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VIES DE CHIEN (54)

Mardi 11 Septembre 2012


Puis il avait réajusté sa djellaba marocaine avec sa grande capuche qui pendait dans son dos, enfilé tant bien que mal ses babouches jaune citron avant de se lever pour prendre congé de mon maître. Sans se départir de son calme olympien qu’il avait retrouvé après sa diatribe salée, ce dernier s’était également levé pour raccompagner son hôte jusqu’à la porte d’entrée. Honteux comme il n’est pas permis de l’être, le « marabout » battit en retraite en balbutiant de piteuses excuses d’une voix tremblotante: « Moussé Sy baal ma dé…Ma ngiy jegëlu dé Moussé Sy… ».

« Amul solo… », avait répondu mon maître d’un ton bourru. Trottinant derrière eux, je ne pus alors résister à l’envie de fiche la trouille à l’impertinent rat de mosquée et, m’approchant sournoisement de lui, je poussai un grognement menaçant et retroussai en même temps mes babines carnassières. L’ « homme de Dieu » fut pris d’une telle frayeur qu’il poussa un cri strident et perdit l’équilibre après s’être empêtré dans les pans de sa djellaba trop longue pour lui. N’eût été la rapide intervention de mon maître, il aurait à coup sûr fait une chute mémorable dont on serait encore en train de parler dans les potins et ragots de sindoné !

J’aurais pourtant bien aimé le voir s’étaler de tout long sur le sol : c’eût été une bonne leçon pour ce donneur de leçons et pourfendeur de la race canine ! Pour la première fois depuis que j’étais dans sa maison, mon maître me gronda, ou plutôt fit semblant de me gronder, et poussa un retentissant « Couché Nestor !... » auquel j’obéis immédiatement en me couchant à plat ventre, museau contre le sol. Puis il fit de son mieux pour rassurer le pauvre visiteur qui n’en menait pas large et tremblait comme une feuille. Après qui il ouvrit toute grande la porte d’entrée et congédia son hôte indésirable d’une vigoureuse poignée de main. Dès qu’il eut refermé la porte, mon maître se tourna vers moi et me dit dans un grand éclat de rire : «Nestor, tu es vrai coquin ! Tu as collé à ce fumiste la trouille de sa vie ! Encore un peu et il serait tombé dans les pommes ! Bon mais il ne l’a pas volé, et je suis sûr que c’est la dernière fois qu’il mettra les pieds chez moi !... ».

Je riais moi aussi dans mon for intérieur, tout réjoui que mon maître ait apprécié mon geste et fier de lui avoir rendu service en le débarrassant à tout jamais de ce donneur de leçons mal avisé qui, c’est certain ne s’aventurerait plus à sermonner les gens chez eux. Il faut reconnaître qu’il avait fait preuve d’audace en remettant ainsi à sa place ce barbu car la plupart des citoyens ordinaires, intellectuels ou pas, nourrissaient une certaine crainte à leur égard. Mon maître ne faisait aucune concession en ce qui concernait ses convictions personnelles et il refusait de se soumettre au « masla » cette sorte de pilule sociale qui permet de faire avaler n’importe quoi à ceux qui y croient. J’avoue que j’avais parfois un peu peur pour lui car j’avais des réminiscences de choses qui m’étaient arrivées dans ma vie antérieure, lorsque j’étais encore dans la peau de cet écrivain assassiné par des fanatiques religieux parce qu’il rejetait leur diktat et qu’il écrivait sans arrêt des textes dans lesquels il magnifiait la liberté et se moquait de l’obscurantisme des « fous de Dieu ». Il est vrai que le contexte était tout à fait différent et que mon maître n’était pas un écrivain, mais tout de même…On n’est plus sûr de rien de nos jours et on ne peut jamais savoir ce qui se passe dans la tête de ces hurluberlus illuminés, de plus en plus nombreux et de plus en plus hargneux (à suivre…)