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Isolée de tout, l’Île à Morphil veut sortir la tête de l’eau

Vendredi 6 Décembre 2013

L’Île à Morphil, étroite bande de terre du Walo comprise entre le fleuve Sénégal et le marigot de Doué, ferme ses portes pendant l’hivernage. Quand tombent les fortes pluies, l’île est complètement coupée du monde. Les insulaires sont ainsi obligés de faire une véritable gymnastique pour aller d’une localité à une autre. Avec une culture et un artisanat riches, ses avantages touristiques et ses nombreuses potentialités agricoles, cette zone mérite bien un véritable plan Marshall afin de l’engager vers un développement équilibré par rapport aux autres localités du pays. Longue de plus de cent kilomètres, l’Île à Morphil se caractérise par une vaste étendue plate, fortement arrosée en cours d’eaux. Son nom serait lié à la présence de pachydermes, dans les temps reculés. Certains vestiges y ont été découverts, à l’image des défenses d’éléphants retrouvées par les premiers habitants après l’éclatement de l’empire du Ghana. L’ivoire y avait été trouvé en abondance, de même que des mâchoires de crocodiles, entre Ngane,

Patoudi et Alwar, la ville sainte qui a vu naître El Hadji Omar Al Foutiyou Tall. L’Île à Morphil occupe les deux tiers de la partie nord du département de Podor. Elle est formée par le marigot du Doué, qui quitte en amont dans le Saldé-Walla, le flanc gauche du fleuve Sénégal à partir de Winding, un village mauritanien qui a donné le même nom à celui d’en face, au Sénégal. Ce lieu a donné le terme pulaar « hakkunde maaje », qui signifie « entre des fleuves ». Des artistes, comme Baaba Maal, l’ont repris en ces termes d’unité « maaje ndendi winding », littéralement, « les fleuves se sont réunis à Winding », pour magnifier la beauté du lieu de cette embouchure constituant une des plus belles cartes postales du monde. En période de décrue, le fleuve, à cet endroit, se caractérise par un tourbillon visible à la séparation des défluents de notre pays, le Doué, le Bourbodjia, un autre marigot qui n’est présent que dans l’arrondissement de Saldé. Le Doué, à partir de Winding, va vers le Sud-Ouest en traversant les quatre arrondissements de Saldé, Cas-Cas, Gamadji Saré et Thillé-Boubacar pour rejoindre le fleuve Sénégal au niveau des villages de Doué et Loboudou-Doué, à 9 kilomètres à l’ouest de Podor. Au cours de sa longue traversée, le Doué croise un autre fleuve, le Gayo, qui traverse les arrondissements de Gamadji et de Cas-Cas. Ces cours d’eau ont donné à l’Île à Morphil plusieurs mares et marigots, à l’image du Ndiadiolol à Alwar, la mare d’El Hadji Omar qui conserve son eau jusqu’au prochain hivernage sans tarir. C’est la dispersion de ces nombreux cours d’eau se remplissant dès l’entame de la crue, qui donne à l’Île à Morphil l’environnement rude et célèbre de son légendaire enclavement.

Des populations complètement isolées En effet, de l’île, seule la ville de Podor est désenclavée depuis 1975 avec la bretelle Taredji-Podor, longue de 21 kms, et le fameux tronçon Guia-Podor, qui, avant sa réalisation, a vu la ville de Ndioum Diéri, située sur la nationale 2, ravir la vedette à Podor, avec l’implantation de l’hôpital. Le Ngallenka est le seul marigot en dehors de l’Île à Morphil. Il rejoint le Doué au village de Diambo. Les ponts de Médina-Ndiathabé, de Ngouye et le tout prochain à Ndioum ne sont que d’une enjambée sur le Doué, s’ils ne sont pas suivis de pistes de production. Les arrondissements de Saldé et Cas-Cas ont une capacité limitée de déplacement, rien qu’avec une forte pluviométrie. Avec la crue tentaculaire qui sévit présentement, ce sont, comme chaque hivernage, des villages entiers coupés du reste du pays, obligeant mêmes les sous-préfets de ces deux arrondissements (Saldé et Cas-Cas) à loger à Pété et Galoya, sur la route nationale n°2, jusqu’au retrait des eaux. La crue et l’enclavement qu’elle cause contribuent grandement au dysfonctionnement du système sanitaire dans l’Île à Morphil, dont les habitants, pour la plupart, sont tributaires de la Mauritanie voisine afin de satisfaire certains besoins en santé, en particulier les femmes et les enfants. A quelques encablures de Podor, le circuit de l’Île à Morphil se présente. On peut, sans grande difficulté, y lire les villages accessibles de cette partie du département de Podor. Heureux de visiter cette partie du Sénégal, vos serviteurs foncent. Le chauffeur, si volubile, perd, comme par miracle, sa jovialité. Normal, surtout quand on emprunte une bretelle sinueuse parsemée de nids-de-poules, de crevasses et d’ornières à vous donner le tournis. Malgré tout, on s’engage.


