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VIES DE CHIEN (50)

Mardi 7 Août 2012

Chaque fois que j’avais quartier libre, le soir, je passais en trottinant devant la porte presque toujours ouverte de la maison où habitait la chienne chocolat au lait et l’air de rien, j’en profitais pour jeter un coup d’œil à la dérobée dans la cour où elle était couchée invariablement dans la même posture. Son attitude hiératique qui la faisait ressembler à un sphinx égyptien m’intriguait au plus haut point et ne la rendait que plus mystérieuse à mes yeux. Plus désirable aussi. Elle ne sortait pour ainsi dire jamais et les rares fois où ça lui arrivait, elle ne s’éloignait guère de la maison des maîtres. J’avais, à deux ou trois reprises, eu l’occasion de la voir humer l’air de la rue, mais elle ne m’avait pas laissé le loisir de m’approcher d’elle et m’avait tourné le dos dès qu’elle avait flairé ma présence, me laissant un tantinet exaspéré. C’était une chienne vraiment spéciale.

Elle avait un sacré caractère et je savais que les chiens de sindoné ne l’aimaient pas beaucoup car jamais elle n’avait permis à l’un d’entre eux de l’approcher, encore moins de s’accoupler avec elle. Quant aux chiennes du quartier, elles la détestaient carrément car elles la trouvaient hautaine et méprisante à leur égard. Mais surtout, ce qu’elles ne pouvaient pas comprendre ni lui pardonner, c’est qu’elle ne fût jamais en chaleur et ne sollicitasse jamais les mâles comme le ferait n’importe quelle chienne normale. Comme les femelles de toutes les autres espèces animales, les chiennes détestent celles qui se singularisent d’une manière ou d’une autre et nourrissent une toujours une secrète jalousie ou même de la haine envers ces marginales. Mais de tout cela, la chienne chocolat semblait n’avoir cure et elle continuait à vivre sa vie de solitaire comme si de rien n’était.

Malgré mes va-et-vient incessants, mes faux-semblants et mes poses charmeuses, elle ne m’avait jamais accordé le moindre regard si bien que je finis par me décourager et, de guerre las, renonçai à la faire figurer dans mon tableau de chasse pourtant très flatteur. J’en arrivai même à la conclusion, inspirée il faut l’avouer par la mauvaise foi inhérente au dépit amoureux, que ce n’était pas une chienne ordinaire, que c’était peut-être même un djinn qui avait pris cette apparence pour pouvoir mieux commettre ses méfaits. Je cessai donc de tourner autour d’elle et de m’arrêter au seuil de sa maison pour faire le beau et tenter d’attirer son attention. Pour me consoler de ce que je prenais pour un échec personnel et presque un affront, je me consolai avec les chiennes du quartier qui, elles, ne demandaient que cela.

J’avais donc tourné la page et pour moi l’affaire était close lorsqu’un jour, aux abords du crépuscule, alors que je trottinais en direction de la pointe sud, j’eus la grande surprise de voir debout sur le quai, juste à côte du musée de Ndar et en face du fleuve…la chienne chocolat au lait ! Je n’en revenais pas et je dus cligner plusieurs fois des yeux pour être sûr que je ne rêvais pas. Quel était ce nouveau mystère ? Que faisait la chienne chocolat au lait seule et si loin de chez elle à pareille heure ? Il n’y avait presque personne dans les rues, à part quelques fidèles courageux qui, bravant le froid glacial qui régnait à pareille époque de l’année, se pressaient pour aller à la mosquée dont le muezzin venait de lancer son tonitruant appel. Je ne cherchai pas à trouver de réponses aux questions qui me taraudèrent d’abord et, ne faisant ni une ni deux, je piquai hardiment une pointe en direction de la chienne chocolatée qui était toujours debout, immobile, la queue en panache, le poil ébouriffé par le vent du large qui soufflait assez fort à cette heure là (…)