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AMINATA SOW FALL, ECRIVAINE : «Que les acteurs politiques sachent que le pays ne leur appartient pas»

Jeudi 26 Janvier 2012

C’est dans son bureau niché dans un immeuble aux Hlm Fass Paillotes que nous a reçus l’écrivaine, Aminata Sow Fall. Le décor de son lieu de
travail traduit sa passion pour la lecture. Que de livres çà et là. Une littérature à travers laquelle elle relate les problèmes dont souffre l’Afrique,
surtout le Sénégal actuel. Dans cet entretien, elle revient sur la quintessence de ses oeuvres. Les questions politiques, la native de Saint-Louis,
les prend avec beaucoup de recul. N’empêche, elle ne peut pas rester insensible à tout ce qui se passe dans son pays d’où son attachement à
rappeler aux acteurs politiques que «le pays ne leur appartient pas».


AMINATA SOW FALL, ECRIVAINE : «Que les acteurs politiques sachent que le pays ne leur appartient pas»
Tout le monde connaît Aminata Sow Fall à travers ses écrits, mais on ne vous voit presque pas sur la scène littéraire. Pourquoi cette discrétion ?
Oui ! Cette discrétion, je pense que c’est mon tempérament, mais aussi ce sont les nécessités de mon activité. Parce que j’ai choisi d’écrire et vous savez qu’il faut beaucoup de concentration pour cela et il faut penser à ce que l’on fait. J’ai aussi un agenda bien discipliné, bien structuré et je me fais sage de ne pas me laisser distraire par tout ce qui se passe autour de moi.

Après plusieurs années de présence régulière sur la scène littéraire sénégalaise, quel regard portez-vous sur cette littérature ?
Moi, de formation, je suis professeur de Lettres modernes, j’ai eu un regard pour des raisons professionnelles. La lecture, je dois la faire. C’est une obligation pour moi de voir tout ce qui s’écrit, tout qui se publie et par plaisir de lecture, par aussi un besoin intellectuel de comprendre ce qui se dit et ce qui s’écrit. Mais, je ne peux pas porter de regard puisque je serais juge et partie. Et, ce serait très présomptueux pour moi de porter un jugement sur des oeuvres de mes confrères et consoeurs. Il y a de beaux textes que j’ai aimés et d’autres que j’ai moins aimés, mais je ne fais jamais de jugement négatif sur les oeuvres des autres.

En réfléchissant à votre cheminement littéraire depuis votre premier roman «le Revenant» au dernier «Festin de détresse», avez-vous l’impression d’avoir pris en compte tous les maux qui gangrènent actuellement la société africaine surtout sénégalaise ?
Mais non ! Parce qu’une société vit et les problèmes du passé peuvent se reproduire d’une autre manière sous une autre forme. Les problèmes oubliés, il y a 30 ans, peuvent ressurgir tout d’un coup. Donc, je pense que ce que doit chercher un écrivain, c’est que ce qu’il a écrit au passé ne soit jamais dépassé, ça réapparaît et que ça soit constant. Parce que l’être humain est constant et en même temps il change, il évolue. C’est le cas de «La grève des bàttu». Je prends cet exemple-là parce que c’est l’exemple qui est le plus étonnant qu’on dise que des mendiants vont en grève alors qu’il n’y en a jamais eu et que le public national le comprend. Mais aussi que le public international s’y intéresse à tel point que le livre est traduit à travers le monde. C’est ça qui montre qu’on n’inventera jamais rien. Depuis le début du monde, on a rien inventé, on dit les choses telles qu’elles existent maintenant, à l’époque du roman, mais ça perdure.


Qu’est-ce qui a changé entre l’époque que vous décrivez dans vos romans et aujourd’hui ?
Actuellement, on voit d’autres problèmes que je ne soupçonnais pas avant. Tous les jours, vous ne pouvez pas ouvrir les journaux sans voir que les gens se tuent, s’entretuent pour rien, pour une pièce d’argent, pour une petite dispute qui a mal tourné. Et moi, je me demande ce qui se passe. C’est qu’il y a quelque part où la société est malade. On n’éduque plus les jeunes, les enfants, on ne leur indique
pas des voies de solidarité, de paix, de politesse et de comportement à suivre.

