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Gambie : les cinq erreurs de Barrow et qui ont plongé le pays dans l’impasse

Lundi 12 Décembre 2016

Pour les 2 millions de Gambiens l’euphorie de la libération d’un régime écrasant été de courte durée. Elle a été stoppée nette par le spectaculaire revirement du fantasque autocrate Yahya Jammeh que l’on pensait converti en démocrate. La soif de pouvoir et la main de fer du maître de Banjul peuvent expliquer l’impasse politique post-électorale actuelle en Gambie… mais c'est aussi le cas des erreurs de son adversaire élu !


Dans son accession au palais du « State House », Adama Barrow, le président élu de la Gambie et son camp ont indubitablement fait dans la précipitation tout en croyant aller vite. Dans cette hâte à incarner le renouveau, ils ont parsemé leur sillage de plusieurs maladresses qui ont contribué, en plus de l'impondérabilité de Yahya Jammeh, au blocage post-électoral en Gambie.

1-    Menaces contre un président (qui plus est militaire) encore en exercice
Tout allait pour le mieux au soir du 2 décembre, le lendemain de l'élection présidentielle. Déboulonné par les billes de la démocratie après 22 ans de dictature, « surpris » par son impopularité, achevé par les scènes de liesse populaires, Yahya Jammeh prenait son téléphone en direct de la GRT (la télévision publique) pour féliciter son tombeur, à la stupéfaction générale !

Il devait s'en suivre une passation de pouvoir en janvier et un retrait du président battu dans son ranch de Kanilaï, son fief natal pour égrener ses jours dans l'agriculture. Surfant sur la vague des effets d'annonce devant les micros et les caméras du monde entier, Adama Barrow annonce que le désormais ex-maître de Banjul ne serait pas traduit devant la CPI.

Quelques déclarations plus tard, la menace est à peine voilée qu'un des premiers dossiers du mandat du nouveau Président serait de rendre justice par les tribunaux gambiens à l'encontre de Jammeh. Dans une Afrique où rien n'est joué d'avance, le réalisme politique aurait voulu qu'Adama Barrow attende la passation de pouvoir pour prendre les mesures qui s'imposent , d'autant plus connaissant le caractère inconstant de Yahya Jammeh, qui du reste occupe toujours le palais avec une importante garde prétorienne.

2-    Les appels à la « vengeance » de la coalition
Les observateurs et analystes de la région n'ont pas osé franchir le pas. Mais cela aurait constitué une leçon de maturité démocratique  pour les Gambiens d'organiser la transition en cantonnant Yahya Jammeh dans un régime de résidence surveillée sur ses terres agricoles plus tôt que d'agiter l'épouvantail d'un long et périlleux procès à l'encontre de l'ex-président. Cela aurait contenu le désir de vengeance exacerbé  par les organisations de droits de l'homme mais aussi permis à d'autres présidents africains qui s'éternisent de suivre l'exemple gambien et laisser le pouvoir. Une justice transitionnelle prévoyant l'amnistie et l'édiction de règles encadrant l'exercice du pouvoir auraient permis de lire la page Jammeh avec lucidité, la déchirer au besoin, voire la tourner pour en écrire une nouvelle à l'encre des priorités sociales.

Mais des membres de la coalition d'opposition qui a porté Adama Barrow au pouvoir, ont appelé- peut-être trop vite- à la traduction de Jammeh devant les tribunaux. Certains ont même annoncé la probable fuite de Jammeh vers l'Arabie-saoudite qui accueille sur son sol l'ex-dictateur tunisien, Zine Abeddine Ben Ali. Avec une hargne de fer, Fatoumata Jallow Tambadiang, ex-conseillère du président Dawda Jawara (renversé par Jammeh en 1994) et membre de la coalition, ne s'est pas limitée à promettre une geôle à Jammeh mais à tous les militaires qui lui étaient fidèles, soit l'ensemble de l'armée gambienne.

Pour éviter la prison, certains hommes de troupe se sont empressés de prêter allégeance au nouveau président. On comprend dès lors pourquoi Jammeh s'est braqué, effrayé à la perspective de subir le même sort que l'ex- président tchadien Hissène Habré ou l'Ivoirien Laurent Gbagbo ou encore le très éphémère président guinéen Amadou Sanogo. La frange de l'armée qui supporte la volte-face présidentielle ne se voit pas non plus dans le tableau des menaces proférées par Fatoumata Jallow Tambadiang.

 Il est ici bon de rappeler que les nominations qui ont précédé le revirement de Jammeh se sont toutes faites dans son groupe ethnique et parmi les plus fidèles. La perspective de voir Jammeh transformer son fief de Kanilaï, en bunker militaire ou en maquis rebelle n'est donc pas pas si éloigné.

