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Safi Faye, réalisatrice : « Que l’Afrique continue d’avoir sa place dans le cinéma mondial... »

Dimanche 31 Décembre 2017

Anthropologue, ethnologue, Mme Safi Faye est une réalisatrice dont la parole est rare. La condition féminine, le monde rural sont au cœur de son projet cinématographique. Dans cette interview accordée au journal « Le Soleil », elle retrace sa trajectoire comme pionnière dans le cinéma en Afrique.


Mme Safi Faye, vous venez de visiter à Dakar le Complexe cinématographique du nom de Sembène Ousmane et dont l’une des salles porte votre nom. Quel effet vous procure cette forme de reconnaissance, d’hommage ?
« Je suis tellement émue que je suffoque. Venant de notre pays, le Sénégal, conçu par des Sénégalais, c’est la reconnaissance de notre cinéma, du 7ème art africain. On ne peut être que ravie. Je suis contente de voir un complexe qui existe dans les pays développés prendre pied au Sénégal.
 
Récemment, vous étiez l’invitée d’honneur de la 4ème édition du Festival international du film documentaire de création de Saint-Louis. Comment l’avez-vous vécue ?

« D’ordinaire, je sors rarement. Mais quand les organisateurs m’ont appelée comme une ancienne qui a 43 ans de carrière de cinéma derrière elle, je ne pouvais pas ne pas répondre positivement. Non pas par mes œuvres mais rencontrer cette jeunesse qui peut être mes enfants, mes petits enfants, en ayant ce courage de se lancer dans un métier aléatoire, très dur, plein d’insécurité. Mais, il y a tant de satisfaction à faire ce que l’on aime. J’étais émue de les voir déterminés, de suivre des stages avec ferveur pour que l’Afrique continue d’avoir sa place dans le cinéma mondial. »
 
Avec le recul, quel regard portez-vous sur le cinéma sénégalais, africain ?

« Au départ, j’avais toujours derrière ma tête, de prendre ma place dans le cinéma mondial. Mon idée n’était pas de faire un film sénégalais, africain, mais de réaliser une œuvre qui sera valable aussi bien pour les Japonais que pour le reste du monde. Pour ce choix, je suis tombée par hasard en posant ma caméra dans le monde rural. Je me suis dit bien que je sois Safi Faye, je suis une paysanne. J’ai donné la parole aux courageux agriculteurs par admiration car ne parvenant pas à vivre de leurs récoltes. Quand je montre mes films ailleurs, les salles sont remplies parce qu’il y a une similitude paysanne qui est internationale. »
 
La condition féminine est également au cœur de votre projet cinématographique. Notamment dans « Selbé », « Mossane », etc. Qu’est-ce qui explique cette orientation ?
 
« « Mossane » (1996), c’est ma créativité pour faire une fiction. J’ai pris tout mon temps pour le réaliser. Les films comme « Selbé et tant d’autres» (1982), « Les Ames au soleil » (1981), « Tesito » (1989), sont des œuvres de commande d’organisations internationales comme l’Onu, l’Unicef, l’Unesco. Souvent, elles décrètent que telle ou telle année sera celle de la femme, de l’enfance. La plupart du temps, il faut un ou une cinéaste dans chaque continent. C’est ainsi qu’elles font appel à moi en me soumettant le thème. Après, c’est à moi de faire des recherches pour faire le film selon le sujet demandé. Or, je suis une archiviste, j’adore chercher, rentrer dans la vérité. »
 
Dans cette dynamique, quel rôle peut jouer le cinéma dans la construction des relations sociales ?
« Je pense que le cinéma est éducatif. C’est un instrument de lecture. Que l’on soit allé à l’école ou pas, chaque individu peut lire l’image et l’interpréter. C’est cela la force du cinéma. Ce que j’aime le plus dans le 7ème art, c’est faire un produit et il ne m’appartient plus. Il appartient au public. Il est libre de l’interpréter comme il l’entend, de faire son film de mon propre film. C’est cela qui me fascine dans le cinéma. »
 
Sur ce registre, qu’est qui vous a poussé à choisir le 7ème art comme expression artistique ? 

« J’ai l’opportunité notamment de faire de l’anthropologie, de l’ethnologie. Avec tout cela, on est en rapport avec de grands intellectuels, des connaisseurs, des africanistes bourrés de diplômes et qui peuvent parler à des intellectuels. Je me suis dit pourquoi pas l’inverse. Pourquoi pas on n’écrirait pas d’une autre façon la même chose pour que cela soit accessible à tout le monde. L’image d’un film peut être accessible et être interprétée intellectuellement. Parce que dans mes enquêtes, mes recherches, je me suis toujours rendue compte que j’avais à faire à des analphabètes mais qui étaient des agronomes, des sociologues. Ils parlaient comme des grands maîtres détenteurs de l’évolution du monde. Ces paysans n’ont jamais été à l’école. C’est mettre l’accent sur ces connaissances qu’ils ont et qui équivalent à celles des grands chercheurs. »
 
