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VIES DE CHIEN (60)

Mercredi 24 Octobre 2012


Telle qu’elle m’apparut la première fois que j’y avais posé les pattes, la maison paternelle de mon maître n’avait pas dû beaucoup changer. Il s’en dégageait un air rustique et ce cachet traditionnel que l’on retrouve souvent dans les faubourgs et quartiers populaires des villes africaines modernes. D’emblée j’avais aimé cette maison, si différente de celle de la mère de mon maître, et chaque fois que nous y allions, je m’empressais de courir à gauche et à droite dans la grande cour sablonneuse au milieu de laquelle poussait un sapotillier, au grand bonheur des petits-enfants de Ramatoulaye qui adorait jouer avec moi. Espiègles, comme le sont toujours les humains à leur âge, ils s’approchaient de moi sans crainte et passaient leurs petits bras autour de mon encolure, me caressant l’échine et le mufle à qui mieux mieux.

De mon côté je tirais du plaisir à me livrer à ces jeux enfantins des petits neveux et nièces de mon maître que je laissais faire tout ce qu’ils voulaient. Parfois, lorsqu’ils exagéraient un petit peu en me pinçant les oreilles ou en tirant un peu trop fort sur ma queue, je les écartais d’un froncement du mufle et poussais un bref mais rauque aboiement qui les faisaient se sauver en riant. Leur mère les rappelait alors à l’ordre d’une voix sévère : « Espèces de garnements, arrêtez d’embêter Nestor, sinon il va vous mordre et ce sera bien fait pour vous ! ». Effrayés par cet avertissement, les petits redevenaient sages et cessaient de me taquiner, devenant plus raisonnables avec moi. Si j’avais un faible pour la cour, je n’en étais pas pour le moins autorisé à rentrer dans les chambres comme bon me semblait. Mais je n’abusais pas de ce privilège et je préférais en général rester couché au frais sous le perron ombragé du grand bâtiment central où se trouvait la chambre de feu Birama Sy, le grand-père de mon maître. Ce dernier ne manquait jamais de se déchausser en entrant dans cette pièce ajourée où presque rien n’avait changé depuis la mort de son occupant. A n’en pas douter mon maître éprouvait un sentiment très particulier lorsqu’il venait à Balakoos où, de toute évidence, il cherchait à renouer le fil invisible et ténu d’un passé duquel il était conscient de tirer également sa substance.

En l’observant, j’avais l’impression qu’une métamorphose s’opérait en lui et qu’il devenait un autre. Que des voix qui sourdaient d’un lointain passé lui parlaient, que des images surgies d’un temps révolu lui apparaissaient et qu’il était à l’écoute de leurs messages sibyllins qu’il tentait de décrypter, lui, le cartésien pur et dur, le rationaliste intransigeant. Lorsque nous passions la journée dans la maison de Balakoos, mon maître s’installait dans la chambre de son grand-père qui lui était familière et s’asseyait sur le grand sommier à ressorts sur lequel reposait un antique matelas en crin de cheval.


Puis l’un après l’autre, il prenait les objets qui avaient appartenus au vieux Birama, avec une sorte de vénération recueillie : son chapelet aux perles nacrées, polies par un très long usage, sa chéchia rouge, ses babouches en cuir jaune citron, sa vieille djellaba marocaine que lui avait offerte le père de mon maître et dont il était si fier. Mais ce que mon maître aimait surtout palper, avec autant de précaution que s’il s’était agi d’une relique, c’était un vieux grimoire aux feuilles parcheminées jaunies par l’âge, écrit en caractères arabes de la main même de son aïeul, Thierno Bocar Sy, père de son grand-père Birama Sy. C’était un recueil de maximes et sentences à caractère essentiellement religieux que Thierno Bocar Sy, grand érudit de l’islam, avait composé en arabe et en pular (à suivre…)