L’art d’être Saint-Louisienne ( Par feue Mame Seynabou Diop)
Saint-Louis du Sénégal, ville carrefour, présente sa spécificité à travers l’éducation de ses fils, son histoire avec l’école française, sa culture, aspects dans lesquels les femmes occupent une place primordiale.
 
Dans la cellule familiale, l’éducation de l’enfant incombe aux parents et à la fratrie. Elle est axée sur le respect des parents, des ainés, le droit de réserve. En ce qui concerne le droit de réserve, la communication non verbale entre parfaitement en jeu. Ainsi, l’enfant est éduqué à ne pas regarder dans les yeux une personne plus âgée ; à tenir sa langue et ne pas relater les faits. Pour
cela, des tests permettaient aux parents de voir si les instructions données à leurs enfants sont respectées. Par exemple,
après le passage d’un invité à la maison, les parents pourraient demander aux enfants : qui peut me dire la couleur des chaussures de l’invité ? L’enfant qui parviendrait à donner la couleur ainsi que tous les détails serait corrigé.
 
Partant du fait qu’un enfant est l’enfant de la société, n’importe quel adulte se doit de le corriger dans la rue au cas où il n’aurait pas respecté les instructions éducationnelles et conventionnelles. De plus, l’enfant est tenu de suivre les instructions comme s’il était en face de ses propres parents.

Par ailleurs, les enfants, sachant que l’éducation se poursuit dans la rue, se devaient d’être sages partout. A Saint-Louis, l’école coranique était un passage obligé pour l’enfant. Le maître coranique inculquait aux enfants des connaissances et valeurs religieuses mais également perpétuait les instructions des parents.

 Enfin, Saint-Louis fut la première ville au Sénégal à avoir une école avec la présence de l’institution saint-Joseph de Cluny
créée en 1826, qui devient au fil des années un établissement huppé, le seul fréquenté par les filles de bonne famille jusqu’à
la laïcisation des écoles en 1904. Les premières sœurs de Cluny arrivent à Saint-Louis en 1819 envoyées par Anne Marie
Javouhey, la fondatrice et superviseure de la congrégation. Claudine Javouhey, sa sœur est à la tête d’un groupe de six
religieuses avec pour mission d’assurer la marche de l’hôpital. Elles y prennent leur service et ouvrent une école pour les
jeunes négresses, sur les lieux de l’école actuelle qui sera reconstruite en 1860. Elles ont aussi ouvert l’école du Nord qui
deviendra le Lycée Faidherbe, l’orphelinat de Ndar-Toute en 1851. Jusqu’au milieu du siècle, les prêtres catholiques assureront l’essentiel de l’enseignement dans l’île. 

Cependant, il ne s’agit point seulement de ce savoir-vivre qui est souvent une affaire de conventions ou de dressage, mais
avant tout de cette formation qui rend naturel le tact, la discré- tion, le raffinement et la délicatesse. Bien des familles de l’intérieur envoyaient leurs enfants préférés à un parent saint-louisien pour lui faire acquérir le Yaruu ndar, l’éducation de SaintLouis. Aminata Sow Fall rappelle dans ses souvenirs d’enfance comment la jeune saint-louisienne était éduquée : « L’élégance
du geste, de la parole, de l’habit, de la démarche et de la cuisine (avec le goût naturellement) était cultivée comme une
vertu cardinale au même degré que l’honnêteté, le sens de l’honneur, le respect de l’autre, de la dignité et de l’hospitalité.
Etre débraillé ou négligé était un pêché capital. Chacun à son niveau, avec les moyens dont il disposait, se devait d’offrir à la
communauté l’image la plus positive de sa personne.

Tout ce qui pouvait gâcher cette image était banni : le fait de marcher trop vite par exemple, de courir à travers les rues, comme un écervelé. Combien de fois n’avais-je pas été rappelée à l’ordre : qu’as-tu à te presser ! Marche lentement, cela ne t’empêchera pas d’arriver à destination » Et moi toute penaude, n’y comprenant rien du tout car n’ayant pas conscience de cette vitesse que l’on me reprochait tant, j’essayais de ralentir en comptant mes pas. Le plus drôle c’est qu’il n’y avait jamais de leçons ; on ne nous montrait pas comment il fallait marcher ; seulement des réprimandes pour obliger tous les enfants pressés à regarder les autres, à s’auto-éduquer, adopter le rythme ambiant, s’engager ainsi dans la voie de la responsabilité et éviter le mépris que l’on vouait aux gens pressés.

 
A petits pas, lentement : une manière de célébrer la parfaite corrélation entre l’indispensable sérénité de l’esprit, la dignité
de l’habillement et la poésie du corps humain. Il faut mériter l’insigne honneur d’avoir été créé à l’image de Dieu »

Source: Abdoul Hadir Aidara (Saint-Louis du Sénégal d’hier à Aujourd’hui)