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De Dakar à Saint-Louis, une forêt comme rempart contre les assauts de la mer

Vendredi 19 Juin 2020

Reverdir le Sahel (3). Les maraîchers de la côte des Niayes, menacée par l’érosion, bataillent pour préserver la bande de filaos qui fixe les dunes de sable.


De Dakar à Saint-Louis, une forêt comme rempart contre les assauts de la mer
D’un côté, le rugissement des vagues de l’Atlantique. De l’autre, la sérénité des cultures maraîchères à perte de vue sur cette bande littorale étroite des Niayes qui, au Sénégal, relie Dakar à Saint-Louis. Ibrahima Ka observe la frontière entre ces deux mondes. Une étroite bande forestière de grands arbres qu’on prend de prime abord pour des conifères, mais est composée de filaos. L’homme lève les yeux vers leur cime, à 25 mètres. « Sans les filaos pour nous protéger de la mer et de la dune de sable, on ne pourrait plus ni habiter ici ni cultiver nos champs », témoigne celui qui a grandi sur ces terres assez fertiles pour fournir 80 % des fruits et légumes du pays.

Si cette terre de bord de mer est riche, elle est aussi menacée par l’érosion côtière au point que, dans les années 1980, le Sénégalais a dû déménager à plusieurs reprises, chassé par le sable qui ensevelissait les maisons de son village. Pour survivre, Ibrahima Ka s’est mobilisé au sein de l’Union forestière de la commune de Mboro, association créée en 1992 pour préserver la bande protectrice des filaos qui, sur 400 mètres de large, serpente en suivant la zone côtière des Niayes. Résistant, cet arbre tropical est capable de stopper la désertification parce qu’il tolère les sols salés qu’il a même la capacité de régénérer. Mais maintenir la forêt ici, sur les quelque 9 000 hectares classés par l’Etat sénégalais, nécessite un vrai suivi.


Au total, sept unions locales similaires se sont regroupées au sein de l’Association des unions maraîchères des Niayes (AUMN), dans le but de préserver et d’entretenir cette forêt, plantée au départ de Dakar à compter de 1948 et arrivée à Saint-Louis en 1996. Si une partie de la bataille a été gagnée au plantage, financé grâce au soutien de plusieurs partenaires dont l’Agence canadienne de développement international, le combat reste quotidien. D’ailleurs, « la partie nord a disparu sous les eaux à cause de l’avancée de la mer. Et au sud, c’est l’extension croissante de Dakar qui a grignoté la forêt, se désole Mamadou Ndiaye, coordinateur de l’AUMN. Mais nous ne baissons pas la garde. Et la loi interdit les constructions sur cette zone protégée. »
Diversification de revenus

Selon lui, la sauvegarde de cette forêt essentielle passe par une véritable implication des populations locales. « Ce sont elles qui ont la responsabilité d’entretenir, d’exploiter et de reboiser la forêt de filaos, sous la supervision de la direction des Eaux et forêts du ministère », explique le militant, qui refuse que ce travail passe aux mains d’acteurs économiques privés. Ils « n’auraient pas les mêmes convictions, ni la même implication ou les mêmes intérêts », justifie celui qui regrette que l’Etat n’abonde pas davantage ce projet salvateur pour la production agricole du pays comme pour la préservation du littoral.

Au total, dans le pays, 3 000 hectares de terres ont déjà été restaurés grâce à la plantation de près de 2 millions d’arbres. « La durée de vie du filao est de vingt-cinq ans, nous sommes donc obligés de reboiser chaque année », explique Ibrahima Ka, gérant au sein de l’union forestière de Mboro, qui travaille main dans la main avec la direction des Eaux et forêts, chargée de l’évaluation du reboisement et du comptage des filaos. Chaque année au mois de mars, les agriculteurs de la région se retrouvent dans les pépinières autour des arbustes qui seront repiqués, cinq à six mois plus tard, à la saison des pluies. Et il en faut de très grandes quantités puisque chaque lot de 2 hectares compte plus de 3 200 pieds.

Le Sahel en chiffres

5 500 km Le Sahel traverse l’Afrique d’ouest en est. C’est une zone de transition entre le domaine saharien au nord et les savanes soudaniennes au sud, plus arrosées.

3 millions de km2, 10 pays traversés, de l’embouchure du fleuve Sénégal au Cap-Vert. La notion de Sahel est souvent réduite aux cinq pays principaux du Sahel central (Tchad, Niger, Mali, Burkina Faso, Mauritanie).

84 millions C’est le nombre d’habitants qui peuplaient en 2019 ce Sahel central – dont la moitié a moins de 15 ans. La population devrait augmenter jusqu’à 196 millions en 2050 si les taux de natalité actuels se maintiennent.

4 000 C’est le nombre Sahéliens morts en 2019, au Mali, au Niger et au Burkina Faso, selon l’ONU, à la suite des violences djihadistes, mêlées à des conflits intercommunautaires.

