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« La criminalisation n’est pas la meilleure solution »

Papa Ousmane Diallo, Président de la Cour d'Assises de Saint-Louis sur le trafic de drogues et les infanticides

Lundi 29 Juillet 2013

Les dossiers d’infanticides encombrent les rôles des juridictions d’exception tout comme de nombreux trafiquants de drogues, en détention préventive, contribuent au surpeuplement des prisons en attendant de passer devant la Cour d’assises, en vertu de la loi Latif Guèye. Pour Papa Ousmane Diallo, Président de la Cour d’assises de St. Louis, la criminalisation de ces infractions n’a pas donné l’effet souhaité. « Parfois, on réprime mieux en correctionnalisant qu’en criminalisant », considère-t-il. Le juge Diallo s’est confié à Sud quotidien au terme de la 3ème session de l’an 2013 de la Cour d’assises de Saint-Louis.


« La criminalisation n’est pas la meilleure solution »
Sur les nombreux 23 affaires inscrites au rôle de cette 3ème session de la Cour d’assises, on a noté pas moins de neuf cas d’infanticides. Qu’est-ce qui explique cela ?

Je ne sais pas trop, mais d’après les informations que j’ai eues, il y a d’autres cas, tout le rôle n’a pas été purgé. Il y a d’autres cas, surtout ceux relatifs au trafic de chanvre indien en prison, qui sont en attente. Le parquet général, maître de l’enrôlement, a voulu peut-être purger les cas d’infanticides. Lorsque, j’ai reçu le rôle, je me suis effectivement rendu compte que nous avions neuf cas d’infanticide sur les 23 affaires. Mais, cela s’explique également par le fait que l’infanticide est devenu courant dans notre société.

On a constaté que les peines n’ont pas été sévères à l’encontre des auteurs d’infanticide et il y a même eu des acquittements.


C’est vrai que les peines n’ont pas été très sévères mais, cela ne veut pas dire que nous avons violé la loi. Nous étudions les dossiers, cas par cas, en tenant compte de leurs spécificités. Le juge a souvent recours à une expertise médico-légale. Nous tenons compte des faits mais également de l’avis du médecin, qui, souvent, nous éclaire, même si nous ne sommes pas liés par son avis, mais, il est parfois difficile de se passer de l’avis du médecin. Pour retenir effectivement qu’il y a infanticide ou non, il faut que nous soyons sûrs que l’enfant est né vivant.

Sinon, on ne peut pas retenir l’infraction d’infanticide. On est obligé de procéder par ce qu’on appelle la « requalification » dans ce cas, les peines seront plus douces. Si le maitre des poursuites demande la requalification, c’est que le parquet lui-même n’est pas convaincu de l’infraction et s’il y a doute, on est obligé d’acquitter.

Est-ce que cette légèreté des peines n’encourage pas une recrudescence des infanticides ?

Non, les peines sont sévères. Ce sont les mêmes peines que pour les meurtres. Mais, pour pouvoir condamner, il faut être sûr que l’infraction est constituée. Au cas échéant, nous ne pouvons que condamner parce que nous sommes tenus par la loi. En revanche, si nous n’avons pas la preuve, le doute va profiter à l’accusé. Si on peut également, à défaut de qualifier l’infanticide, on essaie de voir si les faits peuvent recevoir une autre qualification, l’infraction aux lois sur l’inhumation par exemple. A défaut, on est obligé d’acquitter.

On a constaté parmi les dossiers d’infanticides, des cas poignants de dames, qui, plus de dix ans après les faits et après avoir bénéficié de liberté provisoire, puis fondé une famille, sont emprisonnées de nouveau pour comparution avec toutes les conséquences au plan social. Comment prévenir ce genre de drame ?

