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VIES DE CHIEN (68)

Jeudi 20 Décembre 2012

Tante Alimatou, la cousine germaine de mon maître. Elle-même avait mis une croix sur ses visites le jour où elle avait appris que ce dernier hébergeait un chien sous son toit. « Quoi ?!, s’était-elle exclamée indignée, Moi entrer dans une maison où il y a chien ?! Jamais de la vie !...Je savais que Jacques était un peu fou et qu’il aimait bien imiter les toubabs, mais alors là, c’est le comble ! Il peut être sûr que je ne poserai plus les pieds dans sa maison désertée par les anges à cause des souillures d’un chien ! »

Quelle ne fut alors pas la surprise de Yacine Camara le jour où elle vit débouler en trombe, mouchoir de tête au vent, laissant traîner derrière elle un sillage parfumé d’encens musqué et faisant tinter la dizaine de bracelets en or qui encerclaient ses avant-bras, tante Alimatou en personne ! Une sorte de rictus amer déformait les coins de sa bouche et les fines rides qui encerclaient les ailes de son nez aquilin semblaient s’être creusées davantage.

Peut-être le plus surpris, je vis tante Alimatou gravir par quatre les marches des escaliers avant de se retrouver juste en face du salon, complètement hors d’haleine ! Ayant entendu la porte d’entrée de la maison se refermer violemment, Yacine qui se trouvait alors à l’étage, était sortie de sa chambre et s’était empressée d’aller à la rencontre de la cousine de son mari qu’elle n’avait jamais vue dans un pareil état. La prenant par les épaules, elle la fit dans le salon où elle s’affala lourdement sur un fauteuil. « Mais, Alimatou, qu’est-ce qui se passe ?...Mbaa jamm ?... » interrogea Yacine éberluée. Pour toute réponse, sa belle-cousine éclata en sanglots bruyants, versant des torrents de larmes ponctués de hoquets qui soulevaient sa poitrine en mouvements saccadés et désordonnés. De temps à autre elle s’arrêtait pour se torcher le nez avec force, projetant des filets de morve gluante sur le fauteuil où elle était assise. La jolie moquette du salon ne fut pas épargnée.

Complètement dépassée par le comportement de tante Alimatou, Yacine ne savait que faire et se demandait avec inquiétude ce qui avait bien pu lui arriver, elle d’habitude si sûre d’elle-même et presque hautaine. Comme le recommande la tradition en de pareils cas, la femme de mon maître se leva pour aller à la cuisine d’où elle revint avec un grand verre d’eau fraîche. Elle le tendit à tante Alimatou à qui elle fit une petite tape dans le dos : « Tiens, bois, ça va te faire du bien… ».

Tante Alimatou, larmoyante, s’exécuta et but d’un trait l’eau fraîche du verre qui eut l’air d’avoir sur elle un effet apaisant. Puis la charitable Yacine fit démarrer le plafonnier qui commença à brasser l’air du salon et s’assit en face de tante Alimatou, en posture d’écoute. Cette dernière s’était calmée et ne pleurait plus, mais elle tenait son visage enfoui dans son visage, comme sous l’effet d’une grande douleur. Un lourd et énigmatique silence s’installa entre les deux femmes. Ne voulant pas être la première à parler, ce qui eût peut-être été inconvenant, Yacine se tenait coite et observait sa belle-cousine d’un air dubitatif. Tout à coup, sans crier gare, tante Alimatou explosa comme un volcan en éruption et de ses lèvres tremblantes s’échappa un flot de paroles rageuses.

Sa voix vibrait tellement de colère et d’indignation que Yacine en fut presque effrayée :
« Ah le salaud ! L’ordure ! Le traître ! Le requin ! Tu te rends compte ! Me faire ça, à moi, après trente années de mariage et une fidélité à toute épreuve ! Modou est vraiment le dernier des derniers ! Le pire homme de la création ! Maudit soit-il ! Qu’il aille en enfer ! » ….