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Comment le TER de Macky SALL à déraillé

Jeudi 19 Août 2021

​Le train express régional roulera-t-il un jour ? Alors que ce grand projet devait être le symbole de l’émergence du pays, les nombreux reports de sa mise en circulation font désormais les choux gras de l’opposition.
Depuis le bureau du directeur, au deuxième étage du bâtiment de briques ocre, la vue est imprenable. Plusieurs rames flambant neuves, immaculées ou presque, sont entreposées là. Un peu plus loin, on aperçoit les toits de Colobane, la deuxième gare la plus importante de Dakar après celle du centre-ville. Frédéric Bardenet ouvre la fenêtre : « Vous voyez, ce sont de vraies rames ! Est-ce qu’elles sont en train de prendre la poussière ? »À LIRE Élections locales à Dakar : que craint le régime de Macky Sall ?


Le Français est le directeur général de la Seter, une filiale de la SNCF qui sera chargée de l’exploitation et la maintenance du train express régional (TER) à ses débuts, mission qui sera ensuite confiée à une structure sénégalaise. S’il insiste pour montrer que tout le monde s’active pour qu’il soit mis en service rapidement, c’est parce qu’il sait que beaucoup de Sénégalais commencent à douter sérieusement qu’ils monteront un jour dans ce train censé révolutionner le transport urbain de la capitale sénégalaise.

Rames à quai

Une nouvelle date a pourtant été annoncée, le 5 mai dernier, par le président Macky Sall lui-même. Il a promis que le TER roulerait avant la fin de l’année. Une échéance jugée réaliste par l’ensemble des acteurs interrogés par Jeune Afrique. Mais qui y croit encore ?

À partir du moment où le chef de l’État a circulé lui-même à bord du train express régional, les Dakarois s’attendaient à pouvoir eux aussi profiter très vite de ce nouveau mode de transport. C’était le 14 janvier 2019, à la veille de l’élection présidentielle. Macky Sall a été réélu pour un second mandat mais, deux ans et demi plus tard, les rames sont toujours à quai. « La première chose dont les gens nous parlent, c’est du retard », admet Aminata Dia, chargée par la Seter de faire connaître le TER avant sa mise en circulation.À LIRE [Chronique] Réseaux sociaux : après Buhari, Macky Sall monte au créneau


En janvier 2019, un Macky Sall triomphant se félicitait de réceptionner « le tout premier projet ferroviaire de l’histoire du Sénégal indépendant », porteur de ses ambitions de « progrès, de bien-être et de modernité ». Le TER, assurait alors le chef de l’État, n’était rien de moins qu’une « grande révolution » et un symbole pour le « Sénégal émergent ». « Le TER n’est pas seulement un moyen de transport rapide. Il nous projette à grande vitesse dans le temps de la modernité », promettait Macky Sall. Vitesse de pointe de 160 km/h, rames climatisées en première et deuxième classes, le train doit parcourir les 36 km qui séparent la capitale du pôle urbain de Diamniadio en 45 minutes, et transporter quotidiennement 115 000 personnes. L’idée a de quoi enthousiasmer… Si seulement le train pouvait rouler.

LE TER EST PEU À PEU DEVENU UNE ÉPINE DANS LE PIED DE MACKY SALL


« Cette mise en service, c’est un peu le péché originel. Le TER s’est construit très vite pour un projet de ce type, mais comme le 14 janvier 2019 avait été perçu comme une inauguration, le projet est vu comme étant en retard depuis le 15 janvier », déplore Frédéric Bardenet. Un avis partagé par un proche de Macky Sall. « Les différences annonces qui ont été faites n’ont pas été concertées et sont politiques avant tout », admet-il.À LIRE Sénégal : le TER Dakar-Diamniadio, un projet emblématique dont le coût fait débat

Pour justifier le retard, de nombreux acteurs rappellent que les délais annoncés étaient de toute façon irréalistes. Faut-il donc faire confiance à Macky Sall et à ses équipes lorsqu’ils promettent que le train roulera d’ici la fin de l’année ? « Ce qui change cette fois-ci, c’est que cette date a été endossée par le chef de l’État lui-même, précise une source diplomatique française. Bien sûr, cette annonce est politique comme les autres. Mais l’idée, c’est bien de voir rouler le TER avant cette échéance. »

Plus de 1 000 milliards de F CFA

Prévu fin 2018, puis début 2019, repoussé en avril 2020, annoncé ensuite pour le premier semestre 2021, le TER est peu à peu devenu une épine dans le pied de Macky Sall, qui en avait fait l’un de ses projets phares dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE). Désormais, le TER est avant tout un sujet sur lequel ses adversaires ne manquent pas de l’attaquer. Et pas uniquement à propos des retards accumulés.À LIRE Sénégal : Ousmane Sonko interdit de se rendre à Lomé pour débattre de l’avenir du franc CFA

Principale figure de l’opposition, Ousmane Sonko accuse l’exécutif d’avoir minoré le coût total du projet. « En étudiant les contrats un à un, on voit que le coût du TER a dépassé 1 000 milliards de F CFA [1,5 milliard d’euros] », lançait-il en 2020 devant l’Assemblée nationale. Une « arnaque », à en croire le député, qui reproche à Macky Sall ne n’avoir pas su protéger les intérêts du Sénégal face à ses partenaires français.


 
Officiellement lancé en décembre 2016, le projet est porté par le financier Mountaga Sy, directeur de l’Agence nationale pour la promotion des investissements et des grands travaux (Apix), le maître d’œuvre du TER. Imaginé pour désengorger la capitale, il doit permettre de convoyer ses centaines de milliers de travailleurs depuis la banlieue jusqu’à Dakar chaque jour. Quitte à y mettre le prix.

