait essentiellement par les gouttelettes, la toux, les éternuements, les contacts manuportés.» Si le directeur général de la santé publique, Jérôme Salomon, évoque aussi le contact avec les surfaces inertes, ce point reste en débat. Karine Lacombe : «Sur les surfaces inertes, nous restons interrogatifs.» Xavier Lescure, prudent : «Les surfaces inertes, c’est un vrai piège caché, probablement le chaînon oublié de la transmission par contact.»
 

Contagieux à partir de quand et pour combien de temps ?

  C’est un point crucial pour casser la dynamique de l’épidémie. A partir de quand et pour combien de temps faut-il isoler les malades pour stopper la propagation du virus ? En la matière, les connaissances se précisent. Dans une étude parue récemment dans Nature, des chercheurs allemands ont démontré que, s’il restait des traces du virus dans le larynx des malades sept jours après l’apparition des symptômes, l’agent pathogène, lui, ne se répliquait plus. «Cela signifie que la personne n’est plus contagieuse, estime la professeure Lacombe. Il y a un consensus pour dire qu’une personne infectée peut être contagieuse un à deux jours avant l’apparition des symptômes, et pendant sept à dix jours après.»
Reste la question des porteurs sains, soit environ 30 % de l’ensemble des infectés. Comme ils ne toussent ni n’éternuent, on estime leur contagiosité très faible. Mais elle n’est pas forcément nulle à en croire les premiers résultats d’une enquête de l’Inserm portant sur 300 patients, lancée en janvier après les premiers cas aux Contamines-Montjoie, en Haute-Savoie : les postillons et excrétions nasales des asymptomatiques contiennent des particules virales capables d’infecter d’autres personnes.
 

Quels sont les symptômes ?

  La palette des symptômes du Covid-19 s’est malheureusement beaucoup enrichie depuis son arrivée en Europe. Si une toux sèche, avec fièvre et fatigue sont les signaux les plus répandus, d’autres, qui n’avaient pas été signalés par les Chinois, ont désarçonné les infectiologues. «C’est un choc, on ne l’avait pas vu venir, dit le professeur Gilles Pialoux, infectiologue à l’hôpital Tenon. Le coronavirus est à l’origine de troubles neurologiques. Dans certains cas, cela se traduit par la perte du goût et de l’odorat. Surtout, 88 % des patients en réanimation ont des manifestations neurologiques, des troubles cognitifs : ils sont perturbés, confus.» Un gériatre de l’hôpital Pompidou : «Si dans la plupart des cas, ces symptômes disparaissent spontanément au bout de sept à dix jours, on ignore encore le degré de récupération des personnes âgées, parfois déjà fragiles.»
 
Autre surprise, «depuis six semaines, on a vu apparaître des acrosyndromes, des pseudo-engelures aux extrémités des membres», signale le professeur Lescure. Un phénomène suffisamment préoccupant pour que le Syndicat national des dermatologues-vénérologues lance le 8 avril une alerte sur des manifestations cutanées liées à l’infection par le Covid-19 - acrosyndromes, apparition subite de rougeurs persistantes parfois douloureuses et lésions d’urticaire
passagères.

Qui est à risque ?
 

Depuis la publication le 24 février d’une vaste étude du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies, le profil des patients gravement atteints s’est précisé. Le professeur Pialoux : «Ce qui me frappe, c’est que les patients admis en réanimation sont souvent diabétiques, en surpoids voire obèses.» Un constat partagé par tous les hôpitaux qui accueillent des patients Covid-19, français comme européens. Et c’est une vraie surprise car les premières remontées chinoises ne documentaient que des facteurs de risque «classiques», comme l’âge et la présence de comorbidités (hypertension artérielle, problèmes cardio-vasculaires, insuffisance pulmonaire, diabète sévère…)
Depuis quinze jours, les travaux de recherche confirment les observations cliniques. Une étude publiée fin mars dans le Journal of the American Medical Association par des chercheurs italiens, portant sur 955 patients décédés, a établi que 35 % étaient diabétiques. «On pensait que seuls les diabétiques sévères étaient concernés. Pas du tout, les petits diabètes le sont aussi. Il nous est même arrivé de découvrir un diabète lors de l’hospitalisation», pointe le professeur Lescure.
 
