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La lente agonie d’une île. Par Louis Camara

Jeudi 7 Août 2025

À la mémoire d’Alioune Badara Diagne Golbert À tous ceux qui aiment Saint-Louis


 

Dans certains pays on meurt pour sauver le patrimoine

Chez nous tout au contraire on s’emploie à le faire mourir

Et même si l’on n’est pas aigri pour autant

L’on ressent tout de même une profonde amertume

De voir notre île jadis si belle et si coquette

Traitée comme une malpropre ou comme une souillon.

Sans être désespéré l’on peut bien se sentir frustré

Voire déçu, désabusé et même en colère.

Ah ! quelle inconscience, quel manque de respect

Pour ce lieu de mémoire si chargé d’histoire

Qui fut en son temps une capitale magistrale 

Centre du bon goût de l’élégance et de la civilité !

Ses habitants aux mœurs et coutumes raffinés

Vivaient alors dans une ambiance de sérénité

De paix de tranquillité et de convivialité.

Mais aujourd’hui que reste t-il de tout cela ?

Que reste t-il de l’air pur et de la fraîcheur marine

De la propreté du calme et du bien-être

De la douceur de la beauté et de la poésie

Qui imprégnaient les coins et les recoins de l’île ?

La réponse est là sous nos yeux, brutale, violente :

Le bruit et la fureur ont pris possession des lieux

Et la féérie a disparu faisant place à la frénésie.

Autrefois comparée à Venise la sublime

L’île de Ndar est à présent pire qu’une favela

Où la saleté le dispute aux mauvaises odeurs

Mais aussi au désordre et au charivari.

Les rues sont envahies par les ordures et les déchets

De même que les quais asphyxiés par la puanteur.

Dès les premières lueurs de l’aube le pont Faidherbe

Est pris d’assaut par une vrombissante armada

D’automobiles de tous calibres et d’engins à deux roues

Qui se ruent avec fureur su l’île encore endormie

Qui devient alors terrain de jeu et piste de rallye

Et qui subit la loi de ces chauffards ivres de vitesse

Semant partout la pagaille et  l’insécurité.

Les malheureux piétons terrifiés et traumatisés

Arpentent la peur au ventre les rues encombrées

Se sentant menacés et leur vie en danger 

Car nul n’est à l’abri d’un accident provoqué 

Par l’un de ces pyromanes qui se croient tout permis.

Et ainsi chaque jour l’île gémit et se tord de douleur

Sous les coups de boutoir de ces fous iconoclastes

Qui violent son espace et le piétinent avec hargne

Comme s’ils voulaient la faire disparaître à tout jamais

De la surface de la terre et de la mémoire des hommes.

Il faut aller sur l’île pour se rendre compte 

Que l’automobile est une invention néfaste

Bruyante, polluante, déshumanisante

Lorsqu’elle entre les mains de gens sans éducation.

L’on ne peut s’empêcher d’être triste et désolé

Face au spectacle de ces milliers de taxis jaunes

Pareils à de menaçants scarabées géants

Qui matin et soir tournicotent autour de l’île

Polluant l’atmosphère de leurs fumées toxiques

Klaxonnant à tout bout de champ sans aucune raison.

Et que dire des autobus et des camions déglingués

Qui peinent à se frayer un chemin dans les rues étroites 

De ces engins aux noms si rébarbatifs

Ces dangereux tchak-tchaks et ces jakartas

Qui roulent toute la journée à tombeau ouvert

Et la nuit éblouissent les passants de leurs phares aveuglants ?

Pourquoi tant de mépris et tant d’ingratitude 

Tant d’indécence et de vulgarité à l’égard de cette île 

Qui devrait pourtant être protégée, chérie, adulée

En raison de ce qu’elle est et de ce qu’elle représente ?

Pourquoi ces bâtiments abandonnés ces trottoirs défoncés 

Où l’on vient se garer avec tant d’insolence et de morgue ?

Pourquoi cette place publique rasée ces arbres déracinés ?

Pourquoi toutes ces ordures jetées dans ce beau fleuve 

Qui après avoir enlacé l’île de ses bras langoureux

Va se jeter dans l’océan qui l’attend ?

Pourquoi veut-on souiller l’âme de cette île bénie ? 

Ô Seigneur, Dieu Suprême écoutez notre prière

Nous qui souffrons de la voir bafouée, martyrisée

Piétinée, dénaturée, saccagée, émasculée !

Sauvez l’île de Ndar du désordre et de l’anarchie

Préservez-la du chaos et de l’anomie

Faites qu’elle redevienne ce qu’elle était jadis :

Une terre d’hospitalité et de convivialité

Une cité d’amour et de générosité

Un havre de paix où régnait une saine tranquilité.

Seigneur chassez loin de Ndar le malheur et la chienlit

Éloignez d’elle la tristesse et la désolation

Afin qu’elle retrouve le sourire et la joie de vivre

Qu’elle soit auréolée de lumière et de grâce

Qu’elle s’illumine à nouveau de beauté printanière

Et qu’elle brille de mille feux comme un bijou précieux.  

Poètes qui aimez l’île de Ndar et qui la chérissez

Affûtez vos plumes et ciselez vos mots

Faites de la poésie votre mur des lamentations

Qu’à travers vos vers l’île se pare de lumière

Et qu’elle reste immortelle pour les siècles des siècles !

 

Louis CAMARA                                                                                                                              Écrivain et poète                                                                                                              Lauréat du prix du Chef de l’État pour les lettres.

P. S : Ce poème n’est peut-être qu’une utopie mais même si l’île de Ndar venait à disparaître (ce qu’évidemment je ne souhaite pas !), il restera comme unhommage à sa splendeur car la poésie seule a le pouvoir de résister à la barbarie. Tant que l’île de Ndar ne sera pas réhabilitée, son patrimoine matériel et immatériel revivifié, ni le tourisme ni la culture, ces secteurs clés de l’économielocale ne se développeront jamais. Et Saint-Louis poursuivra sa lente agonie, sa tragique descente aux enfers 



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