3-    Libération des prisonniers politiques
L'arrivée au pouvoir d'Adama Barrow relève d'un singulier concours de circonstances. C'est l'opposant Ousainu Darboe, issu du même parti démocrate unifié (UDP), le même que l'actuel président, qui aurait dû faire face à Yahya Jammeh pour sa quatrième tentative. Mais sur la route de la présidentielle l'homme avait été arrêté, emprisonné et condamné en juillet dernier en compagnie d'une quarantaine de manifestants, pour avoir participé à une manifestation non autorisée destinée à réclamer le corps de deux cadres de l'UDP, donnés pour morts dans les geôles gambiennes.

L'une des premières mesures de Barrow a été la libération sous caution de ses prisonniers politiques qui ruminaient dans l'obscurité et l'humidité, une rancune de chameau pour le régime. Aux appels à la vengeance de la coalition, s'est vite ajouté, le mécontentement des ex-prisonniers de ne pas voir Barrow se presser à enfermer Jammeh pour assurer sa propre sécurité. Il en a résulté une méfiance dans le camp Barrow comme dans le camp Jammeh de voir qui passera à l'acte le premier. Cette libération aurait été plus opportune, le jour de l'investiture de Barrow qui aurait marqué le coup en conjurant les démons de la vengeance en annonçant la libération d'hommes dont la voix porte et sont perçus comme dangereux par Yahya Jammeh.

4-    L'annonce de la normalisation avec Dakar
Peuple sénégalais et gambien, qui parlent la même langue vernaculaire, se tutoient en « frères » et même en « cousins à plaisanteries » sur leur accent en wolof. Mais c'est un secret de Polichinelle que les présidents Macky Sall et Yahya Jammeh se détestent cordialement, notamment sur la question de la rébellion en Casamance, région du sud du Sénégal aux velléités sécessionnistes. Dakar accuse souvent l'enfant de Kanilaï de soutenir financièrement et militairement ou d'héberger les rebelles de Casamance. Pour riposter, Banjul accuse Dakar d'offrir le gîte et le couvert à des opposants déstabilisateurs de l'extérieur pour la Gambie. Ces questions ont souvent empoisonné les relations sénégalo-gambiennes et bloqué la construction d'un pont transgambien qui devait enjamber le pays de Jammeh et permettre de tracer une autoroute reliant le Sénégal à sa partie sud.

Avec son arrivée au pouvoir, Barrow a annoncé une normalisation des relations avec Dakar. Il a aussi indiqué que sa première visite à l'international serait réservée au Sénégal où il irait s'agenouiller devant le calife général des mourides, une des confréries religieuses musulmanes les plus puissantes du Sénégal. L'annonce de la visite à Dakar a inspiré à Jammeh plus de méfiance par rapport à son voisin. Cette déclaration de Barrow a aussi fait pressentir une fin moins honorable dans ce pays où une cour spéciale a été créée au sein des tribunaux sénégalais. Cour compétente pour se pencher sur les crimes de guerre et crimes contre l'humanité comme pour le cas d'Hissène Habré.

5-    Appeler la communauté internationale à intervenir
Là où la fermeté était de mise, Barrow a montré une certaine nonchalance des plus déconcertantes. Son annonce la plus entendue dans ce scénario de crise post-électorale, a été d'appeler la communauté internationale à la rescousse. Sans le savoir ou sans en calculer les conséquences, Adama Barrow apporte de l'eau au moulin de Jammeh qui avait justifié entre autres, sa main de fer sur la Gambie par une opposition au néocolonialisme de certaines puissances qui veulent imposer à son pays, des règles opposées aux normes sociales gambiennes.

Ses retraits successifs du Commonwealth- accusé de vouloir mettre sous tutelle les anciennes colonies britanniques- de la Cour pénale internationale - accusée d'être une "cour africaine"- la proclamation de la Gambie en tant que République islamique interdisant l'homosexualité, la vente et la commercialisation de plusieurs produits jugés islamiquement illicites, sont à ranger dans cette rhétorique anti-colonialiste.

L'appel lancé à une intervention de la communauté internationale a fait jouer à Jammeh dans sa volte-face, la carte des ingérences étrangères notamment de services secrets d'autant plus que Barrow a fait un passage à Londres pour sa formation. Un discours certes populiste mais qui accroche dans un pays où le taux d'analphabétisme frise les 50%.

Le risque ? que l'on s'achemine vers un scénario proche de celui de la crise post-électorale de 2010 en Côte-d'Ivoire, avec un président élu et un président auto-proclamé, qui avait provoqué des violence et fait 3.000 morts. A la sauce gambienne et au vu de la capacité de nuisance de Jammeh qui s'est retranché derrière sa tour ethnique, ce scénario fait craindre le pire pour la Gambie.
afrique.latribune.fr


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