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Portables, Wi-Fi, tablettes : les vrais dangers des ondes

Lundi 14 Avril 2014

Elles sont inodores et incolores. Mais sont-elles pour autant inoffensives ? Les ondes électromagnétiques sont partout. Téléphones portables, sans fil, Wi-Fi, tablettes, consoles de jeux... Et plus les radiofréquences envahissent notre quotidien, plus elles suscitent méfiance et inquiétude. Alors que les opérateurs de téléphonie sont en train de déployer la 4G qui permet de télécharger en quelques secondes des films sur son mobile et de desservir toutes les zones rurales, les associations environnementales et les écologistes se désolent qu'aucune étude d'impact sanitaire n'ait été lancée à ce jour. Pour ne pas gêner les industriels ?

La 4G, ce sont des milliards d'investissements, la survie des trois opérateurs talonnés par Free sur le marché du mobile et des milliers d'emplois. Et pour réduire la fracture numérique, devenue une priorité nationale, on imposera à la population une augmentation de 50% de l'exposition aux ondes. Comment être sûr que cette nouvelle technologie n'aura aucun effet sur la santé ? Pour les maires, le sujet est devenu explosif, surtout à l'approche des municipales. Souvent interpellées dès qu'un opérateur veut installer une antenne-relais devant une crèche ou une école, les communes préfèrent appliquer le principe de précaution plutôt que de se fâcher avec leurs électeurs.

La guerre des "pro" et "anti-ondes"

Entre les "pro" et "anti-ondes", la guerre fait rage. D'un côté, ceux qui se présentent comme les héritiers des Lumières et considèrent, à l'instar du professeur André Aurengo, 64 ans, membre de l'Académie de Médecine, que "le rayonnement des ondes électromagnétiques n'a aucune incidence sur la santé".Spécialiste de médecine nucléaire à la Pitié-Salpêtrière, il est catégorique : "Plus de trente études en double aveugle ont été menées dans le monde et, à chaque fois, il apparaît que les patients ne ressentent pas les effets des ondes. Les gens cherchent des explications à leurs maux sur internet et se raccrochent à l'électrosensibilité comme à une croyance."

A l'opposé, le professeur Dominique Belpomme, 70 ans, cancérologue, rejette ce procès en sorcellerie. Il considère que l'électrosensibilité fait partie des nouvelles maladies environnementales, au même titre que les pathologies dues à l'amiante, aux pesticides et autres perturbateurs endocriniens. A tous ceux qui l'accusent de charlatanisme, il rétorque : "Pasteur aussi était regardé avec méfiance par ses confrères jusqu'à ce qu'il découvre les microbes !"

Président de l'Artac (Association pour la Recherche thérapeutique anticancéreuse), Dominique Belpomme a ouvert une consultation pour tous ceux qui ne trouvent aucune réponse à leurs souffrances. Les patients viennent de tout l'Hexagone et même de l'étranger comme Anne-Laure, traductrice pour une organisation internationale à Genève. La première séance dure en général une heure trente. Le professeur Belpomme interroge les patients sur leurs intolérances alimentaires, d'éventuels antécédents psychiatriques, leur mode de vie, leur dernier téléphone, leurs alliages dentaires et même les morsures de tiques, qui peuvent attaquer le système nerveux. Atteinte de sclérose en plaques, Anne-Laure souffre de migraines, de picotements au bout des doigts et de la langue, de sensations de brûlure au visage, de nausées, vertiges, douleurs abdominales, allergie aux produits d'entretien, crises d'asthme...


Je vais sans doute remettre en cause ce diagnostic, lui explique-t-il. Il se peut que vous souffriez d'une forme particulière de MCS (Multiple Chemical Sensitivity). Les patients qui en sont atteints sont souvent plus sensibles à une exposition prolongée aux ondes."

Outre la suppression définitive du portable et un déménagement, Dominique Belpomme ordonne à la Genevoise des tests sanguins et des échographies du cerveau.


Quand on parle de rayonnement, il faut distinguer les ondes émises par les téléphones portables de celles des antennes-relais. Plusieurs études ont montré que l'utilisation excessive (plus d'une heure par jour pendant cinq ans) du téléphone portable sans oreillette peut augmenter les risques de tumeur au cerveau et avoir des effets négatifs sur la fertilité masculine. En 2010, on avait parlé de "Tchermobile", jeu de mots macabre rappelant qu'après la catastrophe de Tchernobyl le nombre de cancers de la thyroïde avait explosé.

"Ce n'est plus une question scientifique mais une question de société"

Rien de comparable avec les portables. Les usages ont changé. Les utilisateurs envoient plus de SMS et passent moins de temps l'oreille vissée au portable... et les constructeurs se sont appliqués à fabriquer des téléphones moins nocifs. Bien insuffisant pour les associations environnementales et certains élus qui exigent une meilleure information des consommateurs. Comme le précise Laurence Abeille, députée Europe Ecologie-les Verts, "la téléphonie mobile n'est pas seule en cause, toute la technologie sans fil est concernée comme les téléphones, le wi-fi, et d'autres objets de la vie courante tels les micro-ondes, les babyphones, certains nouveaux jouets ou même des appareils médicaux."

