Communication : « Saint-Louis : Un patrimoine en butte au modernisme »
Mesdames, Messieurs. L’étranger que je suis – même si le doyen Collot
Diakhaté m’a délivré un brevet de saint-louisianité - a été interpellé
par la ville de Ndar dès les premiers contacts. La ville a en effet
été comme un révélateur pour moi au point d’avoir inspiré mon recueil
de poèmes Eclairs métis. Le métis culturel s’est réveillé en moi,
ressuscité par les images et sonorités plurielles sur un substrat que
je croyais complètement obsolète. C’est la raison d’être de cette
communication.


Colloque de Saint-Louis
Mesdames, Messieurs, Saint-Louis a donc 350 ans ! Cet anniversaire doit-il être célébré ? Faut-il retenir comme un événement à commémorer la rencontre de l’Afrique avec le Blanc à l’origine de traumatismes aussi douloureux que la colonisation et l’esclavage ? Serait-ce du masochisme que de retenir cette rencontre comme repère malgré le choc des cultures qui en a résulté ? La capitale du Nord doit-elle tourner le dos à ses spécificités pour monter dans le train du développement ?
Voilà autant de questions qui mériteraient réponse.
Pour ma part, je vais axer mon intervention sur la dernière question, relativement à
l’originalité de la cité tricentenaire et à ses besoins de développement et de modernisme.
Il faut retenir d’embléeque la présence française a eu une influence prépondérante sur le devenir de Ndar pour ne pas dire qu’il y a une coïncidence entre l’érection de la ville et la présence française.
L’histoire retient que Saint-Louis a été créée en 1659 par des marins de Dieppe. Il est donc normal que la ville ait cette originalité que nous retiendrons comme partie intégrante de la saint-louisianité de
l’île. A cette naissance particulière, il convient d’ajouter l’institution des Quatre Communes qui a fait des habitants de Saint-Louis, de Dakar, de Rufisque et de Gorée des citoyens français quand les populations des autres contrées de l’Afrique colonisée restaient des sujets français. De là est parti un malentendu voire des relations complexes avec les autres composantes de la société sénégalaise. Ce n’est pas hasard si les Saint-Louisiens se sont considérés et ont été perçu alors comme plus « civilisés ». C’est dû au fait qu’ils ont vite cru surmonter le complexe du colonisé pour se mettre au diapason du colonisateur. Cela se traduit par l’expression « centre d’élégance et
de bon goût » pour caractériser la vieille ville française, mais aussi par le terme « Doomu Ndar » qui semble être une distance par rapport
aux ressortissants des autres parties du Sénégal qui sont désignés par
la redondance péjorative du nom de leur région d’origine : « Kaw-Kaw
», « Kajoor-Kajoor », « Baol-Baol »…
En plus du statut de privilégié que le colonisateur a concédé aux
natifs de l’île, le métissage biologique a créé une classe sociale,
celle des mulâtres qui se retrouvaient dans une position
intermédiaire, entre deux groupes dont les frontières étaient
nettement tracées. Cette particularité des mulâtres a engendré une
culture qui est la synthèse des apports africains et européens. Cela a
donné naissance, entre antres, aux signares aux robes taillées dans
des tissus européens, aux coiffures faites de tresses africaines
parfois ornées de louis d’or. C’est dire que Nini, la mulâtresse,
n’est pas seule dans sa situation de décalée par rapport à la société
sénégalaise en général. Elle est juste un type. Mais l’attitude de ces
dames a été vite imitée pour devenir un courant. La mode partait de ce
fait de la ville coloniale pour être reproduite dans les autres cités
et bourgs.
Même le fanal, « qui est à Saint-Louis ce que le carnaval est à Rio »,
s’origine de cette rencontre entre l’Afrique et l’Occident puisque
c’est la procession des signares accompagnées de leurs servantes
portant des lanternes qui l’a inspiré. Mais l’événement était
accompagné de chants dont la composition était d’instigation
populaire. Il est resté aussi de cette manifestation la démarche lente
et chaloupée, pleine de charme et de séduction, qui se retrouvait lors
du « takusaan nu Ndar », cette promenade des dames en fin
d’après-midi. Cette habitude est malheureusement en train de perdre de
son allant, les gens étant appelés ailleurs, par d’autres tâches et
préoccupations, dans cette course à l’enrichissement matériel qui
caractérise les sociétés modernes.
