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Les frontières coloniales et leur imposition dans la vallée du Fleuve Sénégal, 1855-1871.

Mardi 8 Avril 2014

Bouleversements des hiérarchies politiques et statutaires1 (Partie 1).
Adrar-Info - Cette étude s’intéressera à l’impact de la création d’une frontière coloniale dans la basse vallée du Fleuve Sénégal durant la deuxième moitié du XIXe siècle. En 1855, le gouvernement français de Saint-Louis déclara que le Fleuve serait la frontière entre le nouveau Protectorat du Waalo et du Dimar [Sénégal], le long de la rivière Sud et la région des bords du désert saharien du Trârza au Nord [Mauritanie].

En procédant ainsi fut créée une frontière qui n’avait jamais existé auparavant. Durant les vingt années suivantes, les Gouverneurs et les Commandants s’attachèrent à rendre effective cette séparation.
Leurs efforts ne furent pas couronnés de succès. Des périodes de mise en œuvre radicale alternaient avec des périodes de négligence ou de faiblesse. Néanmoins, la mise en application de cette frontière par les Français fut traumatisante pour les populations locales

Elle compromit les liens entre les communautés des deux rives, et bouleversa l’économie politique de la vallée. Par ailleurs, la mise en œuvre de cette frontière eut des répercussions que Saint-Louis ne put anticiper ni même contrôler.
Elle compliqua la tâche du gouvernement français au Waalo, et imposa un système de taxes et des séparations administratives. Alors qu’elle était conçue pour augmenter la sécurité dans les territoires contrôlés par les Français, elle eut souvent l’effet opposé en brisant les relations entre les deux rives qui avaient permis de limiter les razzias dans le passé.

Cette frontière bouleversa également l’ordre politique établi de chaque côté du Fleuve Sénégal. Sur le long terme, elle eut un effet néfaste sur le système politique du Trârza et alimenta un cycle de guerres intestines qui était jusqu’à présent sous-jacent.

L’émergence d’une frontière coloniale au Fleuve Sénégal

Tout au long de son histoire, le Bas Sénégal avait permis l’établissement de contacts étroits entre les communautés agraires et pastorales. L’ensemble de la vallée se situait dans une zone habitée par des pasteurs sahariens.
De la gibla [Sud-ouest mauritanien] au Nord, jusqu’au Ferlo [sénégalais] au Sud, les bergers pratiquaient une forme de pastoralisme mixte qui prenait avantage des évolutions des précipitations et des possibilités de pâturages le long d’un axe Nord-Sud. Le Fleuve était un pôle qui attirait un mouvement pastoral de Nord au Sud durant la saison sèche (de Janvier à Juin environ), puis, au début des pluies, ils se retiraient vers les hautes terres.

Ce modèle de nomadisation encourageait un contact étroit entre les pasteurs et les fermiers qui cultivaient les plaines alluviales du Fleuve. Les alliances matrimoniales et sociales entre ces deux populations sous-tendaient l’ordre politique qui s’était développé dans la Basse vallée durant les XVIIIe et les XIXe siècles.

Ces alliances liaient ensemble des villages wolof ou fufulde [ou pulaar] avec leurs voisins nomades dont beaucoup parlaient hassâniyya (l’arabe ouest saharien) ou znâga (langue berbère ouest saharienne), mais aussi le wolof et le fufulde [ou pulaar]. En retour, ces alliances reliaient des communautés de la vallée à des coalitions plus larges de guerriers nomades qui vivaient plus au Nord dans le désert.

A la tête de ces coalitions, l trouvait une élite puissante, les hassân, de parler arabe. Leurs chefs se disputaient le titre d’amîr. L’amîr du Trârza à l’Ouest, avec celui du Brâkna à l’Est, exerçait une influence considérable sur la vallée [sur le titre d'amîr voir Taylor, supra].

Durant la deuxième moitié du XIXe siècle, le lucratif commerce de la gomme arabique conduisit à une présence plus forte des Français dans la basse vallée du Sénégal. En 1855, Saint-Louis déclencha une ambitieuse action.
Cette frontière posait des choix difficiles des deux côtés du Fleuve. Parmi les groupes nomades guerriers, qui dominaient le Trârza, les opinions étaient divisées entre accepter la frontière ou s’y opposer, entre coopérer avec les Français ou les combattre [voir El-Bara, supra]. Leur dilemme se compliquait par les difficultés des Français pour mettre en application la nouvelle frontière. D’un côté, en effet, les Français étaient plus stricts dans la mise en œuvre de cette frontière avec les groupes armés des guerriers plutôt qu’avec les pasteurs et les fermiers.

Ces derniers payaient des tributs à des nombreux guerriers Trârza. Le nouveau territoire contrôlé par les Français créait donc des espaces de refuge où les tributaires pouvaient venir, mais non pas ceux qui collectaient les tributs. Il offrait également un bouclier pour dissidents, pour rebelles et pour mécontents.

D’un autre côté, pour les fermiers et les pasteurs de la vallée, le Fleuve n’avait jamais été ni une frontière ni un obstacle à leurs déplacements [sur l'usage nomade de l'espace voir Acloque, infra]. Les bergers avaient toujours fait traverser leurs troupeaux, et les fermiers cultivaient fréquemment leurs champs sur les deux rives.

La mise en œuvre de la frontière menaçait à la fois les conditions de vie et les liens sociaux entre les communautés du Nord et du Sud du Fleuve. Beaucoup d’entre eux allèrent trouver les nouvelles autorités françaises pour tenter de préserver leur liberté de mouvement.

Le régime colonial, en retour, se demandait comment, quand et où renforcer cette frontière. La mise en œuvre rigide de cette dernière, durant les premières années de 1860, fit bien tôt place à une politique plus pragmatique. L’obsession sur la sécurité fut alors contrebalancée par la reconnaissance de la pauvreté potentielle infligée à la société de la vallée.

L’attention suscitée par la frontière au sein du système politique du Trârza constitua bien tôt une préoccupation pour les Français. Ils s’alarmèrent d’une crise politique qu’ils avaient largement déclenchée, une crise qui affaiblissait les groupes potentiellement amicaux du Trârza, tout en renforçant les partisans de la ligne dure, anticoloniale, dans cette région.
A suivre… /
mariella villasante
Raymond M. Taylor Saint Xavier University, Chicago Traduit de l’Anglais (Etats-Unis d’Amérique) par Christophe de Beauvais
Publié dans : Colonisations et héritages actuels au Sahara et au Sahel, sous la direction de Mariella Villasante Cervello, Paris, L’Harmattan : 439-456.
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1 Ce texte a fait l’objet d’une communication lors de la 44e Réunion annuelle de African Studies Association (ASA), tenue à Houston, le 18 Novembre 2001, dans le panel « French Imperialism in Senegal and Mauritania reconsidered : Frontiers, Classifications and Social Change » co-organisé par Raymond Taylor et Mariella Villasante, avec la participation de Ann McDougall [NDE].


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