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VIES DE CHIEN (7)

Mercredi 12 Octobre 2011


J’appris par la suite que la Aïda était rentrée dans une colère noire parce que son chauffeur d’amant, ayant pour une fois pris son courage à deux mains, avait refusé de lui remettre l’argent qu’elle lui réclamait pour s’acheter des produits dépigmentants afin de décaper le peu qui lui restait de peau naturelle. Elle s’en était tellement badigeonné tout le corps qu’elle dégageait une cadavérique odeur. Fatigué de devoir supporter ces relents fétides chaque fois qu’il était en sa compagnie, Alpha, son chauffeur de taxi avait décidé d’y mettre un terme et de lui prouver en même temps qu’il était un homme. Malgré les menaces, supplications, jérémiades, pleurs, câlins de sa dulcinée pour l’amadouer, le Peulh Fouta était resté inflexible et la fille n’avait pas réussi à avoir gain de cause.

Lorsque la sauvageonne avait eu fini de me passer à tabac, j’étais resté un bon moment couché dans la cour sablonneuse, à moitié mort et gémissant pitoyablement de douleur. J’avais l’impression que tous les os de ma carcasse de chien étaient rompus, brisés en mille morceaux et que je ne parviendrais plus jamais à trotter ni courir. J’aurais voulu rester là et mourir sur place, mais la peur de voir Aïda revenir à la charge me fit changer d’avis et me poussa à rassembler le peu de forces qu’il me restait pour me raidir et m’étirer à grand peine. Puis je me levai péniblement et sortis de la maison maudite en boitillant, décidé à en finir une fois pour toutes. Au prix d’efforts « surhumains » (comme disent les hommes pour se survaloriser), j’arrivai en clopinant en bordure de la grande route qui va vers le nord et je restai là, debout, immobile, le corps tout endolori, attendant qu’une voiture passe, pour me jeter sous ses roues et me faire écraser par elle. Je savais que ce serait une mort atroce, mais je préférais encore cela aux souffrances que j’endurais et qui semblaient ne jamais devoir finir.

Autant les abréger, même s’il fallait pour cela mourir jeune. Je n’eus pas à attendre très longtemps car quelques minutes seulement après mon arrivée sur la route, j’aperçus un faisceau de lumière projeté par une voiture qui filait à vive allure. La fin était proche…Lorsqu’elle fut presque à ma hauteur, je raidiis tous les muscles de mon corps, rassemblai ce qu’il me restait de forces, fermai les yeux et dans ultime sursaut de désespoir plongeai au milieu de la chaussée en disant adieu à la vie ! Après quelques instants qui me parurent une éternité, j’entendis le crissement suraigu des pneus de la voiture sur la chaussée accompagné d’une exclamation de surprise médusée. Je ne bougeai pas d’un centimètre, me demandant si je n’étais pas déjà mort et si je n’allai pas bientôt voir apparaître en face de moi la gueule anguleuse d’Anubis le chacal. Ce qui m’étonnait le plus c’est que je n’avais ressenti aucune douleur alors que je m’attendais à avoir les os broyés et les viscères expulsés de mes entrailles sous la violence du choc. J’avais déjà vu des cadavres de chiens écrasés par des voitures et à vrai dire ce n’était pas beau du tout ! Puis je sentis un petit vent me caresser l’échine et je me rendis alors à l’évidence que j’étais toujours en vie et loin du pays des chiens morts. Quel était ce sortilège ou plutôt ce miracle si c’en était un ? En fait, la voiture sous laquelle je m’étais jeté s’était immobilisée à quelques millimètres de ma carcasse roulée en boule.

Le chauffeur du véhicule, qui était un véritable as du volant, avait freiné à mort, réussissant ainsi à éviter le pire. Je ne bougeai toujours pas. Au bout d’un moment j’entendis l’homme ouvrir la portière de la voiture tout en poussant un ouf de soulagement et s’avancer vers moi qui, les yeux toujours fermés, me demandai avec angoisse ce qui allait m’arriver après ma tentative de suicide avortée. Je tremblais de tous mes membres, m’attendant à recevoir un coup de pied magistral suivi d’une bordée d’injures de la part du chauffeur qui, comme la plupart de ses congénères devait croire qu’écraser un chien porte malheur irrémédiablement. Il paraît même que certains à qui cela arrive arrêtent de conduire pour de bon ( à suivre…)