"L’île Saint-Louis est un amas de sable qui ne produit rien de bon. Il n’y vient ni arbres, ni plantes, ni herbes, ni légumes d’aucune espèce. Ce lieu, quoique brûlant et d’un climat malsain, est regardé dans toute l’Afrique comme un lieu de délices. Ses habitants l’aiment avec fureur, n’imaginant pas d’autre bonheur que d’y vivre, quoiqu’ils soient bien rares de n’y point mourir jeune. Tous les trésors de l’Europe ne les détermineraient pas à y passer. "


Une société metisse originale: Saint-Louis du Sénégal, aux 18emes et 19emes siècles.
Lieu de convergence, comme intemporel et en constante extra-territortalité, issue des hasards heureux de la rencontre du fleuve, de la mer et du sable, cette ville, en déroulant les anneaux de son histoire, a, longtemps, intrigué les uns, et beaucoup agacé les autres, laissant rarement indifférent. 
 
Il est d’usage, à propos de Saint-Louis et des différentes composantes de sa société, de s’en tenir à quelques clichés mêlant exotisme et courtisanes, collaboration et complexe, grandeur et décadence, qui ne permettent pas de mettre en lumière les subtilités de cette alchimie. Et les Saint-Louisiens semblent eux-mêmes les premiers à entretenir une sorte de brouillard autour de leur propre histoire comme pour en gommer les contours, et en voiler les spécificités dans un vaste désir de "normalisation". 
Pourtant, il nous semble que l’étude de la société saint-Louisienne la rend d’autant plus intéressante qu’un simple examen, sans a priori réducteur, permet d’en percevoir et l’originalité et les fondements, plus subtils que les apparences vaines pourraient le laisser croire. 
 
 
L’histoire "coloniale" du Sénégal s’articule autour d’un axe fondateur qui est la personne du Gouverneur FAIDHERBE. Il y a le Sénégal d’avant FAIDHERBE et le Sénégal d’après FAIDHERBE. 
 
 
Lorsque Louis FAIDHERBE est nommé Gouverneur du Sénégal, en 1854, sur la pression des commerçants bordelais dont il était devenu l’homme-lige, il met fin à deux décennies d’agonie de ce que l’on a appelé la "période des comptoirs" pour s’engager résolument dans la période purement coloniale d’occupation militaire et d’exploitation économique. 
Dans le souci d’une perspective qui mette en avant le personnage de FAIDHERBE, la période dite "des comptoirs" a souvent été négligée et laissée en arrière plan alors qu’elle se caractérise surtout, au Sénégal, et de façon à peu près unique au monde, par une coexistence à peu près pacifique des deux sociétés, sénégalaise et européenne. 
 
La donnée fondamentale de cette époque, allant de la "découverte" en 1944 à l’arrivée de FAIDHERBE en 1854, est qu’elle ne se fonde pas sur un rapport de domination militaire ou territoriale. 
 
En résulte une société particulièrement riche parce que formée des alluvions intimement mêlées de tous les courants économiques, historiques, linguistiques, raciaux, culturels... et juridiques. 
 
Ce creuset se constitue dès les origines et atteint son apogée à la fin du XVIIIème siècle et dans les premières années du XIXème avant de connaître une décadence progressive avant que FAIDHERBE ne lui donne le coup de grâce. 
 
Cette période particulièrement tumultueuse de l’histoire de France allait, à des degrés divers, agir directement ou indirectement sur le flux et le reflux des idées et des actes politiques dans ces infimes satellites de la France qu’étaient les minuscules comptoirs de la Côte Occidentale d’Afrique. 
 
Si, à partir de FAIDHERBE, le Sénégal entre dans la "routine" d’une domination coloniale classique, avec son cortège de grandeur et de petitesse, la période qui lui précède, et singulièrement avant son entrée en décadence, est riche d’un foisonnement historique, économique, social, politique et juridique qui ne peut qu’attirer l’attention.
 
 Sylvain Sankalé