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[REPORTAGE] Ndiakhèr : l’espoir d’une vie meilleure avec l’exploitation du sel.


Le visiteur qui débarque pour la première fois à Ndiakhèr, une localité de la communauté rurale de Gandon, située dans l’arrondissement de Rao à une quinzaine de kms de Saint-Louis, sera forcément en contact avec ces braves exploitantes du sel, qui triment dur pour survivre et subvenir aux besoins de leurs familles. Dans les griffes de la débrouille au quotidien, elles font partie des 4000 exploitants des sept villages du Gandiolais qui produisent chaque année plus d’un million de tonnes de sel. Les femmes de Ndiakher sont obligées de parcourir tous les jours un trajet de 5 kms, sur une piste latéritique, pour déposer leur production au bord de la route nationale. Elles endurent ensuite un calvaire pour aller écouler leur marchandise à Saint-Louis.
Reportage de Mbagnick Kharachi Diagne

Samedi 20 Avril 2013

[REPORTAGE] Ndiakhèr : l’espoir d’une vie meilleure avec l’exploitation du sel.

Notre chauffeur a enfin fini d’éviter les obstacles avec adresse. Cette matinée est splendide sur la route de Ngaye-Ngaye. Nous sommes dans la grande zone du Toubé, qui regroupe sept villages, notamment, Békhar, Diama Toubé, Ngaye-Ngaye, Ndiakhèr, Gandon, Ndiabène Toubé, Maka Toubé et Ngallèle.

A partir du croisement de Ngaye-Ngaye, le gravillon scintille de son rouge grenade lorsque les rayons solaires se reflètent sur ses cristaux. Ce samedi, le parfum des feuilles d’accacia se dissipe dans cette masse d'air chaud qui nous égratigne l'épiderme. Ici, la nature est en harmonie avec un tapis herbacé plus ou moins fourni, qui se déroule à nous couper le souffle. A hauteur du village de Diama Thiaguèl, les images insolites se déplacent à tout bout de champ. Les autotrophes (végétaux) et les hétérotrophes (les hommes et les animaux) s’épanouissent. Les paysans sont accueillants et présentent une mine joviale à la forte délégation de Green/Sénégal qui va lancer à Ndiakhèr, un important programme de développement de l’agriculture, de l’entrepreneuriat social et de protection de l’environnement, pour un coût global de plus de 200 millions Cfa, destiné à la région de Saint-Louis.

Entre ces villages du Toubé, qui abondent en légendes vivantes et fascinantes, s’élèvent des pentes boisées qui déroulent leurs méandres autour de Ndiakhèr. De temps à autre, nous sommes guidés par le bruit sourd d'une hache blessant un arbre. De loin, nous apercevons un bûcheron trapu, ramassé sur lui-même, en train de taper de toutes ses forces contre le tronc d'un vieux chêne. Il s'arrête un moment pour tortiller nerveusement ses mains abîmées par le travail pénible du bois. Les vagues de chaleur torride et suffocante nous exaspèrent sans discontinuer. Pendant que l'odeur de la sève, coulant sur l'arbre fendu, mêlée à celle aromatique des " alomes " (arbre sauvage aux fruits jaunes), emplit l'atmosphère. Avec sa démarche chaloupée, il avance vers nous et nous interpelle pour nous interroger sur l’objet de la visite de Green/Sénégal.
D'une voix mélancolique aux inflexions d'enfant, où chaque syllabe roule comme une mélodie, son épouse, le nourrisson à califourchon sur le dos, nous soumet, sans protocole, les nombreux problèmes auxquels toutes les exploitantes du sel du Gandiolais sont quotidiennement confrontées pour survivre.

Les cheveux emmêlés, les yeux brillants de joie, elle jette dans tous les sens un regard à la dérobée. Souriant avec malice, notre interlocutrice parle avec assurance : « Nous ne comptons que sur nos faibles revenus tirés de la vente du sel pour entretenir nos familles, il est temps que le gouvernement et ses partenaires nous aident à évacuer et commercialiser nos produits, le problème qui se pose avec acuité à Ndiakhère est relatif à la mobilité des exploitantes, qui se déplacent difficilement sur une piste de 5 kms pour rallier la route nationale ».

Entre Diama Thiagièl et Ndiakhèr, nous marchons encore sous un soleil radieux, enchanteur, qui monte plus haut sur les pentes abruptes, couvertes de mauvaises herbes. Tantôt nous sommes bercés par des murmures d'un vent fort, qui souffle du nord au sud, accompagnés du bourdonnement des abeilles et des oiseaux.