C’est un dysfonctionnement de la justice, il faut le reconnaître. Ça, c’est le rôle des magistrats. Je crois que le parquet a voulu, dans cette session, enrôler tous ces dossiers. Nous avons même eu des cas d’extinction de l’action publique par la prescription. Des cas douloureux, nous en avons rencontrés, surtout des cas d’infanticides. Du fait de la magnanimité des juges, on a eu à accorder la liberté provisoire à certaines accusées et, malheureusement, c’est au bout de plusieurs années après que les affaires ont été enrôlées. Même si l’infraction a été constituée, parfois, vous convenez avec moi qu’il serait difficile de prononcer une peine parce qu’il faut dire que ce qui est recherché en matière de condamnation, ce n’est pas simplement une peine effective ou infamante, mais c’est également la resocialisation des auteurs de ces infractions. On s’est rendu compte dans certains cas que des accusés sont déjà resocialisés et les condamner reviendraient à créer un désordre social. Nous avons rencontré des cas dans lesquels les femmes ont bénéficié de liberté provisoire, ont eu à se resocialiser en se remariant ou se mariant et obtenu des enfants. Et six, huit ans, voire plus après, elles sont revenues à la barre pour être jugées. Figurez-vous, si on retient la qualification d’infanticide, elles auront au minimum 5 ans de travaux forcés et que dans ces conditions la peines va recouvrer toute sa signification.

Est-ce que la multiplication des cas d’infanticides, ainsi que les disfonctionnements ci-dessus relevés ne donnent pas raison à ceux qui préconisent tout bonnement la correctionnalisation de ce genre d’infractions ?

Nous avons la même conviction. A notre avis, il faut correctionnaliser l’infanticide. Les gens pensent qu’en criminalisant, on décourage les auteurs. Ce n’est pas toujours évident. Parfois même, on réprime mieux en correctionnalisant qu’en criminalisant. En correctionnalisant, les preuves sont là, palpables. Mais, avec la criminalisation, plus on met du temps, plus les preuves s’effritent. Et, dans ce cas on ne peut plus atteindre l’objectif que l’on visait. Or, si on correctionnalise, l’auteur est jugé dans un temps très voisin de l’action et il y a moins de risques de perdre les preuves. De surcroît, on peut appliquer les même peines voulues par le législateur, sans pour autant que cela porte atteinte à la société. C’est la raison pour laquelle, nous pensons que la criminalisation n’est pas la meilleure solution. D’ailleurs, il est parfois, plus indiqué de correctionnaliser que de criminaliser. L’objectif sera même mieux atteint dans ce cas de figure qu’en criminalisant.

Qu’est-ce qu’il faudrait pour faire fléchir la montée en flèche des infanticides ?

Ce n’est pas le rôle du magistrat. Ce n’est pas non plus du ressort exclusif du législateur. C’est peut-être le rôle des gouvernants ou celui des sociologues, entre autres. Nous sommes dans une société où la plupart des habitants sont pauvres ; c’est cela souvent qui explique certaines infractions. Dans les pays développés, les infractions d’infanticides deviennent de plus en plus rares. Il faut que les gouvernants multiplient les actions allant dans le sens d’éviter ces infractions, parce que le magistrat n’intervient qu’en dernier lieu et, c’est souvent pour sanctionner. Le juge est le dernier maillon de la chaîne, le seul moyen qu’il a, c’est de taper pour pouvoir décourager, mais les peines ne sont pas souvent dissuasives. Prenons l’exemple des cas de trafic de drogue, quand bien même on a criminalisé avec la loi Latif Guèye, l’impression qui se dégage c’est qu’il y a une recrudescence de cette infraction. Est-ce que l’objectif visé a été atteint ? Je ne le pense pas.

Dans les affaires enrôlées par la Cour d’assises, il y a un nombre assez important de prévenus qui n’ont pas comparu, parce qu’en cavale, après avoir obtenu une liberté provisoire. Quelle réflexion cela vous inspire-t-il ?

Les gouvernants demandent à ce que les juges soient beaucoup plus compréhensifs et c’est ça l’inconvénient. Vous accordez une liberté provisoire à quelqu’un et le jour du jugement, il ne comparaît pas. On est obligé d’en tirer toutes les conséquences, c'est-à-dire, si les faits sont avérés, de condamner et de décerner le mandat d’arrêt. Mais dans beaucoup de cas, pour les faits très graves, les juges ont eu à accorder les libertés provisoires et malheureusement les accusés n’ont pas comparu. On a été obligé de les juger par contumace et si nous sommes convaincus de leur culpabilité on assume toutes les conséquences, on condamne et on délivre le mandat d’arrêt. Par contre, on ne condamne pas ipso facto. Vous avez remarqué que pendant cette session, on a eu à prononcer des acquittements pour certains prévenus, même s’ils n’ont pas comparu, parce que nous ne sommes pas convaincus de leur culpabilité, cela veut dire que nous sommes obligés d’étudier les dossiers cas par cas.

Cheikh Lamane DIOP
Sudonline.sn


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