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VIES DE CHIEN (56)

Mercredi 26 Septembre 2012

Après cette délicieuse baignade, qui pouvait se prolonger à souhait, au désir de mon maître, nous sortions de l’eau pour aller nous sécher sur le sable chaud de la plage. Mon maître marchait lentement pour retrouver son souffle pendant que je m’ébrouais de toutes mes forces, faisant s’éparpiller des myriades de gouttelettes d’eau de mer autour de moi. Mon maître riait de cette facétie et lui-même passait la main dans sa chevelure crépue, touffue, pour en essorer l’eau qu’elle avait absorbée comme l’eût fait une éponge. Puis il faisait quelques mouvements pour assouplir son corps, étirant ses membres dans tous les sens. Lorsqu’il en avait fini avec cette petite mise en train, il commençait à courir le long de la plage. C’était le signal : je me lançais aussitôt à sa poursuite en aboyant et il répliquait en piquant une pointe de vitesse, comme pour me défier. A mon tour, j’accélérais et ne tardais pas à le rattraper puis à le dépasser, étant évidemment beaucoup plus véloce que lui.

Eh oui ! Les chiens et surtout les bergers allemands sont des as de la course et sont dix fois plus rapides que les hommes, ces pauvres bipèdes qui de surcroît ont le souffle très court. On ne peut vraiment pas dire que la nature les ait gâtés sur le plan des dispositions physiques. Heureusement pour eux, Dieu les a dotés d’une intelligence de très loin supérieure à celle de toutes les autres créatures de la terre. Mais ils s’en servent si mal !...

Pour rendre le jeu plus agréable et aussi pour ne pas frustrer mon maître, je le laissais parfois me dépasser, lui donnant ainsi l’illusion qu’il était le plus fort. Je sentais alors qu’il était fier et que son orgueil d’être humain en était flatté. Mais mon instinct reprenait vite le dessus, faisant presque malgré moi se décupler mes foulées et coiffer mon maître sur le poteau. L’écume des vagues nous éclaboussait pendant que nous courions sur le sable humide où s’enfonçaient mes pattes de chien et les pieds nus de mon maître. Puis, lorsque nous avions couru tout notre soûl et que nous étions ivres du vent du large et des effluves de l’océan, mon maître, à bout de souffle, émettait un bref mais strident sifflement qui mettait fin à la compétition dont je sortais bien sûr toujours victorieux. Nous retournions alors au petit trot vers notre bosquet de filaos et remontions sur la dune au dessus de laquelle il poussait. Mon maître ouvrait la portière de la voiture et en ressortait un sandwich et de la boisson pour lui, des croquettes de chien et une écuelle d’eau pour moi. Nous asseyions tous les deux sur le sable de la dune, lui sur les fesses, moi à croupetons, et nous nous régalions en silence, jouissant de la plénitude de ce moment de mer. Mais l’apothéose de ces promenades dominicales restera toujours pour moi le moment où mon maître, ouvrant le livre de poésie qu’il apportait immanquablement, commençait à lire de sa voix suave des poèmes qui me plongeaient dans l’extase et que j’écoutais les yeux fermés, couché à plat ventre sur le sable.

Le bruissement du vent qui accompagnait la lecture portait la voix de mon maître et la faisait vibrer, augmentant ainsi l’intensité de cet étrange rituel poétique que mon maître semblait affectionner par-dessus tout et qui, sans qu’il s’en doute, me transportait moi-même au septième ciel. Pouvait-il savoir que dans une autre vie, j’avais déjà goûté les délices incomparables de ces poèmes immortels au son desquels mon âme ensorcelée s’aventurait dans des sphères connues des seuls initiés ? Pouvait-il imaginer un seul instant que dans le corps de son chien résidait l’esprit d’un adorateur des muses ? (…)


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1.Posté par aoûtat le 01/10/2012 15:39 | Alerter
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Bonjour,
Très bel récit! un article très bien écrit.