Aller à Ndiakhèr, n'est pas une villégiature. C'est éprouvant, il faut avoir des nerfs solides. Il faut nécessairement parcourir un trajet de cinq kilomètres, fouler le pied dans les prairies parfumées qui s'étendent à l'infini, grimper sur des monticules herbeux, passer en revue des bois aux arbres géants, des cadavres d'animaux gisant par terre, entourés de charognards agressifs.
Vers 15 heures trente, des claquements de sabots annoncent l'arrivée d'une charrette bondée de monde, tractée par des ânes maigres qui braient et qui béguaient, torturés par la fatigue. Les passagères, souples et inlassables, s'accrochent énergiquement aux extrémités du véhicule, en se recroquevillant sur des sacs de sel.

Cependant, nous ne pouvons pas nous empêcher de soupirer d'aise, lorsque nous constatons, à bord de cette charrette, une détente, une joie intense. Juste quelques salutations chaleureuses, et le cocher se remet au travail avec frénésie, une rapidité déconcertante. C'est passionnant de voyager avec ces jeunes vendeuses de sel qui gagnent honnêtement leur vie, à la sueur de leur front. Après une journée de dur labeur, elles gagnent en moyenne 1500 F.

Ces braves femmes du Toubé, du Oualo et du Gandiolais, sont sympathiques, modestes, humbles et ne sont pas protocolaires. Elles ont le commerce facile. Leur disponibilité suscite admiration et étonnement. Sur le chemin de Ndiakhèr, il faut parfois bloquer la respiration lorsqu'une branche d'arbre s'abat d'un coup fracassant, éparpillant sur le sol des épines épaisses et des feuilles rabougries. À quelques encablures du village, le voyage est perturbé par moments, par l'écho infernal des beuglements d’une dizaine de vaches dodues. Normal, quand on sait que les choses les plus simples peuvent avoir des effets inattendus. Ici, le paysage se transforme au rythme du relief, allant de pentes douces à de plus forts dénivelés sur des hauteurs.

Selon ces braves femmes, l’Etat doit aménager des digues pour une meilleure exploitation du sel, aider les productrices à disposer dans les plus brefs délais, d’importants lots de matériels d’exploitation composés de gangs, blouses, d’outils de ramassage, exhorter les opérateurs économiques à venir chercher le sel à Ndiakhère en attendant la réhabilitation et le bitumage de la piste, installer dans les sites de production, des machines pour l’iodation du sel, afin d’éviter aux consommateurs les troubles dus à la carence en iode qui se manifeste par le goitre ophtalmique et les pertes de facultés intellectuelles et physiques, le crétinisme, etc.
Elles souhaitent surtout la création de magasins de stockage pour garder le sel invendu et préserver toute sa qualité, une étroite collaboration avec les industriels et les potentiels utilisateurs du produit, pour une bonne commercialisation.
Green/Sénégal s’engage à améliorer les revenus des femmes

Une forte délégation de l’Ong « Green/Sénégal » conduite par la coordonnatrice nationale, Mme Woré Gana Seck, a lancé officiellement à Ndiakhèr, un projet d’amélioration des revenus économiques des femmes des communautés rurales de fass Ngom (4 villages) et de Gandon (1 village) par le maraîchage et l’aviculture, financé par l’union Européenne et Conemund, pour un coût global de 43 millions Cfa et une durée de 18 mois.
Ce projet sera mis en œuvre à Ndiakhèr, Mbaye Mbaye Fall, Semel, Keur Sea et à Fass village.
Selon Mme Woré Seck, il est prévu à Ndiakhèr, dans le cadre de ce projet, des formations en genre et leadership, en aviculture et marketing pour la commercialisation des produits agricoles, la dotation de matériels et de produits pour l’agriculture, un système performant d’appui à la production et à la commercialisation des produits avicoles.

Dans les quatre villages de Fass, a-t-elle poursuivi, Green/Sénégal envisage d’organiser des sessions de formation en techniques de maraîchage, genre et leadership, destinées aux femmes, de réhabiliter 23 puits, de mettre en place des intrants et des matériels pour le maraîchage, d’accompagner les groupements de promotion féminine pour une meilleure commercialisation des produits, d’aménager au village centre de Fass, une parcelle de production maraîchère.

Woré Gana Seck a rappelé qu’un autre projet déjà réalisé, portant essentiellement sur l’amélioration des conditions de vie des populations de 60 villages des communautés rurales de Fass et de Gandon, a permis, grâce à un financement de 100 millions Cfa de l’Agence espagnole pour la coopération internationale (Aecid) et de Conemund, d’organiser à Ndiakhèr, des formations en techniques de pépinières, de plantation, de production de semences, de protection des cultures, de mettre en place des équipements agricoles pour l’allègement des travaux des femmes dans les champs, des semences agricoles de qualité pour améliorer la production et contribuer à la sécurité alimentaire, faire bénéficier au groupement féminin de Ndiakhèr d’un micro crédit de 500.000 F et d’une unité de transformation de produits agricoles (production de pâte d’arachide).

Tous ces projets, a-t-elle précisé, entrent dans le cadre de la mise en œuvre d’un vaste programme de développement de l’agriculture, de l’entrepreneuriat social et de protection de l’environnement, destiné à la région de saint-Louis et qui coûtera globalement plus de 200 millions Cfa.

