Les affrontements, à Gaza et en Israël, n’ont jamais été aussi violents depuis près de vingt ans. Ils ont déjà causé la mort de plus de 120 personnes et blessé près d’un millier d’autres, dix fois plus du côté palestinien qu’israélien comme de coutume, en nombre dans les rangs civils, sans que rien ne laisse présager une accalmie. Et, soudain, le monde se souvient de l’existence de ce très vieux conflit. Encore considéré dans les années 2000 comme prioritaire pour la diplomatie internationale, il avait fini par imposer la penaude acceptation de son irrésolution. Telle une épine dans le talon, dont l’inflammation insupporte avant de générer une induration qui rendra sa présence acceptable.
 
Alors que le cal a viré abcès (comme si ce n’était pas prévisible), la planète résonne d’échos déclinant toutes les nuances, des appels « profondément préoccupés » et impuissants à la retenue, à la désescalade, à l’arrêt immédiat, etc. Tous les regards sont tournés vers Washington, premier et indéfectible soutien d’Israël, où Joe Biden subit la situation comme un démineur imprévoyant qui aurait sous-estimé un risque d’explosion. Le président états-unien, qui a hérité des initiatives calamiteuses de Trump, pensait probablement disposer d’un peu de temps avant de mettre les mains dans le bourbier. Trop tard. Et l’Occident de redécouvrir que le conflit, ce sont d’abord des gens en Palestine qu’on laisse souffrir jusqu’à l’exaspération.
 
La réaction frustre du gouvernement français est révélatrice du grand malaise qui a saisi une communauté internationale désemparée. Le ministre de l’Intérieur a incité les préfets à interdire les manifestations de soutien à la cause palestinienne appelées pour la fin de semaine dernière partout en France, arguant d’incidents remontant… à 2014, quand une marche en solidarité avec la Palestine avait été émaillée d’échauffourées avec la police, à Paris. Le préfet Lallement, décidément sombre exécutant, a obtempéré et renchéri dans la justification honteuse, expliquant qu’il existait « un risque sérieux que les affrontements entre Palestiniens et forces de l’ordre israéliennes ne se transportent sur le territoire national ».

Avec ce geste d’une grande indignité : l’interpellation, avec menottes et pour près de six heures, du président de l’Association France Palestine solidarité, Bertrand Heilbronn, au sortir d’une réunion au ministère des Affaires étrangères sur la position française face au conflit. Motif : organisation d’un rassemblement interdit – le groupe qui l’avait pacifiquement accompagné avec sa délégation à ce rendez-vous. Les choses sont claires, au moins : en traitant les soutiens à la cause palestinienne en délinquant·es potentiel·les, Paris s’est aligné sur le gouvernement israélien.

Pourtant, alors que la plupart des préfets ont finalement choisi de ne pas les interdire, des manifestations pro-Palestine ont rassemblé plus de 20 000 personnes dans plusieurs villes de France, sans heurts. Sauf à Paris, où l’interdiction, bravée, a inéluctablement entraîné des affrontements avec la police, comme s’il s’agissait pour le ministère de l’Intérieur d’organiser la réalisation de sa prophétie.

par Patrick Piro