Quand vous dites que la société est malade, il s’agit de quelle maladie ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour la guérir ?
Je pense que le remède, comme je dis toujours, c’est qu’on lave de manière drastique la société en éduquant les jeunes parce que l’éducation, pour moi, c’est la base de tout. L’éducation d’abord par les parents. On peut contester, mais en respectant sa dignité, adopter les manières, les comportements les plus propices aux valeurs essentielles propres à toutes sociétés. Moi, je n’ai jamais vu, ni lu quelque part une société où on a dit il faut haïr, il faut tuer, il faut manquer de respect aux adultes… Alors, c’est sur ça que l’on peut agir. Ce n’est plus bien quand, dans une société, on voit que l’insulte n’est plus rien, la bagarre mortelle n’est plus rien et que c’est l’argent seulement qui conditionne les rapports des gens.

Si on en vient à votre dernier ouvrage «Festin de détresse», vous dites que l’Afrique doit refuser «l’aide au développement». Pourquoi ?
Ce n’est pas seulement l’Afrique. Moi, je dis, faut pas qu’on se croise les bras et qu’on lie tout notre destin à cette aide-là. Je dis aussi qu’il y a une manière pour des individus ou des groupes d’individus de se nourrir de la détresse des gens. On crée des Ong, associations et groupements où on va seulement individuellement et on va dire que c’est pour aider. C’est l’Occident, en général, qui donne l’argent,
mais qu’est ce qu’ils font de cet argent. Moi j’ai vu des entreprises très nobles, des associations européennes sur des sujets vraiment très douloureux qui disent on va aider les malades, on va travailler sur telle maladie. Mais après, on voit à la télévision les procès. Et puis, ce sont des gens qu’on ne pouvait pas soupçonner de cela. Cela montre la force de l’argent quand on ne sait pas résister. Alors, je dis, qu’il y a des gens qui se nourrissent de la détresse humaine.

Est-ce que vous pensez à l’heure actuelle que l’Afrique peut se prendre en charge, sans une mainmise des Occidentaux ?
Ma position ce n’est pas contre les occidentaux. Ma position, c’est de dire aux Africains que nous pouvons nous en sortir et ça vous pouvez le lire de manière très explicite dans «Douceurs du bercail». Il faut qu’on évite de donner une perception négative de ce que nous sommes. Il faut que nous respections notre dignité. Il faut que nous amenions les autres à nous respecter. Il est temps de se bâtir, de se reconstruire pour survivre, c’est ça que je dis. Je ne suis pas contre que des organismes financiers fiancent tel projet ou telle chose dans nos pays, mais il faut que nous ayons une perspective où nous ne demanderons plus de l’aide. Les pays occidentaux, souvent quand ils nous aident, récoltent beaucoup plus que ce qu’ils nous ont donné. Ça aussi, il faut en tenir compte. Le problème, c’est que nous travaillons notre mentalité pour savoir que nous pouvons exister. Parce que dire que nous ne pouvons pas nous développer, c’est la question que je ne peux pas entendre.

Vous venez de dire que l’Afrique ne doit pas donner une perception négative de ce qu’elle est. Ce que le Sénégal est en train de vivre actuellement, est-ce ne pas donner une vision négative de ce qu’il est ?
Sur tous les points. La vision négative, c'est quand on a des comportements qui amènent les autres à ne pas nous supporter sur le plan politique et tout. J'ai écrit un livre qui est sorti en 1987 qui s'intitule «Ex père de la nation». C'était de cela qu’il s’agissait. Toutes ces situations reviennent, mais sous une autre forme. Exprimer notre dignité dans le sens financier, dans tous les sens, de sorte qu'on puisse nous respecter globalement est un rêve pour moi.