En arpentant ce tortueux chemin, l’on découvre bien vite le village de Diatar après seulement quatre kilomètres. Puis, c’est au tour de l’ancien Donaye de se dévoiler quelques kilomètres plus loin. Des maisons en ruine, des arbres déracinés attirent l’attention. Ce triste décor est la conséquence des crues de 1999, provoqués par la montée des eaux et qui ont forcé la majeure partie des populations à se réfugier à Taredji, à quelques 25 kilomètres de là. Seules quelques familles, très attachées à ce site de leurs ancêtres, ont préféré y rester, veillant jalousement sur le cimetière où reposent leurs morts et sur la mosquée qui reste l’un des fleurons de l’architecture omarienne. Quelques kilomètres plus loin, la route est submergée par les eaux de crue. Le chauffeur perd son sang froid, hésite. Un motocycliste le rassure. « Il n’y a pas de danger ». Pour le démontrer, il passe sans difficultés. Sans convaincre. Pour lui donner du courage, nous mettons pied à terre et pataugeons dans l’eau, sur une distance d’1 km à peine. Suffisant pour que le chauffeur se décide à s’engager.

Le véhicule nous récupère à l’autre bout. La course reprend. Au bout d’une dizaine de kilomètres, le village de Mboyo apparait. Cette localité est complètement ceinturée par les eaux. Le fleuve Sénégal, dont la montée a atteint un seuil critique, a fait corps avec le marigot Gayo sorti de son lit. Les deux digues de protection n’ont pas tenu. Cette incursion de l’eau a ruiné l’intégralité des récoltes des populations qui, pour sauver leur village, ont trouvé l’ingénieuse idée de cerner les concessions de sacs de sable. Pour combien de temps ? Dieu seul le sait. Malgré ce « barrage », les habitants de Mboyo craignent surtout pour la pérennité du village. Oustaz Oumar Ly, enseignant, par ailleurs président de l’Asc « Djalal Mboyo », ne souhaite pas que son village vit la même situation que Donaye Walo en 1999.

« C’est la même digue qui protège les champs et les populations du village. Si elle cède, Mboyo sera sous les eaux », prévient-il, en invitant les autorités à venir au chevet des habitants et au-delà, de l’Île à Morphil. Pour le vieux El Hadji Diagne, ancien secrétaire d’arrondissement à la retraite, la Croix-Rouge avait prévu de venir procéder à la distribution de vivres de soudure dans la zone, mais compte tenu de l’état de la route coupée par les eaux entre Mboyo et Donaye, elle a renvoyé son action sine die. « L’Île à Morphil commence de Donaye jusqu’à Saldé. Elle est oubliée et même abandonnée. Une fois dans le passé, le président de la République, Macky Sall, alors Premier ministre, était venu jusqu’à Donaye Walo, il ne pouvait pas venir jusqu’à Mboyo à cause des eaux. La digue était inondée », se souvient l’ancien secrétaire rural. A son avis, c’est pour cette raison que beaucoup d’autorités s’arrêtent à Donaye durant l’hivernage, au grand dam du reste de l’Île à Morphil. Après Mboyo et ses milliers de complaintes, nous poursuivons notre chemin. Le chauffeur est obligé de slalomer et d’user de moult manœuvres afin d’éviter au mieux ces trous.