Vous avez remarqué, Mesdames, Messieurs, que j’ai plutôt insisté
jusqu’à présent sur le côté culturel de la ville, parce que
Saint-Louis doit son originalité au métissage culturel commencé déjà
avec la rencontre entre les Blancs, les autochtones et les frères
africains venus d’ailleurs, et vivant dans un climat d’acceptation des
différences culturelles et religieuses. Et la foi y est ardente sans
être sectaire. L’image des enfants allant à l’école coranique le matin
avant d’aller à l’école française est une réalité ancrée dans les
esprits.
Il s’y ajoute que, sur le plan politique, Saint-Louis devient la
capitale de l’Afrique occidentale française à partir de 1895. Ce
statut, à lui seul, conférait à ses habitants une aura que les autres
leur enviaient. Comme aujourd’hui, l’exode a fait son effet, qui a
drainé des populations d’autres régions et d’autres colonies, un
peuplement inhérent aux besoins en ressources humaines du
colonisateur, mais déjà à l’idée qu’il est plus aisé de se faire en
étant proche des centres de décisions et que les établissements qui
offrent des emplois sont généralement concentrés dans ces localités.
Donc le statut colonial de Saint-Louis a influé sur son peuplement et
ce peuplement a occasionné un brassage qui participe à la
saint-louisianité. Il convient d’insister sur le fait que le
Saint-Louisien ne ressemble ni aux Maures ni aux Gandiol-Gandiol ni
aux Walo-Walo, ni aux Pulaar ni aux Wolofsen général, encore moins aux
Bambaras venus de localités plus éloignées. Même dans son parler, le
Saint-Louisien fait preuve, aussi bien en français qu’en wolof, dans
la prononciation comme dans le choix des vocables, d’une recherche
pour ne pas parler de préciosité.
Ce métissage s’est aussi traduit dans le patrimoine architectural de
l’île. On y retrouve une architecture de style méditerranéen avec des
éléments inspirés par l’Afrique, en tout cas une adaptation au climat
et aux besoins des comptoirs. Ce patrimoine a valu à Saint-Louis
d’être classé patrimoine mondial de l’humanité.
Toutefois, à partir de 1902, Saint-Louis commence à perdre sa
prédominance par rapport à Dakar. A cette date, la ville perd le
statut de capitale de l’AOF, mais reste la capitale duSénégal et de la
Mauritanie. Elle cessera de l’être à partir de 1957. Cela, les
Saint-Louisiensne le pardonneront jamais à Mamadou Dia qui en aurait
été l’instigateur. C’est le début du déclin de Ndar. Et toute autre
cité dans cette situation verrait son expansion freinée. La ville ne
vivra plus que sur son prestige d’antan au moment où Dakar polarise
tout, toutes les attentions : toutes les infrastructures porteuses
sont construites dans la capitale.
Que reste-t-il de l’époque bénie ? Mesdames, Messieurs, un patrimoine
matériel mais aussi immatériel. Concernant le patrimoine matériel, les
vestiges de ce passage sont menacés par des nouveaux riches et des
hommes d’affaires. Les uns veulent des maisons adaptées au style
actuel, quand les autres ne voient que l’aspect fonctionnel du
bâtiment et sa position stratégique. Aussi sont-ils prêts à démolir
les bâtiments dont ils ignorent la valeur patrimoniale. Ils mettent
ainsi en péril le classement même de la ville. Or l’architecture est
l’aspect le plus visible de la singularité de Saint-Louis.