5 millions C’est le nombre d’habitants de la zone centrale menacés, cette année, de grave insécurité alimentaire pendant la période de soudure, celle juste avant les premières récoltes, selon une étude du Programme alimentaire mondial du mois d’avril.

En plus du reboisement, Ibrahim Ka gère l’exploitation des vieux filaos. Coiffé de sa casquette blanche pour se protéger d’un soleil très fort en ce mois de mai, il marche au milieu des restes de troncs sectionnés. « C’est ici que je gère la coupe des arbres et la vente des stères, destinées à la chauffe ou la scierie », explique-t-il. Les revenus dégagés par ce commerce reviennent à l’Union forestière, qui en définit ensuite l’usage en fonction des priorités de la communauté, qui peuvent aller du financement d’une école à celui d’un centre de santé ou d’une mosquée. « Une vraie diversification des revenus pour les habitants de la ville de Mboro et ses 30 000 habitants », se félicite Mamadou Ndiaye.

Mais même bien rodé, ce reboisement se complique au fil des ans, à cause du réchauffement climatique. « Avant, nous pouvions régénérer la forêt sans arroser, grâce aux cuvettes. Mais désormais elles sont sèches, et nous manquons d’eau douce », se désole Mansour Ka, le président de l’Union forestière de Mboro. Alors, pour répondre à ces nouveaux défis, l’ONG sénégalaise SOS Sahel a construit des puits, formé et équipé l’Union forestière pour que les pépinières produisent leur relève de filaos sans lesquels le maraîchage devient impossible et toute l’économie plonge. Mais pour que les familles aient de quoi vivre, de plus en plus, elles doivent s’aventurer dans des cultures nouvelles.
Des revenus tout au long de l’année

Omar El Hadj Diop et sa mère, Fama Diop, ont franchi le pas. Sur leurs 3 hectares verdoyants, ils cultivent désormais de tout : oignons, carottes, papayes, poivrons, mangues, pommes de terre, et même oranges et citrons grâce au forage de 12 mètres creusé pour répondre à la sécheresse. « Nous avons diversifié nos cultures pour ne pas être dépendants d’une seule production et avoir toujours quelque chose à récolter », explique le producteur, bottes aux pieds.

C’est justement pour maintenir une activité durable et renforcer la sécurité alimentaire dans la région que l’Union forestière de Mboro propose aux agriculteurs des formations à la diversification, les poussant à planter des arbres fruitiers en plus d’exploiter leurs cultures maraîchères. « C’est bon pour l’environnement, car ces arbres brisent le vent, protègent les cultures et apportent de l’azote qui fertilise les champs », explique Ndeye Fatou Ndao, secrétaire générale du groupement. Et cela permet aussi aux petites exploitations agricoles, qui n’ont pas les moyens de conserver les stocks de la récolte annuelle d’une monoculture, de gagner de l’argent tout au long de l’année.
Episode 2 Face à la désertification, faire revivre les terres perdues du Burkina Faso

Grâce à l’exploitation de la forêt de filaos par les groupements villageois, au développement de l’agroforesterie et à la diversification des cultures maraîchères, les rendements ont crû de 15 % en dix ans sur ces terres agricoles devenues plus fertiles. De quoi redonner espoir aux paysans de la zone. Omar El Hadj Diop, qui s’occupe du champ familial depuis plus de trente ans, se réjouit aujourd’hui de ne « plus voir la dune avancer ». Une petite victoire de l’homme sur les éléments qu’il savoure en regardant en direction de la mer. Car le défi perdure, il le sait.


Reverdir le Sahel

Le Sahel n’a pas toujours été aussi aride qu’aujourd’hui. Pour reverdir cette bande de terre qui traverse l’Afrique d’est en ouest, les initiatives se multiplient depuis 2007. L’idée, née sur le continent, de construire une Grande Muraille verte, un mur d’arbre de 3 000 kilomètres, avance à son pas. Au fil des ans, des initiatives connexes se sont développées pour enrayer et prévenir la stérilité de ces terres brûlées par les effets du réchauffement climatique, empêcher le djihadisme de devenir une réponse à la misère paysanne et redonner de l’oxygène à cette zone où la population aura doublé d’ici à 2050. Le Monde Afrique, vous propose une série de quatre articles qui illustrent ces initiatives vertes.
Episode 1 Au Sahel, des arbres et des bêches pour lutter contre l’avancée du désert Episode 2 Face à la désertification, faire revivre les terres perdues du Burkina Faso Episode 3 De Dakar à Saint-Louis, une forêt comme rempart contre les assauts de la mer

Théa Ollivier(Dakar, correspondance)
LE MONDE





 


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1.Posté par Abdoulaye Mamessine BA le 19/06/2020 23:27
Nous saluons à sa juste mesure l’initiative. Reboiser partout où il y a possibilité et en faire, pour qu’il réussisse, des zones sévèrement protégées contre d éventuels prédateurs. Tel fut l’œuvre du colon sur tout le littoral sénégalais de sal- sal à St- louis jusqu’au Cap skirring en Casamance.

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