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VIES DE CHIEN (57)

Mardi 2 Octobre 2012

Chaque fois que nous allions à la plage de l’hydrobase, mon maître et moi étions entourés de bandes de chiens sauvages qui nous observaient de loin, couchés sur le sable chaud.

Ils étaient disséminés en petits groupes et, la langue pendante, haletaient comme s’ils mouraient de soif. Un grand nombre d’entre paraissaient malades et avaient le corps couverts de plaques de gales purulentes. Ils semblaient si fatigués qu’ils ne se donnaient même pas la peine de s’ébrouer pour chasser les essaims de mouches qui tournoyaient autour d’eux. Pourtant, de temps à autre l’un d’entre eux se levait brusquement et courait à toute vitesse sur la plage, aussitôt imités par certains de ses congénères qui le poursuivaient en aboyant à tue-tête. C’était semblait-il un jeu qu’ils affectionnaient et qui pouvaient durer parfois assez longtemps. Mon maître et moi avions l’habitude de voir ces chiens qui ne nous inspiraient aucune crainte et que notre présence n’indisposait apparemment pas.

Quoiqu’il en soit, ils se tenaient toujours à distance respectueuse et ne se hasardaient jamais à s’aventurer au-delà d’une certaine limite tacitement établie entre eux et nous. Parmi les groupuscules qui se formaient spontanément lorsque nous arrivions sur la plage, j’en avais remarqué un qui demeurait en permanence au sommet d’une dune de sable assez éloignée de celle où mon maître garait sa voiture. Tous les chiens s’y rendaient en un moment ou l’autre, quitte à revenir ensuite à l’endroit d’où ils étaient partis. Intrigué par cet étrange remue- ménage qui se répétait tout le temps, je voulus un jour en savoir la cause. Profitant de la pause lecture de mon maître, je le quittai et pris la direction de la dune mystérieuse dont je m’approchai à petits trots prudents. Lorsque je fus arrivé à une distance suffisante pour pouvoir distinguer ce qui s’y passait, je m’arrêtai et nez au vent, scrutai attentivement la dune.

Quelle ne fut alors pas ma surprise de voir, entouré d’une meute de chiens bien plus nombreuse que l’on ne pouvait se l’imaginer de loin, une sorte de molosse à l’imposant gabarit aux pieds duquel était couchée une demi-douzaine de femelles en train d’allaiter une ribambelle de chiots ! Je reconnus sans peine la race du patibulaire mâtin dont les mâchoires puissantes eurent fait frémir plus d’un : c’était un bouledogue ! Je me demandai avec le plus grand étonnement ce qu’il pouvait bien faire au milieu de cette horde de laobés chétifs dont il était, à n’en pas douter, le chef voire le roi ou peut-être même le dieu. Ayant regardé à satiété ce spectacle pour le moins hallucinant, je retournai prudemment sur mes pas et rejoignis mon maître qui venait juste de terminer la lecture d’une page de « Cent ans de solitude », un livre qu’il aimait entre tous. Quant à moi, je continuai de me poser des questions, sans trouver de réponses, sur ce que je venais de voir au dessus de la dune.

J’appris plus tard qu’en fait le fameux bouledogue était un chien féral qui, après avoir vécu longtemps chez un toubab de la cité vauvert, avait un jour brisé sa chaîne et avait pris la clef des champs, non sans avoir au passage mordu gravement le gardien de la villa du toubab qui tentait de l’en empêcher. Il avait choisi la liberté et les espaces sauvages de la langue de barbarie au lieu de la captivité, même dorée, chez son maître toubab. Ce dernier rendu inconsolable par la perte de son chien, avait lancé des avis de recherche avec promesse de fortes récompenses, organisé des battues, fouillé les coins et recoins de Ndar. En vain. Il n’avait jamais réussi à mettre la main sur le fugitif qui avait bien préparé son coup. (….)