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CONTRIBUTION: Le soufisme vu par les réformistes. Par Ousmane Abdoulaye Barro

Mardi 9 Décembre 2014

« Le soufisme structure le comportement de l’être humain et lui ouvre le chemin d’une vie spécifique tout au long des étapes du rappel (dhikr), de l’adoration et de la connaissance de Dieu, dont le terme est l’accès au Paradis et à Sa satisfaction. Or, il ne fait aucun doute que ce qui, dans le domaine du soufisme, s’appelle les sciences de l’éducation et du comportement fait partie de l’essence de l’islam et de son contenu le plus profond. Il ne fait pas de doute non plus que les soufis ont atteint un degré dans la purification des cœurs et de leur guérison, dans leur traitement et leur élévation, que personne d’autres parmi les éducateurs n’a atteint. »
Hasan al-Bannâ'


Ce témoignage du fondateur des Frères musulmans fait écho à une position largement partagée au sein des réformistes musulmans du 19éme et 20éme siècle. Mieux, des études récentes consacrées au savant hanbalite Ibn Taymiyya montrent que son hostilité à l’égard du soufisme relève de la simplification. Selon Quais Assef, « les écrits d’Ibn Taymiyya, saisis dans leur contexte historique, témoignent d’une doctrine non seulement favorable à la mystique, mais s’en trouvent forment influencés. » La lecture du dernier livre de Khadim M. Mbacké serait certainement utile à tout chercheur sénégalais désireux de connaitre avec précision la position du réformateur. Il reste que la réalité est loin de se réduire à l’antagonisme des deux camps. Heureusement qu’il existe chez nous des remparts susceptibles de contrer les velléités de part et d’autre.

Cette contribution vise cependant moins les sociétés musulmanes que l’élite qui se donne pour mission de les éclairer. Le radicalisme religieux ne saurait justifier les amalgames notés de la part de certains universitaires. Une telle attitude cache mal un parti pris relevant du fanatisme ou un opportunisme aiguillonné par la cuisine occidentale. Il est étonnant de voir comment nos universités se transforment en des champs de bataille idéologique au lieu de devenir des laboratoires de recherche. Comme le regrette Tariq Ramadan, « on parle aujourd’hui, noyé dans une inflation prodigieuse de la terminologie, de l’intégrisme, du fondamentalisme, du néo-fondamentalisme, de l’islam politique, de l’islamisme, du radicalisme, de l’extrémisme militant, sans toujours savoir ce que recouvrent ces termes ou sans avoir pris le temps de définir leur portée conceptuelle. » C’est sans doute ce même constat qui avait amené Habermas et Derrida à réagir à travers deux entretiens accordés au Monde diplomatique. Le but étant de proposer une lecture mieux à même de rendre compte du concept de terrorisme.

S’interroger sur les rapports entre soufisme et réformisme revêt un intérêt certain : l’ambivalence est d’autant plus réelle que les réformistes musulmans ont subi l’influence directe des maitres soufis. . Le premier ouvrage de Muhammad 'Abdûh en constitue une exacte illustration Si l’on en croit Eric Geoffroy, « la fracture » que l’on s’obstine à voir entre soufisme et réformisme relève « d’un imaginaire entretenu ». De Jamâl al-Dîn al-Afghânî à Abdessalem Yassin, ils sont nombreux à reconnaitre leur dette à l’égard de l’école soufie. Ce dernier et non moins fondateur du mouvement Justice et spiritualité marquera sa gratitude à l’égard de sa confrérie d’origine qui lui a valu, selon ses propres mots, la connaissance divine, thème central dans le soufisme.

La question de la violence a pollué l’analyse à telle enseigne qu’on préfère les réactions à chaud à la production scientifique. Réduire les mouvements islamistes à leur expression radicale et souvent marginale est assurément la meilleure manière d’accréditer la répression politique. Si la grille de lecture de « l’épouvantail islamiste » tant dénoncée par François Burgat fonctionne merveilleusement bien, c’est parce qu’elle s’adosse à des institutions aussi puissantes que le pouvoir ou les médias. La violence religieuse n’est pas le produit ou non d’une certaine forme d’islam. Son apparition a été étudiée et circonscrite dans des contextes politiques précis.

Et sa « déterritorialisation » relève, quant à elle, du phénomène de la mondialisation qu’Olivier Roy analyse dans l’islam mondialisé. Il souligne d’ailleurs dans une interview consacrée à son dernier ouvrage que « l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis en 2003 constitue l’acte de naissance de l’Etat islamique. » Les études réalisées en Syrie, en Irak ou au Pakistan battent sérieusement en brèche la dichotomie entre soufisme et islamisme. L’auteure de Soufisme et politique au Pakistan, Alix Philippon, est ainsi obligée de recourir à un nouveau concept qu’elle appelle « soufislamisme » pour rendre compte des interactions observées.

« Le "soufislamisme" est un concept qui désigne des acteurs, des groupes qui se revendiquent d’une identité soufie, du soufisme comme registre de mobilisation islamiste. ». La relecture des faits qui se sont déroulés en Syrie dans les années 70 et 80 comme les « évènements de Hama » ont permis de constater, par exemple, dans quelle mesure la participation des soufis a été négligée. Par ailleurs, Il ne s’agit pas de confondre dans un même moule, loin s’en faut, soufis et salafis. Il convient ainsi de souligner que la spiritualité telle qu’enseignée chez les réformistes ne recoupe pas les contours de la méthode soufie. L’ambition du soufisme est autrement plus soutenue qu’une simple dimension spirituelle qu’on serait tenté d’imprimer à la pratique religieuse. En attendant de revenir plus amplement à cette question, il est regrettable de noter le manque d’intérêt pour une littérature aussi précieuse que celle que nous avons, autant que faire se peut, mise en évidence dans le cadre de cette contribution.

Ousmane abdoulaye Barro
Titulaire d’un DEA de science politique à l’UGB
ousmaneabdoulayebarro@yahoo.fr




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