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Entretien avec Mary Teuw Niane : « Senghor et Diouf n’avaient pas compris…»

Lundi 26 Août 2013

Mary Teuw Niane est manifestement un passionné, quand il parle de l’Enseignement supérieur au Sénégal et de ses réformes engagées. Professeur titulaire de Classe exceptionnelle de Mathématiques, membre de l’Académie des Sciences et Techniques du Sénégal et ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche depuis le 29 octobre 2012, M. Niane voit les choses en grand. Dans cette première partie de l’interview qu’il a accordée au journal Le Quotidien, il détaille les réformes engagées dans l’Enseignement supérieur, tout en regrettant le fait que Léopold Sédar Senghor et Abdou Diouf n’aient malheureusement pas compris que l’Enseignement supérieur ne devait pas seulement être pour une élite.


Entretien avec Mary Teuw Niane : « Senghor et Diouf n’avaient pas compris…»
En quelques mois, il y a eu successivement des Concerta­tions nationales sur l’Enseigne­ment supérieur, un Conseil interministériel et un Conseil présidentiel, toujours sur l’En­seignement supérieur. Pour­quoi de telles initiatives ?
C’est le choix du président de République, sa vision de faire de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, un pilier du développement économique et social de notre pays. Ce choix se traduit d’abord par une démarche inclusive à travers ces Assises de l’école, qui sont traduites au niveau de l’Enseignement supérieur, par ces concertations nationales sur l’avenir de l’Enseignement supérieur, avec les 78 recommandations. Ça se traduit aussi par la volonté de mettre en œuvre, ces conclusions. Et à ce niveau, il faut noter une rupture avec les Concertations d’il y a 20 ans, puisqu’à l’issue de ces concertations là, le gouvernement avait dit : «Je prends les mesures que j’accepte et c’est ces mesures là que je mets en œuvre.»

Le Président, à la fin des concertations, a demandé à son Premier ministre de réunir son gouvernement, particulièrement l’Enseigne­ment supérieur, les Finances et le Budget pour étudier l’impact financier. C’est à l’issue de beaucoup de séances de travail entre l’Enseigne­ment supérieur, le ministère de l’Economie et des Finances, le ministère du Budget que nous sommes arrivés à stabiliser, d’une part, le programme prioritaire de réforme et d’autre part, le plan de développement de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Et ce n’est qu’à ce moment là, que le président de la République a décidé de convoquer le Conseil présidentiel en prenant ces 11 décisions avec pour chaque décision, tout un ensemble de recommandations, tout en sachant que ces décisions s’appliquent sur un plan de financement qui est réalisable, supportable par notre budget national.

Ceci se traduit par les annonces fortes, qu’il a faites à travers le Budget consolidé d’investissement. Nous savons que c’est un gros besoin du secteur, puisque la question de l’accès est aujourd’hui essentielle. Donc, c’est une vision, une première puisqu’il n’y a jamais eu dans l’histoire, un Conseil présidentiel dédié à l’Ensei­gnement supérieur et à la Recherche.

Vous avez évoqué les 78 mesures, prises à l’issue de ces Assises là. Quelles sont les recommandations les plus pressentes ?

Il y a d’abord le fil conducteur. C’est l’orientation stratégique de notre Enseignement supérieur vers les Sciences, les Technologies, les Scien­ces de l’ingénieur et les Mathé­matiques. Ce sont ces formations qui peuvent porter les transformations économiques et sociales et qui feront en sorte que nous allions vers l’émergence. Ceci ne signifie pas qu’on néglige les autres, mais simplement, nous avons aujourd’hui un équilibre disproportionné et insupportable qui est d’avoir 70% de bacheliers littéraires pour seulement 30% de bacheliers scientifiques. La volonté, c’est dans les dix prochaines années, à l’horizon 2022 d’avoir un équilibrage 50%-50%.

Là, c’est le mathématicien qui parle….

