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Et si les Africains recevaient directement les dividendes de la manne de leurs ressources naturelles ?

Mercredi 29 Juin 2011

Et si les Africains recevaient directement les dividendes de la manne de leurs ressources naturelles ?
Alors que le troisième atelier annuel sur la Charte des ressources naturelles se déroule les 29 et 30 juin à Oxford, l’envolée des cours des produits de base, conjuguée à la baisse du coût des technologies de communication, offre à l’Afrique une occasion sans précédent de lutter à la fois contre la pauvreté et la corruption. Démonstration.
Le boom des matières premières, et la manne qu’il engendre, devrait se poursuivre au moins jusqu’en 2015, voire s’accentuer sous l’effet de la découverte de gisements. Dans ce contexte, les pays de la région se trouvent confrontés à un triple problème. Premièrement, l’appréciation de leur monnaie grève la compétitivité des autres secteurs de l’économie, en particulier des activités manufacturières, face aux importations. Deuxièmement, l’extraction de ressources naturelles accroît le risque de dommages à l’environnement. Troisièmement, les opportunités de corruption et de gaspillage se multiplient, non seulement au niveau de l’octroi des permis d’exploration et d’exploitation, mais aussi de l’utilisation des recettes provenant de l’extraction des ressources. Exception faite du Botswana, le palmarès des exportateurs africains de minerais et d’hydrocarbures laisse songeur.
Alors que les banques centrales d’Afrique sont aujourd’hui mieux armées face à l’appréciation monétaire, et la société civile plus sensible aux dangers environnementaux, le bât blesse du côté des institutions de lutte contre la corruption. Celles-ci doivent être renforcées, et cela risque de prendre du temps. Il existe néanmoins une solution rapide pour faire en sorte que la gestion des ressources naturelles soit plus responsable : elle consiste à transférer directement aux citoyens les dividendes qui en sont issus.
Une solution que quelque 35 pays africains appliquent déjà en direction des pauvres, en passant par des cartes à puce intelligentes, des cartes de paiement ou le téléphone portable. Ces solutions sont de moins en moins coûteuses et de plus en plus sûres. La couverture des services bancaires et de téléphonie cellulaire progresse à vive allure, de même que l’identification biométrique à l’aide de dispositifs mobiles. Sur le plan logistique, rien n’empêche l’État de transférer directement à chaque citoyen, et non uniquement aux pauvres, une partie, voire l’intégralité, des recettes qu’il perçoit sur les ressources naturelles. Cette stratégie n’est bien sûr pas nouvelle : l’Alaska l’a adoptée dès le début des années 1980.
Pourquoi le transfert à la population d’une partie des recettes issues des matières premières permettrait-il d’éviter, et surtout de réduire, la corruption ? Parce que si un citoyen sait qu’il va recevoir une partie des recettes pétrolières, leur montant total l’intéressera en premier lieu — de même que l’usage que l’État fera de sa propre part. Il va vouloir savoir si la société qui explore, exploite et exporte le pétrole est compétente et transparente, parce que sinon il perdra de l’argent. Peu lui importera que cette entreprise soit publique ou privée, tant qu’elle est bien dirigée. Et ce citoyen ne soutiendra pas les hommes politiques qui entravent le processus. En bref, il exigera davantage de comptes aux gouvernants.
Dans l’idéal, les transferts devraient être accordés sous condition de ressources, c’est-à-dire qu’il faudrait donner davantage aux pauvres. Mais cette solution risque de poser un obstacle insurmontable sur les plans politique et pratique. Un transfert uniforme et universel (même montant pour chaque citoyen) serait de toute manière progressif, car il bénéficierait davantage aux pauvres qu’aux riches. Supposons que l’État redistribue un dixième des recettes qu’il tire des ressources naturelles, ce qui représenterait, disons, un dividende de 100 dollars par personne et par an : il s’agit d’une somme insignifiante pour les riches, mais qui peut sauver la vie de quelqu’un qui dispose de moins de deux dollars par jour pour vivre, comme c’est le cas de la plupart des Africains. Et comme le transfert s’effectue directement au niveau individuel, il peut venir en aide à des catégories de population qui sont généralement victimes de discrimination, telles que les femmes.
Autre avantage potentiel des transferts : ils peuvent contribuer à renforcer l’unité nationale. Dans les pays où, à cause de différences régionales, ethniques ou religieuses, il est difficile de s’entendre sur le partage des richesses naturelles (un problème hélas courant en Afrique), l’idée que chacun reçoive au moins une petite partie de ces richesses, à titre personnel et individuel, indépendamment de son lieu de résidence, de son origine ethnique ou de ses convictions religieuses, simplement parce qu’il est citoyen du pays, peut contribuer au sentiment d’identité nationale.
Toutefois, si les recettes tirées des ressources naturelles vont directement à la population, que restera-t-il à l’État pour payer les « biens publics » et financer la vaccination, l’école primaire ou la défense nationale ? Il existe deux possibilités. La première consiste à transférer l’intégralité des recettes aux citoyens et à lever des impôts. C’est la solution que les économies pauvres en ressources ont retenue pour alimenter leurs dépenses publiques, et c’est pourquoi, dans ces pays, les contribuables sont prompts à surveiller ces dépenses. La deuxième possibilité consiste à ne transférer qu’une partie des recettes issues des matières premières. Dans les deux cas, les versements directs de dividendes pourraient être financés par une réduction des autres transferts, inefficaces et inéquitables, auxquels les pays riches en ressources ont déjà recours (allégements fiscaux, subventions pour les carburants et emplois dans la fonction publique) et qui bénéficient généralement à ceux qui ont des relations et de l’argent. Autrement dit, les transferts de recettes publiques et l’intégrité budgétaire peuvent aller de pair.
Enfin, dernière objection : en contournant les institutions publiques, ces transferts ne risquent-ils pas de les affaiblir ? La réponse est non, au contraire. Si l’on donne aux individus un intérêt direct dans les richesses de leur pays, cela laissera du temps, et fera mûrir la volonté, pour la construction lente mais nécessaire d’institutions garantes d’une meilleure gouvernance.

Par : Shantayanan Devarajan et Marcelo Giugale


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