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Patrimoine urbain : Gorée, île mémoire en péril

Dimanche 13 Juillet 2014

L’île de Gorée est la mémoire de la traite atlantique et ce qui reste de cette période sombre pour l’homme noir. La maison des esclaves, témoin de ce passé douloureux, en est l’un des symboles les plus visités par les touristes. Ce site, inscrit sur la liste du patrimoine mondial depuis 1978, est protégé au titre des monuments historiques. Mais, aujourd’hui, on assiste à la dégradation des édifices publics de l’île, certains servant même d’habitation. Un phénomène qui peut constituer un frein au processus de transmission de la mémoire de Gorée et de son patrimoine urbain.

L’église Saint-Charles Borromée, le Fort d'Estrées (Musée historique du Sénégal), l’Hôtel de ville, la Maison des esclaves, la Mosquée de Gorée, le Musée de la femme Henriette Bathily, la Place du Gouvernement, la Place du marché, le Quai des Boucaniers, l’école des jeunes filles Mariama Bâ, ou l’école des « anciens présidents » William Ponty …, ce sont autant de bâtisses qui font le charme de Gorée. L'île-mémoire est plantée dans l'azur profond de l'océan Atlantique, à quelques encablures de Dakar. Une petite île attachante dont les vieilles maisons fleuries de bougainvilliers surplombent une poignée de sable fin et baignée d'eau claire. Gorée se visite à pied et une journée s'avère nécessaire pour l'explorer à fond. D’où cette attraction touristique singulièrement en période estivale. Ce haut de lieu de mémoire est devenu depuis 1978 patrimoine mondial de l’Unesco. Le passé de l’île est souvent assimilé au souvenir des souffrances et traumatismes subis par l’Afrique et sa diaspora à travers l’esclavage et la traite atlantique.

Cette île d’environ 1.200 habitants reçoit chaque année des milliers de visiteurs venant de toutes les contrées. Mais, l’Etat du Sénégal est aujourd’hui face à un grand dilemme en ce qui concerne la sauvegarde de la mémoire collective de Gorée. Faut-il laisser les monuments et constructions coloniales de l’île tels qu’ils sont, sous le poids de l’âge, pour garder leur authenticité et tout ce mythe autour, ou bien faut-il les rénover pour une plus grande longévité, tout en démythifiant l’île, la désacralisant ?

Devenir de l’île
Assis sous le grand arbre de la place du gouvernement, Abdoul Aziz Ndiaye regarde passer les nombreux visiteurs qui viennent de débarquer de la chaloupe. Aussi, réfléchit-il sans doute au devenir de son île natale. « Nous, en tant qu’administration communale, nous ne pouvons pas rénover parce que nous n’avons pas les moyens. Ce sont des projets de l’Etat. Nous pouvons avoir des partenaires étrangers pour nous aider à refaire les maisons et les attribuer aux gens parce que nous n’avons pas de patrimoine foncier à Gorée », explique A. A. Ndiaye. Il ajoute : « La commune n’hérite de rien par rapport aux autres communes de Dakar. Nous sommes juste un petit périmètre, c’est tout. Nous aimerions que l’Etat nous aide à rénover toutes ces maisons même si c’est pour payer un loyer symbolique ».

Ces bâtiments, ô combien importants pour la transmission de la mémoire collective aux générations futures et qui ont chacun une histoire bien définie dans le processus du commerce et de la traite négrière, ne tiennent plus. Et plus grave encore, certains habitants de l’île en ont fait leurs domiciles. C’est le cas de l’ancienne École normale William Ponty, où près d’une centaine de personnes résident actuellement. Abdoul Aziz Ndiaye, surveillant de plage à la retraite qui loge dans ce bâtiment, juge ce phénomène d’indispensable. « J’habite dans cette ancienne école depuis maintenant 6 ans. Nous sommes obligés de rester ici car nous savons tous qu’il n’y a pas d’espace où construire à Gorée », déplore l’ancien agent de la ville de Dakar. « Ma grand-mère a fait la lessive avec Houphouët Boigny à William Ponty », se targue le sexagénaire. Ce monument très représentatif dans le patrimoine urbain de Gorée ne peut même plus être exploré dans son intégralité à cause de son occupation par les populations de l’île. « C’est un plaisir et une fierté » pour Maïmouna Sarr, habitante de Gorée, de s’approprier ces locaux. Connaît-elle l’histoire qui se cache derrière ces bâtiments ? « Oui, c’est l’école des anciens présidents africains », répond-elle avec le sourire. Transformé en habitations, ce haut lieu qui a formé de grands hommes du continent a perdu sa structuration d’origine. « Nous-mêmes nous ne savons pas où se trouvaient les salles de classe. Pourtant, quand les gens viennent, ils veulent savoir, mais nous ne savons pas », affirme-t-elle.

Goree M EsclavesL’île, classée patrimoine mondial de l’Unesco en 1978, semble résister à la transformation architecturale moderne. Ces anciens bâtiments qui ont contribué à forger son identité gardent encore leurs spécificités. Ils sont debout même si l’état de délabrement, pour la plupart, reste visible et très avancé. Peintures délavées, toitures à moitié écroulées, fenêtres et portes cassées et ressoudées, les édifices publics de Gorée sont aux abois. Malgré les stigmates du temps, certains habitants restent convaincus que les constructions en ont encore pour des années. Dans son récit qu’il veut convaincant, l’un des guides de l’île, Hamidou Ndiaye, précise que « la Maison des esclaves est faite à base de pierres rocheuses et de pierres volcaniques », ce qui lui permet de traverser les âges.

Une architecture typique
« Ces bâtiments de Gorée tiennent bien plus que n’importe quel bâtiment à Dakar parce que ce n’est pas le même type de construction. Les murs sont faits en roches basaltiques, sans fer à l’intérieur. Il n’y a que du ciment ou alors avec du matériel ancien ; c’était de la chaux et des coquillages. Le tout était d’abord mélangé avec du sable, mis dans un four avant d’être aspergé sur le mur », explique Abdoul Aziz Ndiaye. Néanmoins, il aimerait que certaines bâtisses soient réaménagées en logements pour les habitants. Ces derniers essaient d’adapter ces maisons à leurs besoins au risque de les endommager ou de mettre leur vie en danger. Pourtant, le fait que ces constructions soient classées patrimoine mondial ne leur laisse pas la latitude d’y apporter des touches de modifications. Et même s’ils avaient ce droit, les moyens financiers feraient défaut car une reconstruction nécessite des investissements importants surtout sur un périmètre comme Gorée. C’est pour cette raison qu’Abdoul Aziz Ndiaye lance un appel à l’Etat sénégalais. Selon lui, la mémoire collective de la race noire qui a vécu les moments les plus sombres de son existence dans cette île risque de s’éteindre si des solutions durables ne sont pas mises en œuvre.

Pour le moment, le climat et la vétusté de ce patrimoine urbain ont pris le dessus et sont bien partis pour plonger les générations à venir dans l’ignorance totale de leur histoire, de leur culture.

Un reportage de P. Alioune NDIAYE
et Kpénahi TRAORE (stagiaires)
LE SOLEIL


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