« Selon une étude de la Banque mondiale, la congestion de Dakar nous faisait perdre 100 milliards de F CFA par an. Une inaction de sept ans équivaut donc à 700 milliards, qui auraient pu financer le TER », défend Abdou Ndene Sall, le directeur général de Senter, la Société nationale de gestion du patrimoine du TER. L’ingénieur décrit une solution « rapide, moderne, structurante, respectueuse de l’environnement, qui va améliorer sensiblement la modernité urbaine entre Dakar et la banlieue. »

Le tour des bailleurs

La décision est prise, reste à la financer. L’État est prêt à mettre 142 milliards de F CFA sur la table. Charge est donnée au ministre des Finances – à l’époque Amadou Ba – de faire le tour des bailleurs. Il décroche un premier prêt auprès de la BAD à hauteur de 120 milliards de F CFA, un deuxième de la Banque islamique de développement (BID) pour 197 milliards. Le financement français, aux procédures plus contraignantes, est plus difficile à obtenir. En avril 2017, Dakar, Paris et l’AFD finissent par signer des conventions, pour un montant total de 129 milliards, pour l’acquisition du matériel roulant ferroviaire. La somme ira finalement jusqu’à 196,5 milliards de F CFA. Coût total de la première phase : 656 milliards de F FCA, soit environ 1 milliard d’euros. Les travaux sont lancés au premier semestre 2017.

« La plateforme ferroviaire, les voies, les deux sites industriels, les gares, les clôtures… L’essentiel a été construit en un peu plus de trois ans. Pour les systèmes [alimentation électrique, signalisation, billettique], l’avancement est plus délicat à mesurer, car il est moins visible », détaille Frédéric Bardenet. Un « effet Covid » serait également responsable de l’allongement du planning de plusieurs mois.
 
En coulisses, des sources évoquent toutefois d’autres problèmes. Le premier, lié au retard de construction de certaines gares, renvoie directement à la société Getran. Le constructeur sénégalais, chargé de celle de Diamniadio, a pris un retard considérable dans ses travaux. « Leur capacité financière a fait défaut, explique une source proche du dossier. On a constaté que les travaux n’allaient pas aboutir. » Les constructeurs turcs Summa, appelés à la rescousse, ont dû prendre le relais.

Un second problème touche cette fois aux liens entre le Sénégal et la France, partenaire privilégié de Dakar sur le projet. Au-delà du financement, les Français sont très impliqués dans la construction du TER : ouvrage réalisé par un consortium franco-turco-sénégalais Eiffage-Yapi Merkezi-Compagnie sahélienne d’entreprises (CSE), conception et réalisation des infrastructures et systèmes par Engie et Thales, fournitures des wagons par Alstom…

Plusieurs de ces entreprises n’auraient pas été payées après janvier 2019. « Les sociétés françaises se sont retrouvées avec des décomptes non soldés », confirme la source citée plus haut. Une situation qui se serait débloquée après le voyage de Macky Sall à Paris en août, au cours duquel il s’est entretenu avec Emmanuel Macron.

Selon cette même source, le président sénégalais avait alors décroché un nouveau financement de la France pour la deuxième phase de travaux, qui concerne le tronçon de 19 km entre Diamniadio et l’aéroport de Dakar. Son coût est estimé à 300 millions d’euros. Un financement additionnel « qui inclut aussi les paiements des arriérés ». Un coup de pouce français qui a eu du mal à passer auprès de la représentation de l’AFD à Dakar, qui aurait préféré tirer les leçons des difficultés rencontrées lors de la première phase avant de poursuivre. Début juin, la visite à Dakar du ministre français chargé du Commerce extérieur, Franck Riester, aura notamment servi à rassurer les entreprises hexagonales sur la suite des travaux.

Dernière ligne droite

Plus que jamais, le Sénégal et ses partenaires se disent donc déterminés à respecter l’échéance fixée par le président. « On est vraiment dans la dernière ligne droite », assure Frédéric Bardenet. Les acteurs évoquent un chantier terminé à 97 %. Selon le directeur de la Seter, les essais dynamiques, c’est-à-dire les circulations quotidiennes des rames, débuteront juste après la mise sous tension de la caténaire, prévue dans les prochaines semaines.

À deux pas de son bureau, derrière l’atelier de maintenance des rames, plusieurs dizaines de jeunes conducteurs attendent de compléter leur formation. Jusqu’à présent, ils ont appris à conduire sur des simulateurs ou des rames lancées à vitesse limitée. Ils auront deux mois de « marche blanche » pour se familiariser définitivement avec leurs nouveaux outils de travail, dans des conditions de circulation normales, mais sans voyageurs.

Les principaux acteurs concernés, quant à eux, continuent de se réunir tous les mercredis autour de Mountaga Sy, qui suit de très près l’évolution des travaux. Il était aussi de la partie au cours de la deuxième « tournée économique » de Macky Sall, qui s’est rendu du 12 au 19 juin dans le nord du pays. Ces voyages du président dans le Sénégal intérieur sont vus par beaucoup comme une campagne électorale avant l’heure. Pour les élections locales, prévues début 2022, pour les législatives… voire pour la présidentielle de 2024, à laquelle certains le soupçonnent de vouloir se porter candidat. « Le TER est un projet moderne, de haute technologie. Il comporte beaucoup de défis techniques et technologiques, mais c’est le choix que nous avons fait. Quand le train va commencer à rouler, nous allons oublier tous ces obstacles », répétait-il en avril dernier. Macky Sall le sait : son projet à 700 milliards de F CFA, tant qu’il reste à quai, peut lui coûter politiquement.

www.jeuneafrique.com
 


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