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VIES DE CHIEN (6)

Mercredi 5 Octobre 2011

Bien sûr, me donner à manger et à boire était le cadet de leurs soucis et puisqu’elles ne laissaient presque jamais de reliefs de leurs repas épicés à mort, j’étais bien obligé d’aller dehors chercher ma pitance pour ne pas mourir de faim. J’écumai donc les poubelles du quartier à la recherche de nourriture et de temps en temps, une âme charitable me jetait un os à ronger. Avec un tel régime j’étais évidemment maigre comme un clou et mes côtes faisaient saillie sous la peau de mes flancs aplatis par une malnutrition chronique. Voulant mettre fin à cette vie de malheur, j’ai plusieurs fois tenté de me faire la belle, de quitter à tout jamais cette maison maudite dans laquelle il n’y avait pour moi qu’agonie et désespoir. Mais je souffrais d’un handicap terrible : j’avais peur de passer la nuit à la belle étoile et, n’ayant pas l’habitude de la rue comme les chiens errants, je finissais toujours par rebrousser chemin. La mort dans l’âme, je regagnais mon bouge où j’étais alors battu comme un plâtre par Awa G… qui, perspicace comme une sorcière qu’elle était, me soupçonnait d’avoir essayé de fuguer.

Ces corrections mémorables annihilaient en moi et pour longtemps toute idée de fuite et je continuais à traîner misérablement ma carcasse dans les ruelles sablonneuses du quartier sans toutefois jamais oublier de rentrer à temps dans mon cachot. Aussi cruelles qu’elles fussent avec moi, Awa G…et ses gourgandines de filles tenaient tout de même à ma présence dans leur maison. Et pour cause : elles étaient les seules à posséder un chien à domicile et cela leur conférait, pensaient-elles, un certain prestige aux yeux du voisinage. A leurs yeux, je représentais le symbole de l’aisance et de la classe et je les faisais ressembler aux toubabs qui gardent toujours des chiens chez eux. La différence avec les toubabs, c’est que ces derniers sont toujours aux petits soins avec leurs chiens qui sont bien nourris, dorlotés, parfumés et sont même enterrés dans un cimetière à leur mort alors que moi j’étais martyrisé et n’avais droit à aucun égard. Si je venais à trépasser, ma dépouille serait, c’est certain, jetée dans une fosse commune.

Les habitants du quartier qui avaient bien compris pourquoi Awa G… et ses filles continuaient de me garder sous leur toit, passaient leur temps à se moquer et à rire d’elles sous cape.

Ils les avaient surnommées « Les trois chiennes » et le bruit courait qu’elles avaient fait de moi leur « mari » et qu’elles couchaient avec moi à tour de rôle. E videment ce n’étaient que de fausses rumeurs colportées par les mauvaises langues car aussi vicieuses qu’elles fussent, « les trois chiennes » n’avaient jamais songé à se servir de moi pour assouvir leurs fantasmes sexuels. J’ai vécu deux ans, qui m’ont paru des siècles, dans ce goulag de quartier, ce camp de concentration pour chiens. Ayant mis une croix sur une quelconque idée de fuite après deux ou trois tentatives avortées et chaque jour qui passait ne faisant que rendre plus douloureux mon calvaire, la mort m’apparut alors comme la seule issue possible.

Je décidai de mettre fin à mes jours. Ce jour-là, piquée par je ne sais quelle mouche, Aïda, armée d’un gros bâton noueux, s’était sauvagement jetée sur moi et m’avait roué de coups, assaisonnés d’abominables d’injures, au point que j’avais cru ma dernière heure arrivée. (à suivre…)