Absolument ! Et en même temps, celui qui voit les expériences de tous les pays émergents et les pays développés qui ont, en général, 70% de bacheliers scientifiques pour 30% dans les Humanités et les Sciences sociales. Une autre mesure importante : c’est l’extension de la carte universitaire. Nous avons eu l’année dernière 33.000 bacheliers. Nous en recevons cette année 40.900. L’an­née prochaine, les projections nous emmènent autour de 50.000 bacheliers. Il y a donc, une nécessité de construire de nouvelles universités, de nouvelles institutions d’Ensei­gne­ment supérieur et d’offrir aussi des formations diversifiées et qui sont en adéquation avec les besoins de notre économie et les potentialités des régions et autres.

Il s’agit aussi, à travers cette nouvelle carte universitaire, de rééquilibrer le Sénégal utile. Si vous regardez aujourd’hui les Universités et Eta­blissements d’enseignement su­pé­rieur existants, ils sont tous sur la façade atlantique de Saint Louis, Thiès, Bambey, Dakar et Ziguinchor. Les nouvelles institutions vont permettre d’aller à l’intérieur du territoire. C’est le cas de l’université du Sénégal oriental de Tambacounda, avec les métiers des mines. C’est le cas de l’université du Sine Saloum de Kaolack, sur Fatick, Kaffrine, Diourbel, Kaolack et Foundiougne. C’est le cas des Centres délocalisés de la région de Louga et Matam, de la région de Sédhiou et Kolda. C’est aussi, le réseau d’Instituts supérieurs d’enseignement professionnel. Le premier est à Thiès, mais dans une dizaine d’années, on va faire en sorte que, chaque région ait son Isep.
Enfin, c’est le réseau d’espace numérique ouvert, qui accompagne l’université virtuelle du Sénégal et la prise en charge d’une minorité, je dirai forte de ce pays, qui est en fait, une majorité. C’est une minorité dans la mesure où, dans les formations moyens et secondaires en langue arabe, mais c’est une majorité, dans la mesure où tous sont issus des Daaras et on sait que la grande majorité des Sénégalais sont des musulmans et leurs enfants ont fait les Daaras. Cette minorité a été prise en charge, à travers le baccalauréat arabe qui a été instauré cette année et dont la première session aura lieu en octobre prochain.

L’autre aspect, c’est la gouvernance. C’est faire en sorte que l’université ne soit pas simplement un vase clos, une tour d’ivoire fermée sur elle-même et qui réfléchit pour elle-même et dans ce sens, l’institution de conseils d’administration équilibrés entre le monde universitaire et le monde socio-économique. C’est l’institution aussi de conseils académiques, de conseils scientifiques et de conseils de gestion et de nouvelles procédures de gestion qui puissent permettre aux universités d’être plus à même de générer des ressources, mais aussi de mieux les utiliser.
Dans ce sens, une université aussi grande que celle de Dakar qui brasse des Facultés, qui sont quasiment de petites universités ou même de grandes, parce que la Faculté des Lettres est largement plus peuplée que toutes les autres universités de ce pays. Qu’on ait des réseaux d’agences comptables secondaires qui vont être plus proches des enseignants et des personnels et qui vont permettre la suppression de tous ces comptes parallèles dont on a parlé. Donc, c’est aussi la gouvernance.

L’autre aspect, c’est la qualité. C’est avoir un Enseignement supérieur en adéquation avec les standards internationaux. Un Enseignement supérieur qui permet à nos universités, d’être dans les meilleurs classements mondiaux et que le Sénégal garde et renforce ce rôle de plateforme de formation au niveau régional. Enfin, c’est le lien fort avec le monde socio-économique. On ne peut construire un Enseignement supérieur économique qui ambitionne d’être le pilier du développement économique et social, si un lien fort n’est pas établi avec le monde du travail. Nous sommes un pays où la première priorité est l’agriculture. Aujourd’hui, des enseignants chercheurs devraient contribuer à régler les questions essentielles d’où la recherche, l’innovation et en fin de compte, le nerf de la guerre, c’est la responsabilisation. Il faut que chacun se sente responsable et redevable, puisque ce sont les deniers publics.