Aujourd'hui, la guerre se porte sur les antennes-relais. "Il n'y a pas eu suffisamment d'études épidémiologiques", estime Janine Le Calvez, présidente de Priartem (Pour une Réglementation des Implantations des Antennes-Relais de Téléphonie mobile). "On peut toujours faire plus de recherche. Mais je crains que la science ne soit au bout de ce qu'elle peut apporter, rétorque Anne Perrin, présidente de la section Rayonnements non ionisants de la SFRP (Société française de Radioprotection). Près de 2.600 études ont été publiées sur les effets des fréquences de téléphonie et wi-fi. Désormais le terrain est déblayé. Comme pour les OGM, ce n'est plus une question scientifique, mais une question de société."

Insupportables propos pour les "anti-ondes" qui ont vite fait d'accuser certains scientifiques de travailler en sous-main pour les opérateurs. Certes, le Pr Aurengo a bien été membre du conseil scientifique de Bouygues Telecom, "mais à titre bénévole", précise-t-il. Sa position n'est, selon lui, liée à aucune compromission. L'académicien comme Anne Perrin et bon nombre de leurs confrères sont catégoriques. Pour eux la méthodologie des essais cliniques est infaillible et ils savent - c'est leur métier - distinguer les bonnes études des mauvaises. Au nom du progrès scientifique, ils sont aussi pro-nucléaire, pro-OGM et pro-gaz de schiste. Pour eux, les électrosensibles ont développé une "phobie des ondes" qui s'est propagée dans la société comme les rumeurs.

Electro-hypersensibles : fous ou vraiment malades ?

Pour étayer leur thèse, ils s'appuient sur les premiers résultats délivrés par l'étude nationale menée par l'équipe du Pr Dominique Choudat à l'hôpital Cochin. Pourtant cette expérience risque de rester inachevée. Mécontentes du protocole mis en place, les associations environnementales ont en effet recommandé à leurs adhérents de la boycotter au motif que le questionnaire avait une approche plus psychiatrique que biologique. "Dans ces conditions, je ne sais pas si Cochin pourra aller jusqu'au bout de l'étude, regrette le neuropsychiatre Jean-Pierre Marc-Vergnes, car elle a mis en observation davantage de sujets âgés. Ces patients consultent moins les sites des associations que les plus jeunes."

Le neuropsychiatre le regrette car il comptait s'appuyer sur ce groupe de patients pour mener sa propre étude sur les EHS (les électro-hypersensibles) alors que l'objectif de Cochin était principalement de prendre les malades en charge. Comme beaucoup de médecins, le Pr Marc-Vergnes estime que l'on n'a pas encore pu prouver de lien direct entre l'hypersensibilité et les ondes. En revanche, il est certain que "ces patients ne relèvent pas de la psychiatrie". Contrairement au sentiment qui a pu se dégager de reportages présentant comme des illuminés certains réfractaires aux ondes partis se cacher au fin fond de cavernes...

Cette pathologie affecte aussi les technophiles. Ainsi Veronika Giesecke, une très belle femme de 56 ans, dessinatrice et infographiste de formation, n'est-elle plus capable de travailler sur un ordinateur que quelques heures par jour. Lorsqu'elle se rend dans le centre de Tours, où elle habite, elle se déplace avec un voile de protection anti-ondes qui lui donne un air d'apicultrice. "J'adore les technologies, j'adore aller au cinéma avec des amis, et j'adore me maquiller. Me promener dans cet accoutrement ne m'amuse pas du tout, précise-t-elle. Je n'ai strictement aucune envie de quitter cette ville pour aller m'installer dans une grotte."

L'exemple de l'écrivain Jean-Yves Cendrey, qui publie le récit de son cauchemar dans son prochain roman intitulé "Schproum", est tout aussi effarant. Stéphane Cagnot, fondateur de Dédale, une agence qui travaille sur les innovations urbaines et les enjeux de la ville verte et du numérique, a installé dans son appartement de Charenton des rideaux pour protéger ses deux enfants de l'antenne-relais installée juste en face. En 2008, il a perdu son fils de 5 ans, atteint d'une leucémie. Il s'interroge sur la nocivité de cette antenne. Tous fous ? Tous désireux de mettre leurs angoisses sur le dos des ondes électromagnétiques ?

"Les fréquences ont un effet sur le corps humain"

Professeur de physique à l'université Pierre-et-Marie-Curie et membre de l'Académie des Sciences depuis 2000, Pierre Encrenaz se méfie depuis toujours des téléphones portables et des antennes-relais. Depuis son bureau de l'Observatoire, dans le 14e arrondissement de Paris, il pointe la tour Eiffel, en droite ligne devant lui : "Son rayonnement est très puissant." Sa défiance s'appuie notamment sur les découvertes d'Alim-Louis Benabid. Le neurochirurgien et biophysicien de Grenoble a inventé une méthode très particulière pour soigner les malades atteints de Parkinson. Elle consiste à implanter des électrodes dans la boîte crânienne permettant d'induire un courant électrique à haute fréquence (100 à 200 hertz). Une opération délicate et risquée. A ce niveau de fréquence, la stimulation a l'effet d'une lésion... ce qui supprime l'effet Parkinson. "C'est bien la preuve que les fréquences ont un effet sur le corps humain", souligne Pierre Encrenaz.


Odile Benyahia-Kouider - Le Nouvel Observateur


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