En temps normal, c’est le calvaire et avec l’avènement de l’hivernage, le mal est allé crescendo. L’abondance des pluies a grandement précipité la dégradation de cette bretelle pour la rendre plus cahoteuse et impraticable. Le long de la route, le constat est identique. Et devant cette dégradation avancée, qui met à rude épreuve les véhicules les plus solides, avoir de bons amortisseurs ne suffit pas. L’on comprend aisément pourquoi les populations de ces différentes localités restent de bons mois sans voir l’ombre d’un véhicule. Sous le poids des secousses, on traverse Guédé Wouro, Korkadié, Moundouwaye, Ndiaw, Lahel, soulevant une nuée de poussière. Après quarante deux bornes, Alwar s’offre enfin à nous. Incontestablement, cette dernière localité du circuit attire l’attention. De prime abord, les lieux ne paient pas de mine. Et sur les visages des villageois, l’on peut aisément déceler des signes de lassitude et de désespoir. Ces derniers nous racontent les ingrédients d’une vie d’enclavement. Inimaginable. Si l’on sait que cette localité a vu, naître, en 1797, le conquérant El Hadji Omar Tall.

« Nous sommes victimes de l’enclavement. Pour aller à Podor, nous sommes obligés de passer par Ndioum, traverser deux fleuves et prendre ensuite deux fois de suite une voiture », se plaint Abdoulaye Barry. Priorité au désenclavement L’Île à Morphil ne se limite pas seulement à Alwar. Elle se prolonge jusqu’à Saldé, à l’extrémité est, soit une trentaine de villages et hameaux. Les milliers de citoyens de ces localités à forte concentration d’agriculteurs, d’éleveurs et de pêcheurs sont actuellement isolés du reste du pays. Les intempéries et le débordement du fleuve ont obligé l’Île à Morphil à se fermer à tout trafic routier, rendant ainsi l’accès à certains villages impossible. La circulation des personnes et des biens dans cette région relève du parcours de combattant. Impossible de rallier Cas-Cas, Démet, Walaldé, Ndormboss, Sinthiou Dangdé, Pathé Gallo, Dara Halaybé, Wassétacké, Barobé, Diaranguel ou encore Wallah en voiture. Pirogues et charrettes sont les seuls moyens de locomotion.

La crue du fleuve Sénégal et de ces deux défluents, les marigots du Doué et du Goyo, n’ont pas épargné les périmètres rizicoles, les champs et même certains villages de cette grande île. Certaines zones de la vallée ont complètement isolé des milliers de personnes dans le besoin. Aujourd’hui, le désenclavement de l’Île à Morphil constitue une urgence primordiale pour les populations. secretaire d’arrondissement a la retraite L’Île à Morphil veut sortir la tête de l’eau Avec la construction des ponts de Ngouye et de Madina Ndiatbé, l’espoir était permis. Mais les efforts et les moyens mis en œuvre pour désenclaver les dizaines de villages se sont avérés insuffisants. Aujourd’hui, les populations continuent de souffrir du manque de routes secondaires qui devraient être les seules voies d’accès aux villages et hameaux de l’intérieur. Pis, avec les fortes pluies qui se sont abattues lors de cet hivernage, entrainant le débordement des eaux du fleuve, les bretelles, qui devaient relier certains villages au reste de l’Île à Morphil, n’ont pas tenu. Face à cet enclavement et à l’absence d’infrastructures, les populations ont répertorié de nombreux projets.

Selon le vieux El Hadji Diagne, l’enclavement de l’Île à Morphil constitue un grand écueil pour son développement, malgré tout le potentiel qui s’y trouve. Les conséquences qui en découlent, sont nombreuses. Pour lui, tant que des pistes de production ne sont pas construites, notamment celles qui relient les différents villages de cette zone, le développement ne sera pas possible. Sur la liste des doléances, les populations n’oublient pas l’endiguement de la berge du fleuve, qui est devenu une urgence, mais aussi l’électrification de tous les villages et hameaux. Car, dans toute l’Île à Morphil, seuls les arrondissements de Saldé et Cas-Cas sont électrifiés. Les populations de Wassétacké, Barobé, Diaranguel Wallah, Abdallah, Thioubalel et beaucoup d’autres localités encore attendent leur tour avec impatience, pour enfin sortir des ténèbres.

AMADOU HAROUNA GAYE


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