C’est pourquoi, les acquéreurs des habitations doivent être
sensibilisés sur la nécessité de garder aux bâtiments leurs
caractéristiques premières. Même si des textes de lois existent qui
permettent de sanctionner les contrevenants, leur effet reste
insignifiant pour l’heure. En tout cas, les institutions municipales,
nationales et internationales doivent veiller au strict respect des
mesures de conservation du patrimoine. Quant aux propriétaires
démunis, des stratégies de soutien à la conservation de leur propriété
sans préjudices doivent être mise en place pour leur faciliter
l’entretien de ces demeures et surtout qu’ils ne soient pas obligés de
les céder systématiquement à des personnes plus fortunées, au risque
de tuer l’âme de l’île. C’est dire que la Direction du patrimoine du
ministère de la Culture et la mairie de Saint-Louis doivent conjuguer
leurs efforts pour garder à l’île son patrimoine bâti ; mais aussi,
tant qu’on y est, pourquoi ne pas se battre pour que la particularité
de l’homme saint-louisien soit sauvegardée ?
Que reste-t-il de cette influence plurielle sur Saint-Louis ? Le
Saint-Louisien, pour l’étranger, garde cette fierté d’appartenance qui
laisse penser qu’il snobe l’autre. Il est pourtant notoire que les
Doomu Ndar sont hospitaliers. D’aucuns diront que cette réputation est
surfaite. Mais sur ce plan, il est une attitude de dignité qui fait
que le Saint-Louisien, même démuni, refuse de perdre la face et
présente un visage serein pour laisser au visiteur une image
reluisante. Mais il n’y a pas que cela ! Il est resté à Saint-Louis,
cette politesse qui ne se retrouve plus que dans les villages. Les
passants font attention à vous et vous saluent à l’occasion. En wolof
on dirait : Dañoo am ite. On n’a pas, à Ndar, cette impression de
solitude dans la foule qui est la marque des villes. Ces valeurs-là,
pour les citoyens de la ville qui les vivent au quotidien, ne font pas
d’effet, mais c’est un patrimoine à conserver malgré les exigences de
la vie moderne faite de vitesse, de gain de temps, de pragmatisme et
d’efficacité.
Autre richesse à recueillir et à conserver, tous les récits oraux,
tous les chants, toutes les cérémonies comme le kasak, etc., donc le
patrimoine immatériel de Saint-Louis comme la doyenne Fatou Niang Siga
qui a interrogé les chants, les contes, l’habillement, en un mot des
pans de l’esthétique saint-louisienne, à défaut de pouvoir les
ressusciter au cours d’un grand événement annuel comme Jean-Jacques
Bancal l’appelle de ses vœux depuis quelques années. Cet événement
devrait regrouper tous les natifs de Saint-Louis, comme à l’heureuse
époque de la Convention des Saint-Louisiens, ainsi que les amoureux de
la ville de Mame Coumba Bang. Monsieur Bancal y voit une manière de
fédérer les forces et de créer une synergie pour faire de Ndar un pôle
culturel.
Pour ma part, je dis souvent à mes amis que Saint-Louis devrait être
régi par un « poète ». Il faut comprendre par quelqu’un qui est
capable de projeter une vision poétique sur cette ville, une merveille
en danger, une source d’inspiration, mais un rêve à pérenniser.
Il est vrai que la capitale du Nord est devenue une ville touristique.
Si les visiteurs viennent chercher du soleil et des loisirs, ils
aimeraient aussi vivre un dépaysement. Toutefois, au-delà de
cérémonies où ses vestiges sont mis en scène, il est difficile de
revenir à cette époque. Il faudrait, pour ce faire, un travail de
recherche et de formation des artistes et artisans de la ville pour
que Saint-Louis se retrouve au centre d’une esthétique qui traduira
une certaine authenticité. Il faudra aussi que la promotion du style
saint-louisiensoit une préoccupation de ses tenants. En effet,
aujourd’hui, la mode vient plutôt de Dakar si elle n’est pas
parachutée d’Occident par le canal des nouvelles technologies, mais
Saint-Louis pourrait exprimer sa différence d’autant qu’elle ne
saurait plus être l’avant-garde.