Justement parlant de ce même livre, vous y mettez en exergue un Président dictateur dont le régime s'est terminé dans un bain de sang. Ne craignez-vous pas la même situation pour le Sénégal de Wade qui s'accroche au Pouvoir ?
Sur ces problèmes politiques, que le Président veut rester au pouvoir alors que le peuple ne veut pas de lui, moi j'ai une posture depuis toujours et le champ politique je m'en éloigne. Je n'ai jamais, d'une manière ou d'une autre, fait de commentaire. Je ne m’hasarde jamais sur des chemins que je ne maîtrise pas. Je suis une citoyenne à part entière. Je regarde et j'analyse toutes les situations d'ailleurs avec des gens que je connais et qui ne sont pas non plus des acteurs politiques. Et souvent, on arrive à des conclusions qui s'avèrent correspondre avec nos difficultés. Il y a des gens qui sont mieux placés pour se prononcer sur ces questions-là. Je ne veux pas toujours ajouter mon grain de sel, mais ce qui est fondamental dans ça, c'est que le Sénégal ne sombre pas. Et pour ça, je crois que ce sont les acteurs politiques qui doivent penser et savoir qu'il y a beaucoup de citoyens silencieux qui ne sont pas des acteurs dans la politique. Ils doivent respecter aussi ces citoyens-là, savoir que le pays n'appartient pas aux acteurs politiques. Parce que, quand ils s'adonnent à certains comportements, qu'on les voit s'insulter, se chamailler, se battre entre partis, ça ne donne pas une belle image de notre société. Le plus fondamental, c'est la paix. En 1993, à l'approche des élections, on était dans une situation où tout le monde disait que le Sénégal irait au chaos. Et feu Almamy Fall est venu me voir pour me dire
qu'il faut qu'on fasse un comité pour la paix. Je lui ai dit, je ne veux pas me mêler à des déclarations politiques. C'est Boubacar Boris Diop qui m'a dit que si demain il se passait des choses graves et qu'on dise qu'on avait sollicité Aminata Sow Fall, qu'est que ça te ferait ? Ça m'a émue et j'ai été dans le comité. Et j'avais dit la même chose : Que les acteurs politiques sachent que le pays ne leur appartient pas. Nous avons été voir tous les acteurs politiques et nous leur avons dit cela.

Vous avez été dans un comité pour la paix. Est-ce que vous seriez prête à refaire la même chose vu qu'on va vers des élections et il est probable qu'il y est des tensions ?
Je suis toujours là, j'ai toujours prôné la paix.

Si vous préférez vous abstenir sur les questions politiques, est-ce que ce n'est pas parce que vous pensez que la politique n'est pas faite dans les règles de l'art au Sénégal ?
Non ! Parce que c'était avant que je sois en âge de pouvoir réfléchir comme je le fais maintenant. Je suis née en 1941. A 10, 15 ans, j'avais une perception très nette de ce que faisaient les politiciens à Saint-Louis. La politique se faisait dans les règles de l'art. Il ne faut pas être naïf, ce sont des gens qui se confrontent, des débats d'idées. C'est humain de ne pas être d'accord et de le défendre, mais c'est la manière de le faire qui est important. Aujourd’hui, ce n'est pas bien quand on regarde la télé ou qu'on écoute la radio de voir des gens, des pères de familles se chamailler, se dire des choses terribles. Je ne nommerai pas de nom, mais il y a au moins 3 ou 4 responsables politiques de tous les partis du Sénégal qui parlent à chaque fois avec correction et retenue tout en défendant leurs idées. C'est ça que j'aimerais que la politique soit. Il faut toujours prendre un recul pour savoir ce qui est raisonnable et savoir tous les enjeux.

Vous prenez du recul, mais est-ce que vous avez une coloration politique ?
Non ! Ça, je peux vous le dire, je n'ai pas de coloration politique. Et il y a des autorités qui le savent bien. J'ai quand même été sollicité dans le passé par des autorités politiques, mais je ne me suis jamais engagée parce que pour moi la sincérité est sacrée. Quand on s'engage politiquement, on est obligé de respecter les règles d'un parti, on est partisan et quand on est partisan, on n’est pas libre de dire
qu’on n’est pas d'accord. Alors moi, je ne peux pas être partisane parce que ce que je pense je le dis.

Bientôt, les élections, en tant que doyenne, quels conseils donneriez-vous à la population sénégalaise ?
D'oeuvrer pour la paix. Parce que si chacun fait sa politique et remplit sa mission politique ou sa mission d'électeur, je pense que rien ne se passera.

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