Vous faites du cinéma depuis 43 ans, parlez-nous de vous dans le 7ème art…

« J’étais institutrice. Je sortais de l’Ecole normale, vouée à enseigner. Née pendant la colonisation, l’indépendance, je n’ai jamais eu de maître africain, ni de professeur africain, ce qui ne me gêne pas. Il fallait maîtriser le français, même si on n’en a jamais parlé à la maison. Quand on allait à l’école en très peu de temps, l’enfant comprend et parle français au bout de 15 jours. Ce dynamisme de l’intellect de l’enfant me poussait à enseigner, à inciter mes élèves à être les meilleurs. Je servais à l’école du Plateau. J’enseignais pendant 7 ans dans une école fréquentée que par les enfants d’Européens, de ministres. Nous n’étions que deux ou trois institutrices africaines qui devaient prendre le relais des enseignants européens. Au bout de 7 ans, même si j’avais pris un engagement de 10 ans, dans ma tête j’avais rempli ma mission. Ainsi, après le Festival des arts nègres (1966), j’ai remis tout en question. Il fallait que j’apprenne ce que c’est l’Africanité. Les chercheurs, les intellectuels qui en parlent sont tous en Europe. Il fallait que je quitte le Sénégal. Je suis allée m’inscrire à la Sorbonne, à l’Ecole pratique des hautes études, pour apprendre l’anthropologie, l’ethnologie. Par hasard, les chercheurs comme Jean Rouch, qui maniaient la caméra depuis les années 40, ont laissé des documents, pour moi, qui sont le patrimoine de l’Afrique contrairement à ce que les autres pensent. Parce que filmer l’Afrique en 40, presque l’année à laquelle je suis née, cela ne peut être qu’un document d’étude qui me sert et relate mon histoire d’Africaine. Ainsi, après nos cours théoriques d’anthropologie, Jean Rouch venait tout temps montrer un film qu’il a tourné chez les Dogons, au Niger. Voyant ces productions, je me suis dite moi aussi je peux faire un film que ma mère pourrait lire. Parce que j’ai toujours remis en question le fait que ma mère ne soit pas allée à l’école et que tous ces enfants aient fait des écoles supérieures. J’ai dit j’écrirai et elle lira.
Cela rejoint votre propos sur la dimension éducative du cinéma…

« Voilà. Je suis allée m’inscrire à la plus grande école Louis Lumière en prenant la branche réalisation et photographie. Dès la première année, j’ai fait un film sur un poème de Baudelaire, qui aussi relate ce que j’ai appris de poétique et que j’admire dans la littérature française. Ainsi, j’ai fait « La Passante », celle qui passe, que tout le monde regarde. Aussitôt, on a dit qu’il y a une Africaine qui fait des films. C’est parti comme ça en 1972. Pour moi, c’est une écriture que ma mère et tant d’autres parents liraient.
Dans l’évolution de votre carrière, quels étaient vos rapports avec vos confrères cinéastes ?

« Comme je dis souvent, il n’y a pas plus égoïste qu’un cinéaste. Il n’y a pas de plus ambitieux qu’un cinéaste. Chacun travaille pour son compte. Le produit fini, on le vend. Je peux comprendre que la créativité ne puisse pas s’accorder entre deux personnes sauf si on adapte un livre. Si on crée, on le fait dans la solitude, dans la réflexion, en cuisinant. Je pense que vu le fait que j’étais institutrice et déjà connue et admirée notamment par le président Senghor, par mon audace, ma façon d’être, chacune essayait de rester jeune et fraîche mais intouchable. Venant d’une famille sérère, on a sa vertu, ce qui n’empêche pas de s’amuser, de rigoler, même de flirter, mais pas aller plus loin.
Le propos de la question était axé sur la relation de travail avec des cinéastes comme Sembène Ousmane, Djibril Diop Mambéty…
 
« On évoluait en tant que cinéastes mais on ne se fréquentait pas autant. Chacun travaillait dans son coin. Peut-être pendant un festival on se rencontre, après chacun retourne derrière ses quatre murs. Il y avait beaucoup de respect à mon égard. Parce que tout j’ai acquis, je l’ai eu par concours, par diplômes.
 
Présentement, quelle est votre actualité cinématographique ?

« Actuellement, je projette de mettre en ordre mes archives. Quand on est chercheur, anthropologue, on garde toujours ses documents. Tout ce que j’ai comme archives avant d’aller à l’école, jusqu’à ce que je devienne cinéaste me servira de base pour faire un film sur mon parcours. Ce sera une œuvre, seulement avec des documents de l’époque. On n’entendra pas ma voix mais on lira un mot de Sembène. Ce sera un défilé de ma vie.
Parlant d’archives, comment voyez-vous le développement du numérique ?
 
« Je pense que c’est une ère pendant laquelle il y aura beaucoup de candidats. Cela, contrairement à notre époque où il fallait des diplômes pour valider des connaissances. Aujourd’hui, les choses sont plus faciles. Avec le numérique, des jeunes font de bons films que les télévisions achètent. Je pense que la concurrence sera rude. Un film demande beaucoup de travail, même si c’est en numérique. Une première écriture de scénario ne fait pas une œuvre cinématographique. »
• Interview réalisée par E. Massiga FAYE
LESOLEIL.SN
 
 


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