Mme Woré Seck a pris bonne note des doléances formulées par les exploitantes du sel et a promis de réfléchir avec ses partenaires et les représentants de l’Etat, sur les voies et moyens à mettre en œuvre pour sortir ces braves vendeuses de sel de l’engrenage de la pauvreté.

Autres contraintes
Le chef du village de Ndiakhèr, Mamadou Aby Diop et le jeune Mamadou Leye, ont laissé entendre que le seul souci des cultivateurs de ce village, est de savoir comment profiter de la vallée de Ndialakhar pour irriguer les parcelles de terres cultivables.

L'économie locale de Ndiakhèr, ont-ils précisé, repose principalement sur le secteur agropastoral, le maraîchage en particulier. La pêche, l'exploitation du sel, le tourisme, l'artisanat et la foresterie figurent également dans le panorama des activités économiques de ce village.
L’ouverture d’une brèche sur le cordon sableux de la Langue de Barbarie, ont-ils souligné, expose le Gandiolais aux effets directs de la mer et accroit ainsi la vulnérabilité des populations et de leurs activités, principalement le maraichage.

Aujourd’hui, le Gandiolais, jusque là relativement protégé par la flèche littorale de la Langue de Barbarie, se retrouve fortement fragilisé. La salinisation des eaux, la disponibilité de l’eau douce sont au cœur des préoccupations des maraîchers. L’abandon des terres et les pertes agricoles liées au problème de l’eau douce représentent des défis majeurs. De même, se pose un problème de savoir-faire dans les aménagements pour contourner le problème de l’eau et de sa mauvaise qualité. À côté des maraîchers, les producteurs de sel ont vu leur activité se développer, ce qui semble indiquer une plus grande dégradation de l’environnement fortement exposé à la salinité.

Avec l’extension du canal de Ndialakhar jusqu’à Ndiakhèr, ont-ils ajouté, les cultivateurs n’auront aucune difficulter à mettre en valeur leurs terres.
Actuellement, nous confie Mamadou Leye, nous cultivons de l’arachide, du melon, de la pastèque, du niébé et du gombo.

Pendant l’hivernage, nous nous contentons de la pêche aux carpes pour survivre, ont-ils rappelé, précisant qu’en saison sèche, les populations de Ndiakhèr se rabattent sur la fameuse sardinelle de Saint-Louis, appelée « Ya-booye » en ouolof, pour nourrir leur progéniture.
Parlant des problèmes de l’éducation, Mamadou Leye a souligné que les élèves de Ndiakhèr quittent tous les jours à 7 heures du matin le village pour aller étudier à Gandon. Ils rentrent au bercail à 19 heures après avoir marcher sur une distance de 10 kms pour aller passer la journée à Gandon.

Il est temps, de l’avis de M. Leye, que le gouvernement construise un Cem à Ndiakhèr, « pour nous permettre de mettre définitivement un terme aux nombreuses déperditions scolaires ».
Les jeunes de ce village ont besoin aussi d’un centre de documentation (bibliothèque), d’un centre d’éveil, d’un cyber, d’un centre de formation en couture et coiffure, de financements pour mener des activités génératrices de revenus.

L’histoire d’un ressortissant du Saloum

L’actuel chef du village de Ndiakhère, Mamadou Aby Diop, octogénaire, est le descendant d’un fils du Saloum, Lèm Diop.
Selon lui, cette localité, qui existe avant Saint-Louis, a été fondée par Lème Diop, qui venait du Saloum pour s’installer dans ce village du Toubé, en face du fleuve.
Pour désigner son lieu d’habitation, les populations se bornaient à utiliser cette expression ouolof « Thia-Khèr-Gua », dont le terme « Khèr » signifie fleuve ou marigot, le Thia et le Gua, jouant un rôle de pronom et d’adjectif démonstratifs. Le diminutif « Thia-Khèr » devient, au fil du temps, Ndiakhèr.

Après son installation, Lème Diop alla récupérer son neveu Chérif Diop au Saloum pour le contraindre à venir lui tenir compagnie à Ndiakhèr.
Un autre compagnon venu du Fouta, plus précisément de Fanaye Dièri, en l’occurrence, Ndiourom Leye, ne tardera pas à rejoindre les Diop à Ndiakhèr.

Depuis, les Leye, considérés comme les érudits du Saint Coran et les Diop, désignés pour se succéder au poste de chef de village, cohabitent pacifiquement dans cette localité qui a été déplacée en 1920 vers un autre site situé à 2 kms de Ndiakhèr Guent.
Ce beau village de la communauté rurale de Gandon, selon le jeune Mamadou Leye, dispose de l’eau potable, d’une école primaire, d’une case de santé, de grands poulaillers, d’une grande mosquée et, est connecté au réseau électrique.