En marge de la célébration de la journée du tourisme le dimanche dernier dans la Cité du Rail, le président de l’Organisation nationale pour l’intégration du tourisme sénégalais (Onits) et du Front social pour le tourisme (Fst) a réagi à la décision du président de la République, prise en Conseil des ministres du mercredi dernier, sur l’impératif d’une meilleure promotion de la destination Sénégal. Doudou Gnagna Diop pense qu’il faut intégrer les acteurs à la base. Pour lui, il est temps pour le pays d’aller vers d’autres horizons, d’autres conceptions du tourisme, car le Sénégal a atteint ses limites.
Le président de la République a demandé au gouvernement de procéder avant la fin du mois d’octobre 2015 à l’évaluation technique et financière de l’ensemble des mesures engagées en vue de la relance du secteur du tourisme. En tant qu’acteur du secteur, qu’en pensez-vous ? Il faut d’abord dire que le tourisme a fonctionné au début au Sénégal avant d’aller vers son déclin. Je pense plutôt qu’il est temps de concevoir une autre approche comme dans toute économie. Si les paramètres de base du tourisme commencent à être obsolètes ou à ne plus produire davantage, il faut refaire la courbe et aller vers le point zéro, consistant à mettre des paramètres beaucoup plus fiables et qui sont d’époques. Tout le monde sait que le tourisme au Sénégal est obsolète et que là où cela a fleuri dans le passé, aujourd’hui il y a une érosion côtière qui a décimé complètement les plages. Et du balnéaire sans plage, cela n’existe nulle part au monde. Je crois donc qu’il est temps pour le pays de scruter d’autres horizons, d’autres conceptions du tourisme. Parce que le tourisme est en déclin et c’est complètement difficile de le régler parce qu’il a atteint ses limites quelque part. Il faut l’accepter. Et puis donner la chance aux générations futures, qui peuvent trouver quelque chose de dynamique, de viable et d’économiquement responsable.
Qu’attendez-vous donc du Conseil présidentiel sur le tourisme annoncé par le Président Macky Sall ?
S’il se tient, ce Conseil présidentiel, je pense que ce serait bien d’y impliquer Demba qui se trouve à Kédougou. Et que ce Demba là puisse y assister et donner son avis. Le tourisme, c’est une affaire de localité. Ce n’est pas une affaire de bureau. Il faut impliquer les localités. C’est mon souhait. Ensuite il n’y a pas longtemps, notre ministre de tutelle est allé rencontrer certains acteurs qui disent qu’ils ne voulaient pas d’assises du tourisme. Moi, je pense que c’est ce qu’il faut. Après le Conseil présidentiel, ce serait bien d’organiser des assises du tourisme comme tout pays touristique, parce que le tourisme de Saint-Louis n’est pas celui de Saly ni de Ziguinchor. Donc, ce serait bien d’organiser des assises pour discuter de tous les atouts et contraintes du secteur, mais aussi faire l’état des lieux. Je pense que si un technicien passe 3 jours à Ziguinchor pour diagnostiquer le secteur, c’est insuffisant pour pouvoir sortir un rapport sérieux. Parce que le tourisme est volatile, il n’est pas pareil d’un point à un autre. Par contre, je salue les déplacements du nouveau ministre du Tourisme, qui est en train de rencontrer les acteurs à leur base dans leurs localités, pour s’imprègne des réalités. Pour moi, l’équation ne va pas être la même pour résoudre les problèmes du secteur à Podor ou à Kafountine, quand on sait que l’environnement n’est pas le même, ni même les mentalités etc. Donc, on peut faire des rapports sur quelques bouts de papier. Ce qui serait bien, c’est que le président de la République aille dans le pays à la rencontre des enfants du pays qui sont dans le métier depuis très longtemps. C’est comme cela qu’il pourra rassembler des données qui lui permettront de voir sur quelles ficelles tirer pour résoudre l’équation du Sénégal en matière de tourisme.
Pensez-vous que la destination du Sénégal est toujours vendeuse ?
