Le programme d’autosuffisance en riz initié par le gouvernement sénégalais suscite débats, controverses et avis d’experts. Pour avoir mené dans le passé des recherches poussées sur cette plante, je souhaite apporter cette modeste contribution à une réflexion d’une importance capitale pour notre agriculture d’aujourd’hui et de demain.
A l’évidence, le programme d’autosuffisance en riz est une bonne option. Comme l’avaient été la GOANA lancée par le président Wade dans les années 2000 ou la Nouvelle Politique Agricole initiée par le président Diouf durant la décennie 80. Sur cette question d’autosuffisance en riz, l’enjeu, à mon sens, n’est pas seulement l’atteinte de l’autosuffisance en 2017. Il faut, je crois, dépasser le débat quantitatif et calendaire et analyser le problème sous l’angle nutritionnel. C’est seulement à ce prix que l’agriculture sénégalaise et le Sénégal tout entier pourront tirer grandement profit de cette initiative.
QUELQUES DONNEES SUR LE RIZ AU SENEGAL
Le riz, précisément l’espèce Oryza glaberrima est cultivé depuis 2000-3000 ans en Afrique de l’Ouest, qui est, en réalité, son « centre d’origine ». Mais, parce qu’il était cultivé en même temps que d’autres céréales comme le mil ou d’autres plantes consommées pour les vertus liées à leurs tubercules ou leurs feuilles - en général plus riches en nutriments- le riz n’était pas, à de rares exceptions près, la culture vivrière principale dans cette partie du monde. Au Sénégal, la consommation en masse de riz s’est amplifiée surtout durant la période coloniale, lorsqu’il a fallu remplacer le mil et les autres cultures vivrières -dont les surfaces cultivables étaient progressivement occupées par l’arachide- ou lorsqu’il a fallu combler le déficit causé par la salinisation et l’acidification des rizières.
AUTOSUFFISANCE NUTRITIONNELLE
L’accroissement de la production (559 000 tonnes de riz paddy produits lors de la dernière campagne, soit 33% d’augmentation par rapport à la moyenne des 5 dernières années), mais aussi les rendements et les surfaces aménagées (59 000 ha dans la vallée du Fleuve Sénégal), permettent de penser que nous sommes réellement à l’aube de la prochaine révolution de l’agriculture sénégalaise. Cette révolution se traduirait par la couverture totale de la consommation en riz de la population sénégalaise, soit environ 1000 000 t/an ; 74-90 kg /personne/an selon différentes statistiques. Il ne serait d’ailleurs pas inutile de préciser que la production de riz pluvial dépend en partie de conditions climatiques que nous ne maîtrisons pas toujours. Quoiqu’il en soit, une fois ces contraintes levées, l’atteinte de l’autosuffisance en 2017 ou en 2022 deviendra presqu’anecdotique, car, finalement, un quinquennat ou une décennie n’est rien dans la vie d’une nation.
Le débat est donc mal posé. Car, même si cette autosuffisance devait être atteinte, elle ne serait véritablement profitable aux populations que si elle est liée à l’autosuffisance nutritionnelle que le Sénégal devrait d’ailleurs viser pour d’autres cultures vivrières, qu’elles soient céréalières ou non. En effet, la population sénégalaise -qui a choisi ou à qui l’on a imposé le riz comme aliment de masse et de base de son élite urbaine voire rurale- présente un niveau de sous-alimentation non négligeable ainsi que de nombreuses carences en micronutriments notamment en fer, iode, vitamine A etc. Aussi, le riz est beaucoup moins riche en protéines et en de nombreux autres nutriments que l’on retrouve dans le mil, le blé, le maïs ou la quinoa consommée en masse par les populations rurales de Bolivie.
L’autosuffisance nutritionnelle passera donc par le développement et la production significative de riz enrichi en nutriments à la place d’une production massive de riz pauvre en zinc (35 mg/kg), en fer (45 mg/kg), vitamine A, etc... L’introduction de variétés de riz NERICA® (New Rice for Africa) au cours des dernières décennies a certes permis d’augmenter les rendements par une meilleure adaptation aux stress abiotiques -sécheresse ou salinité- et biotiques -bactéries, virus et champignon pathogènes, notamment Magnaporthe grisea. Mais il est important d’aller plus loin. Il faudrait favoriser l’introduction de variétés issues des biotechnologies ou de sélection classique, à forte valeur nutritive, notamment en micronutriments : la biofortification, qui est déjà utilisée pour le riz en Inde et au Bengladesh et qui voit sa pratique progresser en Afrique. Certaines multinationales comptent, à brève échéance, intégrer des sous-produits de variétés de riz enrichies en fer et zinc et provenant de Madagascar.
Au Sénégal, l’introduction de riz enrichi en zinc est envisagée dans un programme piloté par l’USAID et Harvest plus, une structure qui lutte, via l’agriculture, contre la carence en nutriments dans l’alimentation. L’introduction de variétés biofortifiées dans d’autres plantes, notamment le mil, se fait déjà, notamment dans un pays comme l’Inde. Dans le cas du mil, l’USAID et Harvest plus envisageraient d’introduire au Sénégal des variétés enrichies en fer. Le bissap (Hibiscus Sabdariffa Linn) me parait devoir être inclus dans le cadre d’un programme de biofortification en calcium, minéral dont une majorité d’enfants de la sous-région ouest africaine sont carencés. Des variétés de bissap enrichies pourraient ainsi être distribuées à grande échelle via l’utilisation des fleurs comme boisson et des feuilles comme condiments.
La mise en œuvre des programmes de biofortification permettrait, dans une échéance temporelle raisonnable, à nos populations de consommer des produits enrichis en nutriments. Cela aurait un impact qualitatif, aussi bien sur leur alimentation que sur leur santé, confortant ainsi la célèbre citation d’Hippocrate (-460 - -377) : « Que ton aliment soit ta médecine ». Cela permettrait surtout à certaines catégories de populations démunies financièrement d’utiliser ces produits pour prévenir des maladies chroniques.
Si l’émergence doit se caractériser par des sauts qualitatifs dans plusieurs secteurs de la vie économique sénégalaise, il devra, dans le cas précis du riz, se traduire par le passage d’une production de masse à celle d’une production à haute valeur ajoutée avec des variétés de NERICA enrichis en nutriments et obtenus grâce à la sélection variétale classique, mais surtout grâce à des technologies de pointe (méthodes du génie génétique, techniques d’irradiation, etc….).
Enfin, il est temps que l’on se fixe des objectifs tels, qu’à l’horizon 2025, une proportion non négligeable (30% ?) de notre riz, de nos céréales -comme le mil- ou des plantes -comme le bissap- soient constitués de variétés enrichies en nutriments. La conduite de ces programmes grâce à des outils de biotechnologies végétales est tout à fait possible. De nombreux compatriotes ont accumulé une solide expérience dans ce domaine, au sein des meilleurs laboratoires d’Afrique, d’Europe ou des Etats-Unis.
Waly Dioh
Docteur en Phytopathologie Moléculaire ; MBA
Directeur Recherche et Développement en Nutrition Santé
Diohwaly@hotmail.com
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