Le 1er avril, une nouvelle étude chinoise publiée dans The Lancet a confirmé le rôle de l’indice de masse corporelle : sur 383 patients atteints par le coronavirus et admis dans un hôpital de Shenzhen, 42 % souffraient de surpoids ou d’obésité. Conclusion des chercheurs : les personnes en surpoids ont 86 % de chance de développer une forme sévère du Covid-19. Celles qui souffrent d’obésité ont «montré une probabilité de développer une pneumonie sévère 2 à 42 fois plus élevée» que les autres patients. Le danger est réel même pour les patients jeunes : «L’obésité est souvent le seul facteur de risque des patients de moins de 50 ans en réanimation à Bichat», précise le professeur Lescure. Ce que confirme la professeure Lila Bouadma, réanimatrice à l’hôpital Bichat : «On a des patients, jeunes, qui étaient en parfaite santé, avec seulement un problème de poids.» Un phénomène pour l’heure non élucidé. «Peut-être que cela tient aux cellules graisseuses qui laissent passer plus facilement le virus», s’interroge Karine Lacombe. Il est aussi possible que le surpoids amplifie les réactions inflammatoires, induites par la présence du coronavirus dans l’organisme.
Une autre caractéristique des patients lourdement atteints, pourtant signalée dès la première étude chinoise, a pris les infectiologues de court : l’inégalité entre les sexes. «Le coronavirus infecte les hommes et les femmes dans les mêmes proportions mais 80 % de nos patients en réanimation sont des hommes», relève le professeur Lescure. Cette différence de résistance entre les deux sexes n’est pas élucidée. Les hypothèses fleurissent. Les chercheurs s’intéressent notamment au rôle d’une enzyme (ACE2 installée sur le chromosome X), essentielle dans la production d’œstrogènes, connue pour son influence anti-inflammatoire.
 

Comment se déroule l’infection ?

  Le schéma se répète souvent à l’identique. Dans un cas sur cinq, l’infection par le Covid-19 nécessite une hospitalisation pour détresse respiratoire. Une majorité de ces patients gravement touchés présente alors une pneumonie sévère avec atteinte bilatérale, selon l’OMS. La mise sous assistance respiratoire ne suffit alors pas toujours pour surmonter l’infection. Environ sept jours après l’apparition des premiers symptômes, l’état de certains patients s’aggrave brutalement, sous l’effet d’une surréaction inflammatoire du système immunitaire, baptisé «orage de cytokines». Or cet emballement peut être fatal : au lieu de défendre l’organisme contre l’inflammation, les cytokines détruisent non plus seulement les cellules infectées mais aussi les tissus sains des poumons, du cœur ou des reins. Bilan : 20 % des formes graves du Covid-19 présentent des atteintes cardiaques liées à la réaction immunitaire. La professeure Lacombe : «Par rapport aux premières semaines, le changement est spectaculaire. Nous sommes face à une maladie immunologique bien plus que virale comme on avait pu le croire. C’est inédit.» Le professeur Pialoux complète : «A l’instar du premier mort chinois sur le sol français, 10 % des patients en réanimation meurent non pas du coronavirus directement mais de complications pulmonaires et parfois d’embolie pulmonaire. De telles complications vasculaires n’ont jamais été observées avec la grippe ou le Sras.»
 
Le professeur Lescure résume : «L’observation clinique nous a permis d’identifier trois versants de la maladie. Le premier est infectieux, viral. Mais chez un certain nombre de patients graves, l’aspect inflammatoire devient prépondérant après l’emballement du système immunitaire. Le dernier versant est vasculaire : la maladie provoque des dégâts microvasculaires, des thromboses, qu’on suppose liés à l’inflammation, sans avoir de certitudes.»
 

Quand est-on immunisé et pour combien de temps ?

  C’est un point clé, et qui intéresse tout particulièrement le Haut Conseil scientifique, actuellement mobilisé sur les scénarios possibles du déconfinement. En la matière, il lui faut faire avec une bonne nouvelle, une très mauvaise et beaucoup d’incertitudes.
La bonne nouvelle d’abord. Selon une étude de chercheurs allemands sur la réplication du virus dans les voies respiratoires supérieures publiée dans Nature le 1er avril, les malades commencent à produire des anticorps sept à quatorze jours après l’apparition des premiers symptômes, dès lors leur charge virale diminue lentement. «Nous pensons que ces anticorps sont neutralisants, et donc qu’ils protègent d’une réinfection, indique le professeur Lescure. C’est une hypothèse clinique, pas une certitude scientifique. Mais à part quelques cas signalés en Chine au début de l’épidémie qui pourraient n’être que des faux positifs, personne n’a observé de cas de réinfection.»
 
Vient ensuite la grosse tuile. Selon les modélisateurs du Haut Conseil, les Français ne sont pas plus de 10 à 15 % à avoir été jusqu’à présent en contact avec le virus, y compris dans les zones à forte incidence comme le Grand-Est ou l’Ile-de-France. Et cette projection est sans doute encore optimiste : la campagne de tests lancée dans le cluster de l’Oise a conclu à une immunité collective d’à peine plus de 7 %… Dans tous les cas, on est très loin du taux de 60 % de personnes protégées, seuil plancher pour prétendre à cette «immunité de groupe» qui éloignerait le risque d’une deuxième vague de Covid-19. «Sur le plan de la santé publique, c’est très problématique, confirme Xavier Lescure. Une levée brutale du confinement relancerait immanquablement l’épidémie.». Mais à trop tarder, le problème pourrait se corser. Car si un individu guéri est immunisé, on ignore pour combien de temps…
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