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Attentats à Paris: le Sénégal entre compassion et ressentiment

Vendredi 20 Novembre 2015

Ecrivain et professeur agrégé d’économie à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis du Sénégal, Felwine Sarr a écrit des essais à la fois personnels et philosophiques, qu’il s’agisse de Dahij, publié en 2009 chez Gallimard en France ou de Méditations africaines, en 2012 chez Mémoire d’encrier au Québec. Depuis le Sénégal, il revient sur la nature du choc en Afrique de l’Ouest après les attentats du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis, en banlieue parisienne.


L'écrivain sénégalais Felwine Sarr. Antoinet Tempé
L'écrivain sénégalais Felwine Sarr. Antoinet Tempé
RFI : Comment expliquez-vous l’ambivalence des réactions en Afrique francophone après les attentats du 13 novembre à Paris, entre compassion et ressentiment ?

Globalement, c’est la compassion qui l’emporte largement. Au Mali, elle paraît plus nette et forte, parce que ce pays a vécu dans sa chair la même expérience du terrorisme jihadiste. La géopolitique disparaît alors pour laisser la place à la simple humanité. Cependant, ce sentiment ambivalent vient probablement du fait que vue d’Afrique, l’Europe donne l’impression d’être un peu trop centrée sur elle-même. Quand une telle tragédie la touche, elle exige du monde l’expression d’une compassion dont on ne la sent pas capable quand ce sont les autres qui sont frappés par les mêmes drames. Je crois qu’il faut plutôt lire dans ces réactions ambivalentes un désir de réciprocité et de reconnaissance de notre commune humanité.


Que pensez-vous de la montée de l’islamisme en Afrique de l’Ouest ?


Elle dure depuis le début des années 2000 quand al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi, a fait du Sahel une zone d’expansion. Au Sénégal, l’islam a évolué ces trente dernières années : il reste tolérant et confrérique, ce qui n’a pas empêché des gens d’aller étudier dans les pays du Golfe, pour en revenir avec une idéologie salafiste wahhabite. Au sein de cette tendance minoritaire, les apôtres de la violence restent ultra-minoritaires. Ils ne semblent pas représenter pour l’heure une menace inquiétante, parce que les autorités ont été vigilantes. Ces groupes sont infiltrés. La police et les services de renseignement font leur travail, en profondeur et en toute discrétion. Nous observons actuellement un changement de communication de la part du pouvoir autour de cette action. Pour la première fois, on a entendu parler d’imams arrêtés à travers le pays pour leurs liens supposés avec la secte islamiste du Nigeria Boko Haram. Le président du Sénégal a annoncé le 9 novembre dernier sa décision d’interdire le voile intégral, ce qui ne manque pas de faire débat.


Prend-on la mesure du risque d’attentat à Dakar, qui n’est pas plus à l'abri que les autres capitales en Afrique de l’Ouest ?


Des attentats terroristes se sont produits à Nouakchott, à Bamako et Abuja. A ce jour, aucune attaque n’est à déplorer au Sénégal – non parce que le pays est un îlot, mais parce que ces groupes ne sont probablement pas assez forts et structurés. Et les autorités ont jusque-là fait leur travail. Il existe certes des tensions, mais culturellement, l’islam du Sénégal est tranquille et les gens ne se reconnaissent pas dans la violence. En même temps, le salafisme wahhabite gagne du terrain, notamment dans les zones les plus vulnérables économiquement. Il répond probablement à différentes quêtes et frustrations. Après l’attentat contre Charlie Hebdo, le président du Sénégal est allé à Paris. Certains groupuscules le lui ont reproché et ont appelé à manifester le vendredi suivant, jour de prière. Ils n’ont pas réussi à mobiliser, pas plus que lors de la manifestation de protestation contre la « Une » de Charlie Hebdo qui caricaturait une nouvelle fois le prophète, une semaine plus tard, bien que l’opinion ait fortement réprouvé ces caricatures.


Que faire face au risque de radicalisation des jeunes ?


Avoir d’autres propositions de vie et de cheminement à leur faire. Le salafisme fournit une explication du monde très simple, un univers clivé entre des bons et des méchants, qui peut séduire des jeunes en construction. Il offre des cibles à haïr, un discours sur l’identité qui va jusqu’au corps et à l’habillement. Son dispositif fonctionne parce qu’il répond à plusieurs besoins existentiels. Plus l’espace culturel est déserté, plus ces propositions auront une force, parce qu’elles répondent à un besoin de projet, de sens, et d’identité. S’y ajoutent parfois les nécessités économiques. Des hommes sont allés vers le jihadisme en Algérie parce qu’on leur a offert une paire de baskets à la mosquée… Second point : un débat est à mener au sein de l’islam pour déconsidérer et récuser certaines options, d’un point de vue philosophique et théologique. Ce combat, les théologiens doivent le remporter pour que les lectures violentes du Coran soient délégitimées .

Une réponse institutionnelle reste à apporter, comme au Maroc, un pays qui a formé ses imams pour que leurs prêches répondent à l’idée que le royaume chérifien se fait de son islam. Le tout, sans être dupe. Car le recours idéologique à l’islam des terroristes n’est qu’un prétexte. Une volonté de puissance, de contrôle et de domination se sert du lexique d’une culture religieuse et de frustrations. D’où la complexité de la réponse qui doit porter sur plusieurs niveaux et dans la durée. La réponse sécuritaire traite des effets et non des causes, qui se trouvent ailleurs.


Propos recueillis par Sabine Cessou
RFI.FR


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1.Posté par paracetamol le 20/11/2015 19:19 (depuis mobile)
Encore une bonne analyse d''un homme au savoir varié : universitaire et artiste comme ses soeur et frêres.
Effectivement l''aspect économique et financier est important.

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