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VIES DE CHIEN (Première partie)

Lundi 5 Septembre 2011

A l’Ouest de l’île de Ndar, coincée entre l’océan et le fleuve, s’étend une étroite bande de sable aride sur laquelle poussent de manière sporadique quelques bosquets de filaos et où se trouve le quartier des pêcheurs de Guet-Ndar.

Au-delà du quartier des pêcheurs commence le vaste cimetière marin de Thiaka Ndiaye dont les tombes, creusées dans un indescriptible désordre, se superposent presque jusqu’au bord de la mer. Certaines sont même si proches des flots salés qu’on a l’impression qu’elles vont être englouties d’un moment à l’autre. Prolongeant le cimetière marin se trouve un second cimetière, militaire celui-là, dans lequel sont enterrés plus d’une centaine de tirailleurs sénégalais tombés au front pendant la deuxième guerre mondiale. A quelques encablures de là, un bosquet de filaos plutôt vigoureux, poussant sur un moutonnement de dunes irrégulières balayées par le vent du large. C’est en cet endroit que s’étend mon domaine, sur ces arpents de sable fin où je règne sans partage sur une bande de chiens errants, plus ou moins faméliques mais libres et insoumis, qui se nourrissent tant bien que mal des maigres restes jetés par les gens du village voisin et qui boivent l’eau du fleuve tout proche.

Eh bien, si vous ne l’avez pas encore deviné, je suis un chien sauvage et je vais sur mes sept ans, ce qui dans la vie d’un être humain correspond à peu près à l’âge de la maturité.

En fait je n’ai pas toujours vécu à l’état sauvage comme à présent et l’errance n’a pas toujours été mon mode de vie. Bien au contraire même. Au cours de mes vies successives, il m’est arrivé de mener une existence confortable, douillette, au cours de laquelle je n’ai jamais eu à souffrir des affres de la faim ni des incertitudes du lendemain, comme c’est le lot de la plupart des chiens du monde, et mon quotidien était réglé comme du papier à musique. Aujourd’hui encore je me souviens de cette époque bénie avec une pointe de nostalgie et lorsque je suis couché à plat ventre en face des vagues de l’océan, les yeux mi-clos, papillotant d’étoiles face au soleil, la langue pendante, le souffle court, dans cette posture qu’affectionnent ceux de mon espèce, je me remémore avec tendresse ces visages amis qui m’ont prodigué tant de chaleur et de joie et m’ont fait connaître ce que l’on appelle dans le langage humain, le bonheur.

Certes je n’ai pas connu que douceur et joie de vivre lorsque j’étais encore parmi les hommes et ces derniers ne sont pas tous, loin s’en faut, des modèles de bonté et de compassion. J’ose même affirmer, après ce que j’ai vécu auprès de la plupart d’entre eux, que le méchanceté est la chose la mieux partagée par cette espèce qui se croit pourtant au dessus de toutes les autres, qui se croit, on ne sait trop pourquoi, élue parmi les élus alors qu’elle est capable des pires atrocités et qu’elle est la plus destructrice qui soit. Il n’y a qu’à voir tout ce que les hommes se font entre eux et tout ce qu’ils font subir à la nature pour se convaincre qu’il s’agit vraiment d’une race malfaisante. Heureusement pour moi, le destin a fait que je sois tombé sur l’un de ces spécimen rares chez lesquels l’on peut avoir la chance de trouver de ces vertus adorables qu’à l’origine le Créateur du monde dispensa à tous les êtres humains mais que ces derniers, à cause de leur fausseté et de leur méchanceté, perdirent par la suite définitivement. En fouillant dans les tréfonds de ma mémoire, le premier visage qui me revient, parmi tous ceux que j’ai aimé de tout mon cœur de chien, c’est celui de mon maître, ce parangon de la bonté et de la générosité humaines. A chaque fois que je pense à lui, des flots de tendre affection envahissent tout mon être et mes poils se hérissent tandis que mes yeux s’humectent de larmes nostalgiques. Ces caresses me manquent de même que sa douce voix de soprano qui me faisait japper de bonheur lorsque je l’entendais m’appeler par mon nom ou qu’il me sifflait mélodieusement pour me jeter un morceau de viande ou un jarret de boeuf charnu dont je raffolais plus que tout autre chose. Parfois aussi il le tenait au bout de bras au dessus de ma tête, m’obligeant à sautiller et courir autour de lui en aboyant pour qu’il me le jette enfin. Je me prêtais volontiers à ce jeu car je savais que mon maître s’en amusait beaucoup et j’éprouvais un énorme plaisir de le voir rire aux éclats et me donner des ordres avec des inflexions enfantines dans la voix. Jamais jusqu’à mon dernier aboiement je n’oublierai cet homme qui m’a offert les plus belles années de ma vie de chien et m’a appris tant de choses que l’on ne pourrait jamais soupçonner être emmagasinées dans ma tête de canidé.

Je l’ai déjà dit : j’aimais beaucoup mon maître qui me le payait bien en retour. Tous les matins il m’achetait de délicieux pâtés pour chien, de savoureux biscuits de la meilleure marque, des friandises de toutes sortes et il veillait à ce que mes repas me soient régulièrement servis par les domestiques de la maison.

Par Louis Camara