Je ne vais pas être hypocrite. Notre taux de retour est déjà très faible, c’est pourquoi nous sommes dans cette impasse. Pis, sont venus s’ajouter des contraintes comme Ebola et les visas. C’est pourquoi nous n’avons pas de clients. Je crois à la destination du Sénégal demain. Mais aujourd’hui, ce sera extrêmement difficile parce que nous avons des lacunes qui ne sont pas encore localement surmontées. Ce sont l’érosion côtière, Saly sans balnéaire, des campements et des petits hôtels vides à l’intérieur du pays. Il faudra donc réinjecter de l’argent pour les rénover et les embellir, avant de vouloir faire une promotion touristique. Et l’Agence de promotion touristique qui doit vendre la destination Sénégal ne peut pas avoir de résultats tangibles si tous ces aspects ne sont pas pris en compte. S’y ajoute que vendre la destination d’une manière assez institutionnelle, c’est un plus, mais cela ne peut pas avoir un impact global parce que le tourisme est une affaire de professionnalisme. Une affaire d’économie non étatique. C’est une affaire privée.
Êtes-vous optimiste quant à la relance du tourisme ?
Je suis optimiste parce que Dieu a fait qu’on a un pays qui est naturellement bien servi en matière de patrimoine touristique. Nous avons beaucoup de sites touristiques qui ne sont pas encore exploités. Nous avons beaucoup de valeurs à découvrir. C’est pourquoi d’ailleurs j’attire l’attention des autorités pour qu’elles veillent à ce que le patrimoine des Sénégalais, c’est-à-dire les terres, ne soit pas exploité d’une manière anarchique et individualiste, tel que relaté ces derniers jours dans les journaux. Dire qu’une personne a des centaines d’hectares pour faire des logements, surtout dans des zones où on peut développer une autre forme de tourisme demain, puisque celui qui existe est vieillissant, est inacceptable. Je voudrais bien qu’il y ait des investissements dynamiques pour notre pays, mais il faut savoir que sans patrimoine, il n’y aura pas de tourisme et le patrimoine, c’est la terre. C’est là où les ressources naturelles se trouvent et où l’économie locale peut se développer. Donc, il faut y veiller. Je suis optimiste que demain on pourra aller vers des zones jusqu’à présent inexploitées et Dieu sait que nous en avons au Sénégal. Nous avons aussi des personnes ressources qui sont capables de faire face à certaines contraintes dues à des mauvaises gestions du secteur, faites par certaines personnes qui monopolisent le secteur depuis des décennies. Cela aussi c’est un obstacle pour notre développement. Si aujourd’hui nous avons beaucoup régressé et que nous avons le dos contre le mur, c’est parce que ce sont ces mêmes personnes qui gèrent le tourisme depuis des décennies. C’est un obstacle pour notre développement. Je crois qu’il faut trouver du sang neuf. Il faut essayer de s’ouvrir à d’autres personnes ressources, des jeunes qui arrivent sur le marché avec d’autres compétences aussi modernes, fiables qu’efficaces. Avec ces jeunes-là, je suis optimiste.
Avez-vous d’autres solutions pour la relance du tourisme ?
Les solutions sont très simples. A part l’implication d’une nouvelle génération porteuse d’autres concepts innovants, il faut développer d’autres formes de tourisme, comme le tourisme social, les centres de vacances, mais aussi le tourisme religieux. Nous avons des sites religieux et une tradition religieuse qui font déplacer les gens comme dans d’autres pays. Nous pouvons surtout développer le tourisme intérieur, en favorisant et en promouvant le déplacement en famille des Sénégalais, avec les réalités financières et économiques de notre contexte. Parce que le contexte du tourisme sénégalais a été fait pour la famille européenne, qui prend ses vacances et qui n’a besoin que d’une chambre pour deux personnes maximum. Pourquoi ne pas développer des concepts qui prennent en compte le tourisme intérieur. Et pour cela, il faut qu’on donne la main et la voix aux acteurs et aux professionnels, parce que tous les gouvernements qui sont passés ici ont échoué dans cette politique de tourisme intérieur. Si on veut réussir ce genre d’innovation, il faut se faire à l’idée et accepter que le tourisme, c’est une économie non étatique.
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