L’Etat fait des efforts et je pense que ce Conseil présidentiel, au-delà de la vision, de la volonté et de la crédibilité des institutions, c’est l’effort financier et massif de l’Etat. Cet effort, chacun doit y donner sa contre partie. Aussi bien les étudiants, en sortant de l’habitude traditionnelle de payer 5000 francs pour l’essentiel, mais aussi les enseignants chercheurs en étant plus présents dans le travail, en rendant compte à la société. Qu’on évalue les étudiants, mais qu’on évalue aussi les enseignants et les institutions. Pour cela, il y a l’autorité nationale d’assurance qualité. Donc, nous tournons vers une institution où chacun a un rôle à jouer, rôle pour lequel, il est prédestiné. Donc il doit, à des moments précis rendre compte.

Le Sénégal a-t-il raté le train de l’histoire, à la lecture de tout ce que vous venez de dire ?

On ne refait pas l’histoire, mais si on devait la refaire, sans doute on l’aurait fait autrement. Il y a eu des moments d’efforts de qualité, à l’époque de Senghor et Diouf (anciens présidents de la République). Mais malheureusement, ce qu’ils n’avaient pas compris, c’est que l’Enseigne­ment supérieur ne devait pas seulement être pour une élite. Ça devait être massif. L’Unesco a d’ailleurs dit qu’il fallait à peu près 2% de la population, en âge d’aller à l’Enseigne­ment supérieur, qui devraient y être. Aujourd’hui, si nous respectons ces normes, nous devrions avoir autour de 260 000 étudiants, là où nous en avons 120 000, là où la Tunisie qui a quasiment le même nombre de populations a plus de 400.000 étudiants.
On est en rattrapage, parce que durant cette période, l’Enseigne­ment a été plus académique, puisque héritier de la culture d’Enseignement supérieur de la France. Mais, lors de la dernière décennie, nous avons vu la création de nouvelles institutions d’Enseignement supérieur. Il y a eu un effort, qui a commencé, il y a un peu plus de 20 ans, sur la construction d’écoles primaires, de collèges, de lycées. Et l’arrivée massive de ces étudiants n’a pas été préparée.

En plus, nous sommes dans un système régi par des textes, dont certains datent quasiment des années 1970. Parfois même, la philosophie de ces textes date des années d’avant indépendance. Donc, il y a une révolution que la France a faite et que nous n’avons pas fait ou fait à moitié. L’intérêt de ce Conseil présidentiel est de ne rien laisser de côté. Tout le monde est interpellé sur ces missions qui doivent d’abord être redéfinies. Quelles étaient la mission de l’Université avant ? C’était de former, de diffuser la connaissance, de participer à sa création à travers la recherche. C’était le rayonnement de la culture africaine et le rayonnement international. Aujourd’hui, l’université doit contribuer au développement de l’innovation, contribuer à la création d’entreprises et à l’insertion de ses étudiants. L’université devrait aussi faire du service à la communauté et contribuer à la vulgarisation de la Science des technologies et autres. L’université devrait valoriser les connaissances endogènes et être un support important pour nos langues nationales et nos cultures.

L’Enseignant chercheur, son rôle était d’enseigner et de faire des recherches. Ce qui amenait la tour d’ivoire. Mais, toutes les universités modernes ont évolué. L’enseignant, en plus de cette mission, doit aussi faire du service à la communauté. Il doit lui rendre service, contribuer à vulgariser les connaissances dans toute la société. Il doit participer à l’élaboration des plans stratégiques, des visions de son institution. Il doit participer à faire rayonner son institution à travers ses publications, ses innovations, les brevets qu’il crée. En somme, il doit être un élément de mobilisation de ressources, pour son université.

