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​Nationaux et citoyens français : l'autre débat

Mardi 26 Janvier 2016

Billet de 5000 francs (1945).
Billet de 5000 francs (1945).
Le débat sur la déchéance de nationalité fait rage en France depuis les attentats de novembre 2015. La Révolution est souvent invoquée pour fournir une définition du citoyen français, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen faisant figure de référence. En 1789, ont accès aux droits des citoyens tous les hommes blancs. Sont donc exclus les femmes, les enfants, les hommes non-blancs qu’ils soient libres ou esclaves. En 1792, les «hommes de couleur nés libre» peuvent à leur tour bénéficier de la pleine citoyenneté même s’il faut attendre la nouvelle déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 et la première abolition de l’esclavage en 1794 pour que tous les hommes habitant les colonies bénéficient de la citoyenneté française. En 1802, Napoléon choisit cependant de rétablir l’esclavage et ce n’est qu’en 1848 que l’esclavage est définitivement aboli dans les colonies françaises.

Deux princes indigènes ivoiriens, Adingra, chef Abron, et Kouagle, chef de Canton, assistent le 08 février 1951 à Abidjan, à l’inauguration du port de la capitale ivoirienne. La Côte d’Ivoire est devenue indépendante le 07 août 1960. Photo AFP
Deux princes indigènes ivoiriens, Adingra, chef Abron, et Kouagle, chef de Canton, assistent le 08 février 1951 à Abidjan, à l’inauguration du port de la capitale ivoirienne. La Côte d’Ivoire est devenue indépendante le 07 août 1960. Photo AFP
Cela ne veut pourtant pas dire que tous les habitants des colonies françaises vont alors bénéficier de la citoyenneté française. Le but affiché est de transformer les colonisés en Français. Il s’agit du principe de l’assimilation. L’histoire des Quatre Communes qu’étaient Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis situées au Sénégal actuel est révélatrice de cette politique. En théorie, leurs habitants n’étaient pas des citoyens mais des nationaux français de 1848 à 1916. Cela signifiait que tous les noirs ou les descendants d’union entre blancs et noirs disposaient de certains droits comme celui d’élire leur maire mais conservaient le droit civil musulman. Ils ne sont pas cependant devenus des citoyens à part entière avant 1916 grâce aux efforts de Blaise Diagne, premier député noir au Palais Bourbon. Dans le contexte de la première guerre mondiale, il s’agissait là de reconnaitre l’impôt du sang paye par les soldats de Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis. L’histoire de ces Quatre Communes est sans aucun doute une exception à l’échelle de l’empire français mais elle montre l’ambigüité permanente existant dans l’esprit des colonisateurs pour qui il existe tout d’abord des citoyens, c’est à dire des blancs mais aussi des nationaux, c’est à dire les non-blancs. La dimension raciale de cette différentiation juridique est évidente.
La même façon de séparer légalement les populations existait en Algérie. Le fait de résider dans un territoire envahi par la France ne conférait pas à ses habitants les droits donnés à ses citoyens en Europe. La question de statut personnel était bien plus importante. Napoléon III se disait bien à la fois empereur des Français et empereur des Arabes. Le résultat était que les colons étaient citoyens alors que les autres habitants de l’Algérie coloniale n’étaient que des sujets et des nationaux. Autre exemple de cette citoyenneté basée sur le statut personnel est l’octroi de la citoyenneté française à tous les juifs d’Algérie en 1870. Les distinctions basées sur les concepts du XIXe siècle de race et de religion étaient clairement au cœur de ces différentiations juridiques. Elles donneront ainsi naissance aux concepts de français de souche européenne et français musulmans d’Algérie.
Tout contredit cette politique d’assimilation dans les faits. Que ce soit dans le cadre juridique du travail (l’indigénat) ou simplement dans le traitement réservé aux populations colonisées, il existe une hiérarchie basée principalement sur la couleur de peau, la religion et le genre. Le discours sur l’assimilation fait au XXe siècle place à un discours plus axé sur celui du développement séparé. En d’autres termes, les populations non-européennes doivent être à la fois séparées mais aussi associées aux citoyens français pour être mieux guidées. En effet, les droits et autres avantages dont bénéficient les citoyens français seraient contraires à la culture des populations colonisées. Ce discours place les populations non blanches dans une situation d’infériorité permanente.
L’accession à la citoyenneté à part entière est en théorie possible. Seuls les notables dits « évolués » peuvent y prétendre s’ils remplissent un certain nombre de critères. Ainsi, il leur faut abandonner leur statut personnel, c’est à dire accepter le code civil tel qu’il est utilisé en métropole. Les conditions d’obtention de citoyenneté sont d’ordre moral et politique. Après avoir franchi de longues étapes administratives, les candidats à la citoyenneté doivent ainsi faire preuve de leur éducation et mode de vie à la française. Quelques rares personnes arrivent à franchir ce cap mais leur cas est anecdotique, la plupart de ceux qui ont tenté l’expérience se sont vus refuser la citoyenneté. De toute façon, l’écrasante majorité des colonisés n’a jamais essayé d’obtenir ce droit.
La seconde guerre mondiale change entièrement la donne. Les femmes en métropole acquièrent le droit de vote et deviennent des citoyennes à part entière. