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[Reportage] Près de 200 ans après le suicide des femmes de Ndarer, une mémoire à vau-l'eau

Lundi 10 Mars 2014

Le site historique de Nder, où en 1820, des femmes se sont immolées par le feu collectivement pour échapper à la captivité, est menacé d'occupation. Des populations installées près de cette ancienne capitale du royaume du Waalo, dans le nord du Sénégal, veulent quitter leur village actuel, confronté à la remontée de la nappe phréatique, aux inondations et à la salinisation des terres, pour s'installer sur le site historique, distant de deux kilomètres. Il y a ainsi un risque de détruire davantage les vestiges d'une mémoire agressée à travers le temps. A l'occasion de la journée internationale de la femme, Sud revisite l'épopée de ces héroïnes du Waalo et ce qui en est resté, près de deux siècles après.


Nder !  Le nom sonne comme une saga de la femme sénégalaise. A hauteur de Colonat, parmi le chapelet de hameaux et d'habitats spontanés bordant l'axe Saint-Louis-Richard-Toll, dans le nord du Sénégal,  une piste défoncée mène vers l'ancienne capitale du Waalo.

La route latéritique s'enfonce vers l'est. Elle s'étale sur des étendues de terre argileuses presque dénudées et parsemées par endroits d'arbres rabougris, dont de nombreux  épineux, et d'îlots verts, des aménagements agricoles irrigués.

Un vaste espace balayé par les vents de sable venus du Nord et guetté par le désert, ce qui vous fait souffler en douceur: cette partie du Sénégal est un don du fleuve éponyme. La vie n'y est possible qu'en raison de l'irrigation et des crues et décrues du cours d'eau. Après une randonnée d'une trentaine de km, Nder, situé à l'ouest du lac de Guiers d'où Dakar, à quelque 200 km, tire son eau, surgit, blotti dans un calme un tantinet perturbé par les rares voitures qui passent.
Des images ! Une borne fontaine à sec avec tout autour des bidons attendant d'être remplies,  des habitations en pisé et au toit en paille,  des ruelles sablonneuses délimitant des concessions dont plusieurs sans clôture.

On a du mal à imaginer que cet endroit, pendant de nombreux siècles, a fait partie des épicentres de ce qui allait devenir le territoire du Sénégal, un espace de plusieurs Etats plus ou moins rivaux avant l'unification par la colonisation française à partir de la deuxième moitié du 19e siècle.

Dans l'imaginaire collectif sénégalais, le village de Nder, rattaché aujourd'hui à la communauté rurale de Gnith,  dans le département de Dagana, renvoie au suicide collectif de femmes qui se sont  immolées par le feu, selon des historiens, le mardi 7 mars 1820, pour échapper aux Maures du Trarza et aux  troupes de l'Almamy du Fouta, deux royaumes voisins du Waalo. Cet évènement est passé à la postérité sous le vocable de "Talaatay Nder", le mardi de Nder en langue ouolof.
La saga des femmes de Nder et de manière générale le rôle des femmes dans l'histoire du Waalo, royaume auquel elles ont fourni des dirigeantes, sont devenus des éléments de la vulgate féministe au Sénégal. Cette mémoire,  malheureusement à vau-l'eau aujourd'hui comme beaucoup de chapitres de l'histoire du Sénégal, est cependant mise au service de revendications des femmes pour plus de conquêtes politiques et sociales.

Le lac de guiers bouscule les hommes

"C'est le village de nos ancêtres mais nous partageons ce patrimoine avec d'autres personnes qui sont à Dakar, Saint-Louis et ailleurs. Nous ne pouvons rien entreprendre sans eux", affirme le chef de village Ndiaye Sarr Diaw, assis sur une chaise, devant un auditoire formé notamment de chercheurs, installé sur une natte en plastique à même le sol.

"Le plus grand problème auquel nous sommes confrontés est le manque d'espace. La nappe phréatique est très proche. Même construire des toilettes pose problème. L'eau affleure après seulement trois mètres. Plusieurs générations s'entassent dans une même concession. Les jeunes qui se marient  veulent quitter la maison familiale et construire leurs propres maisons mais ils n'ont pas d'endroit pour le faire parce qu'il y a beaucoup de litiges fonciers dans le village", dit-il.

"Nous voulons nous déplacer. Le site approprié est le "guent", poursuit-il. Le "guent", ancienne habitation en langue ouolof, est l'appellation du site historique de Nder où se sont déroulés les évènements de 1820.  Ce lieu est situé légèrement en hauteur par rapport au village actuel. A ces problèmes, s'ajoute, selon le chef de village, la réduction des superficies cultivables due à la salinisation des terres résultant des rejets des industriels sur le lac de Guiers, situé non loin et principale source de vie des populations locales.

"Nous avons des problèmes pour avoir des terres de culture et sans l'agriculture, comment allons-nous vivre ?", s'interroge-t-il, pensif.

Le village est également victime des crues régulières du lac de Guiers qui provoquent des inondations.
"Depuis (la mise en eau des) barrages (de Diama et Manantali, en 1983), il n'y a plus de décrues dans cette zone d'où la persistance de l'humidité", avait conclu une équipe de la direction du Patrimoine culturel, un service rattaché au ministère de la Culture, et de l'Ifan, à l'issue d'une mission à Nder début 2013. Plusieurs habitants du village actuel ont  jeté leur dévolu sur le site historique et veulent s'y installer, selon des témoignages concordants.

"Un tel déplacement risque de détruire à jamais les pages d’histoire enfouies sous formes de vestiges archéologiques et mémoriels et compromettre toute recherche sur le site et détruire ses vestiges historiques", affirme Ibrahima Thiaw, chef du laboratoire d'archéologie de l'Institut fondamental d'Afrique noire (Ifan), un institut de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).

Nder, d'hier à aujourd'hui

Le site historique où a eu lieu le suicide collectif des femmes est distant de deux kilomètres de l'actuel village.  Un baobab pluriséculaire,  témoin de l'évènement de 1820, des buttes par endroits, témoignages d'anciennes habitations, des tessons de poterie et des perles sont parmi les vestiges qu'on peut encore trouver sur le site. L'espace, recouvert d'herbes sèches, n'est pas délimité. On n'y a trouvé aucun grillage, encore moins le moindre piquet pour le matérialiser. A la surface, aucune trace visible des anciennes maisons. "Elles devaient être en paille et n'ont pas résisté au temps", affirme une étudiante sur Nder.

Des champs sont aménagés sur le site même. "Avec ces cultures, la destruction du site est entamée car ces activités détruisent de manière irrémédiable les vestiges et les couches archéologiques, rendant toute tentative de contextualisation et de reconstruction historique et mémorielle quasi impossible", affirme M. Thiaw. Depuis des années, des habitants mettent régulièrement au jour des pièces archéologiques dont la destination finale est inconnue. "J'ai ramassé un jour deux bracelets sur mon champ" sur le site historique, a affirmé un notable du village. "Des gens venaient et récoltaient de nombreuses perles qu'ils amenaient avec eux", dit un villageois. "La statue de Ndatté Yalla (Mbodj) auraient dû être construite ici à Nder mais Oumar Sarr (ancien ministre) l'a amené à Dagana", commune dont ce dernier est le maire,  dit un autre villageois, qui se plaint de l'absence de valorisation du site, au plan touristique notamment.  Ndatté Yalla Mbodj, qui était à Nder au moment des évènements de 1820, (lire ci-contre), est la dernière reine du Waalo qu'elle dirigeait au moment de la conquête française, en 1855. "Depuis des années, plusieurs ministres nous ont promis une reconstruction du site mais leurs promesses sont restées sans suite", dit un jeune du village.

Le jour du sacrifice suprême

Il y a plusieurs versions, plusieurs dates et plusieurs interprétations des évènements survenus à Nder. Une des dates les plus communes avancées est le 7 mars 1820.  La date du 5 mars 1820 et l'année 1819  sont mentionnées dans certains ouvrages.

L'histoire commence le 21 septembre 1819 avec l'attaque, par les Maures du Trarza, dans l'actuelle Mauritanie, et les troupes du Fouta, du village de Thiagar (Waalo) où se trouvaient le brack, titre que portait le responsable du royaume, et ses principaux dignitaires. A la suite de cette attaque, le brack Amar Fatim Mborso a une fracture à la jambe, près du genou, et est évacué à Saint-Louis, pour se soigner. Beaucoup de chefs militaires le suivent dans ce comptoir français. Cette attaque a lieu alors qu'il n'y avait à Nder, à l'exception de quelques hommes, partis aux champs pour la plupart, que des femmes, des enfants et des vieillards, selon des historiens.

Pour faire face aux assaillants, les femmes s'organisent sou la direction de  la linguère Fatim Yamar Khouriaye, épouse du brack. Elles se déguisent en hommes pour défendre la capitale. Leurs propos sont résumés par Fatou Sarr, chef du laboratoire genre de l'Ifan. "Nous avons d'importantes responsabilités, nous sommes aussi formées au métier des armes et savons défendre le Royaume même en l'absence des hommes (...). Femmes de Nder, notre belle capitale, fierté de notre peuple est cernée de toutes parts par les forces coalisées islamistes. Le sort du Waalo est entre nos mains", écrit-elle dans un document relatif à cette épopée.

Les femmes réussissent à repousser l'attaque mais en savourant leur victoire commettent l'erreur d'enlever leur turban, laissant apparaître leurs tresses, donc leur nature féminine, ce qui suscita une réaction d'orgueil des assaillants qui reviennent à la charge. Acculées et cernées de toutes parts, les femmes choisissent de s'immoler dans une grande case pour échapper à la captivité.

Mais avant de mourir, la linguère Fatim Yamar Khouriaye a pris soin de mettre à l'abri ses deux filles, Ndjeumbet Mbodj et Ndatté Yalla Mbodj qui vont plus tard diriger le royaume du Waalo.
La revanche du Brack à Dialoowali

Pour venger les héroïnes de Nder, le brack du Waalo, malgré ses blessures, quitte prématurément Saint-Louis. Il mobilise ses hommes et se met à la poursuite des agresseurs. Il parvient à pénétrer sur le territoire du Trarza qui connut alors beaucoup de destructions, selon des historiens.

Une autre bataille va opposer le 22 juillet 1820 les forces coalisées maures et haalpulaar aux troupes du brack à Dialoowali, un village près de Dagana, où les armées du Fouta et du Trarza furent battues.

Mais malgré ce sursaut d'orgueil, le royaume du Waalo était en déclin. Trente-cinq ans après la tragédie de Nder,  le royaume du Waalo sera conquis par le gouverneur de la colonie du Sénégal, Louis Faidherbe, le 25 février 1855. C'est le premier Etat précolonial conquis en Afrique noire par la France qui en fera un laboratoire.

"L'expérience des Français au Waalo est capitale dans la mesure où, quelques années avant la conquête du reste de l'Afrique, ils ont expérimenté sur une surface réduite les méthodes de leur administration coloniale qu'ils vont appliquer, à une plus grande échelle à l'ensemble des pays conquis", estime l'historien Boubacar Barry, auteur d'un livre sur le royaume.
"C'est dans la guerre du Waalo que sont formés la plupart des officiers qui seront les artisans de la conquête et surtout, c'est parmi la population du Waalo que seront recrutés les premiers auxiliaires africains de la colonisation française en Afrique noire", poursuit-il.

Projets agricoles et routiers au mépris du patrimoine

Le site de Nder n'est qu'un exemple de la dégradation du patrimoine historique au Sénégal. L'ancien village de Dialoowali, près de Dagana, "est également une immense butte archéologique avec des vestiges beaucoup plus anciens. Tout comme Nder, ce site classé patrimoine national " connait des problèmes de conservation, estime Ibrahima Thiaw.

Il "aurait été vendu à un promoteur privé. La SAED ( société publique chargée de l'exploitation des terres de la Vallée du fleuve Sénégal) y a également aménagé des bâtiments au grand mépris de ses valeurs symbolique et mémoriel. Ce qui inquiète encore plus, c’est l’inertie des autorités du ministère de la Culture qui ne font aucun effort dans la gestion de notre patrimoine national sauf pour se donner une visibilité médiatique.

Le drame dans tout cela, c’est que ce sont souvent des sociétés nationales qui auraient dû aider à la préservation et à la valorisation des ressources patrimoniales qui orchestrent la destruction". Il cite l'exemple de "l'Apix, entreprise de destruction massive qui a rasé plusieurs sites (historiques) le long de l’autoroute à péage Dakar-Diamniadio et qui continue à opérer impunément sur l’axe Diamniadio-Mbour" où est prévu le prolongement de cette voie. Pour Ibrahima Thiaw, "si l’Etat ne fait rien pour stopper le processus (de dégradation des sites), nous courons le risque de donner raison à ceux qui disaient et peut-être continuent à penser que les Africains n’ont jamais produit d’histoire puisque plus de 95% de notre passé est enfoui sous terre sous forme de vestiges archéologiques. On se contentera alors d’enseigner à nos enfants l’histoire coloniale du reste très superficielle et avec des sources basées sur le langage plutôt que celle plus empirique de l’archéologie».

Sudonline.sn


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