L’enseignant chercheur doit être quelqu’un de disponible pour ses étudiants à qui il donne des cours et ceux qu’il encadre. Il doit être une personne totale au service de son institution. Mais, si vous regardez les textes qui régissent les enseignants, vous ne verrez pas ces aspects dedans. Donc, ces ruptures là, nous devons les faire évoluer, car nos universités ne peuvent pas être des endroits fermés, sourds aux besoins et appels de la société et en même temps, prétendre vouloir assurer le développement. C’est tout le Sénégal qui doit faire appel aux universités et je sais que les populations sont sensibles, parce que j’ai visité la région naturelle du Sine Saloum, pour l’installation de l’université du Sine Saloum et j’ai été très frappé par l’engagement des paysans à donner leurs terres pour cette institution. Et quand vous leur demandez le pourquoi, ils vous disent qu’ils sont vieux et qu’ils ne connaissent pas les nouvelles technologies que nécessite l’agriculture.
Donc, il y a une attente des populations et malheureusement, l’université n’a jusqu’à présent pas donné tout ce qu’elle peut donner aux populations.

Vous promouvez des réformes inclusives dans l’Enseigne­ment supérieur, alors que de l’autre côté, il y a des grincements de dents surtout des étudiants, qui se sentent exclus. N’est ce pas un paradoxe ?

Au Sénégal, il y a une chose que l’on constate malheureusement : les gens ont beau être associés, quand les décisions sortent, chacun veut qu’elles ne touchent pas à ses avantages acquis. Dès lors que les décisions touchent les avantages acquis, on commence à s’opposer. C’est pour vous dire que tout le monde a été associé, même les élèves. Le comité de pilotage, dirigé par le professeur Souleymane Bachir Diagne a même rencontré les élèves des lycées pour recueillir leurs attentes. Il a rencontré les étudiants qui d’ailleurs, étaient présents et massivement, comme les enseignants au niveau des plénières.

Est-ce que vous avez pris en compte leurs préoccupations ?

Elles ont été largement prises en compte, parce que tout ce qui est construit, c’est pour que l’étudiant réussisse et puisse, quand il sort avec un diplôme, s’insérer rapidement. C’est aussi pour que l’étudiant ait un transit, le plus court possible dans les cycles. C’est tout cela qui est pris en compte et qui fait que nous voulons promouvoir le label étudier au Sénégal. C’est-à-dire, faire en sorte que l’étudiant qui est au Sénégal et qui fait confiance aux établissements d’enseignement supérieur de notre pays, qu’ils soient publics ou privés, quand il a un diplôme, qu’il puisse être plus compétitif que l’étudiant qui a décidé d’aller étudier à l’étranger et qui revient. Parce que c’est cela qui va établir l’équité. Comme vous le savez, beaucoup de gens de notre génération sont issus de familles rurales ou de familles citadines pauvres. C’est grâce à l’école que cette promotion sociale a pu se faire. L’école doit continuer à jouer ce rôle, mais en n’étant pas une université de seconde zone. Et ça, la Concertation et le Conseil présidentiel l’ont réaffirmé.

Pour cela, une université a besoin de moyens. En particulier, les étudiants doivent apporter à côté de l’Etat, une contribution certes modeste, mais quand même qui exprime leur engagement pour leurs études. Quand, depuis les années 1960, on paie 5000 à peu près et qu’on vous dise en première année : «Payez 25.000», j’ai fait le calcul et ça représente dans l’imaginaire du Sénégalais, un peu plus de 500 francs par semaine. Vous allez dans les villes, les talibés que les parents envoient dans les Daaras paient autour de 500 francs par semaine. Ce qui représente 2000 francs par mois. Nous, on demande de payer un peu plus de 2.150 francs par mois aux étudiants. La société le fait déjà à des échelles beaucoup plus larges et à des niveaux moins élevés que cela. Donc, l’Etat ne leur demande pas plus, d’autant que l’Etat d’ailleurs, a fait un autre effort. Les formations doctorales nécessitaient 150.000 francs, l’Etat les a ramenées à 75.000 francs, parce que le souci majeur du Président, est qu’on n’écarte pas des couches de la société de l’Enseignement supérieur, faute d’argent.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle au cours de l’année qui vient de se terminer, lorsqu’il y a eu ce nombre de bacheliers non orientés, le Président a pris la mesure historique de payer pour eux, dans les établissements privés de qualité, pour qu’ils puissent poursuivre leurs études.

Lequotidien.sn


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1.Posté par Question le 27/08/2013 00:37
C'est pour le peuple et vous augmentez les inscriptions !? Bizarre !!!!

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