Il reste cependant assez de richesses dans le métissage
saint-louisien. Il n’est que d’assister à une fête pour s’en
convaincre. En ces occasions, la pluralité de la culture
saint-louisienne s’affiche. On retrouve l’incontournable fanal et la
grâce des signares, mais aussi les échassiers, les tabalas maures et
les chants mandingues… Juste un constat pour démontrer la profondeur
du métissage : après une prestation de la troupe NinkiNanka qui se
sert du bambara comme vecteur, les acteurs interpellés en cette langue
ont avoué ne pas être de cette ethnie et n’être même pas locuteurs de
ce dialecte.
Saint-Louis est aussi et d’abord une ville d’eau. De ce fait, ses
berges et plages peuvent attirer encore plus de visiteurs. Un
assainissement préalable puis un aménagement des abords de ces
étendues aquatiques seraient capitaux pour ce faire. II faut d’abord
songer à sensibiliser les populations et les aider à créer des
sanitaires collectifs ou individuels pour que s’arrête la pollution
par des défécations sur les rives et les plages.
De plus, pour désencombrer le pont et booster la communication par les
voies d’eau, le transport urbain et interurbain par des pirogues ou
des bateaux-bus seraient unatout. Dans ce dernier volet,
l’Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) a déjà
compris l’avantage qu’elle peut en tirer. Elle a aussi saisi la
nécessité de draguer le fleuve. Tant qu’on y est, pourquoi s’arrêter
au lit principal et ne pas désensabler aussi l’autre bras ?
La ville portuaire trouvera à coup sûr son compte dans la
navigabilité, l’assainissement du fleuve et la réalisation du port.
Ainsi, elle redeviendra le nœud d’un réseau de transport maritime et
fluvial, et confortera l’activité touristique qui constitue une
ressource majeure pour la ville. L’arrière-pays, avec le parc de
Djoudj, les Folies du Baron Roger à Richard Toll, les comptoirs et les
quais de Dagana et de Podor ainsi que le fort de cette dernière
localité prolongent le charme de Saint-Louis et participent à rendre
la cité plus intéressante.
Il est d’ailleurs dommage que la voie ferrée soit morte de sa belle
mort et qu’il ne reste plus que la gare et la Place de la Gare comme
souvenirs nostalgiques de ce mode de transport qui rythmait jusqu’à la
vie des familles qui attendaient l’arrivée du train pour s’assurer de
ne pas avoir la surprise d’un visiteur qui arrive après le repas. Un
musée à l’emplacement de la gare ? Pourquoi pas ! En attendant que la
nécessité de relancer ce mode de transport se fasse de nouveau sentir.
Car, s’il est déconsidéré sous nos tropiques, les pays développés en
font un mode de communication privilégié. Avis aux autorités
gouvernementales voire sous régionales.
Quant aux infrastructures sportives, elles ont atteint un état de
décrépitude alarmant au moment où les équipes de football et de basket
retrouvent une nouvelle jeunesse et que le sport est une devenue une
activité génératrice de revenus.
C’est donc dire que le changement de capitale qui a dépouillé
Saint-Louis pour habiller Dakar a sonné comme un coup d’arrêt à
l’expansion de la ville et une arête dans la gorge de ses habitants.
C’est une donne irréversible avec laquelle Saint-Louis doit compter,
mais la ville reste assez attractive en dehors des industries qui se
développent dans la vallée du fleuve pour connaître un développement
certain. Ce développement est essentiel pour que Saint-Louis ne soit
pas une victime de la mondialisation. Le tout est qu’elle garde son
âme et qu’elle ne sacrifie pas au développement inconsidéré et à un
modernisme de mauvais aloi qui ne prendrait pas en compte l’héritage
de la ville.
Saint-Louis, avec la célébration de ses 350 ans, s’est érigée en
capitale culturelle du Sénégal. Il ne tient qu’à ses habitants, à ses
administrateurs et à ses amoureux qu’elle le demeure pour de longues
années encore sinon pour toujours.
Saër NDIAYE
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