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VIES DE CHIEN (45)

Mardi 3 Juillet 2012

En dehors de l’incontournable « bulletin d’information » ce qui intéressait surtout mon maître, c’était les documentaires, les émissions à caractère culturel et en particulier littéraires car c’était un passionné de littérature. Son passe-temps favori était la lecture et il était rare de le voir sans un livre à la main. Une fois par semaine, il se rendait à la bibliothèque du Centre culturel français où il était abonné. Il prenait toujours de nouveaux livres qu’il dévorait avec une rapidité stupéfiante et le bibliothécaire, étonné par ce lecteur hors du commun avait fini par le surnommer avec humour « le mangeur de livres ».

Si je vous dis que j’appréciais les goûts littéraires de mon maître parce que j’avais moi-même lu la plupart des livres qu’il empruntait, vous allez à coup sûr mettre en doute la véracité de mon récit et vous dire que je bluffe ou que j’exagère. Que je comprenne le langage des êtres humains, passe encore, mais que je prétende avoir lu Les voyages de Gulliver, Robinson Crusoé, A l’ouest d’Eden ou le Vieil homme et la mer, cela ne peut que vous paraître un peu fort de café pour un chien et je comprends parfaitement que vous émettiez des doutes très sérieux sur l’authenticité de ma culture littéraire car, qui a déjà entendu parler, même dans les romans les plus extravagants, les plus délirants, d’un chien amateur de littérature ! Vous allez vous dire que c’est vraiment une histoire à dormir debout et que ça ne fait pas sérieux du tout ! Si encore c’était un conte de fée on aurait pu comprendre, mais là non, ça ne passe franchement pas.

Et pourtant chers amis qui me suivez depuis que j’ai commencé à vous narrer mes vies de chien, tout ce que je vous raconte est la stricte vérité ! Mais sans doute vous dois-je des explications et peut-être est-il donc temps que je vous révèle un secret dont jusqu’à présent j’avais omis de vous parler, un secret qui vous aidera à mieux comprendre certaines choses qui autrement ne pourraient que vous paraître inimaginables.

Eh bien, voilà : moi, Nestor, chien de Jacques Habib Sy, croisé de laobé et de berger allemand, suis habité par l’esprit d’un brillant écrivain assassiné dans un lointain pays de montagnes, exactement deux semaines avant ma naissance, le 23 juin 1998, par un fanatique religieux qui jugeait ses romans blasphématoires.

Comme cela se produit généralement en cas de mort accidentelle ou violente, l’esprit de ce grand homme, dont je préfère taire le nom, fut brutalement expulsé de son corps et se mit à errer dans le monde astral, à la recherche d’une nouvelle enveloppe charnelle où il pourrait se loger. Après avoir vogué une bonne quinzaine de jours dans les limbes sidéraux, il finit par jeter son dévolu sur un mignon petit chiot qui venait de naître et qui tenait à peine debout sur ses pattes fragiles. Ayant toujours été curieux de tout savoir, le fameux écrivain désirait à présent vivre dans la peau d’un chien tout en conservant son intelligence humaine.

Et c’est ainsi que, je ne saurais vous dire comment, l’esprit de l’écrivain assassiné dans ce lointain pays où les montagnes sont si belles, pénétra dans mon petit corps de chiot avec toute sa grande intelligence. Voilà donc comment les choses se sont passées et voilà pourquoi, moi Nestor, narrateur de cette histoire que vous êtes en train de lire, je suis quasiment venu au monde avec le don du langage et une vaste culture littéraire ! Maintenant que les choses sont tirées au clair et les pendules remises à l’heure, je suis beaucoup plus à l’aise pour reprendre le fil de mon récit qui, j’en suis certain, devait commencer à vous paraître bien nébuleux (à suivre…)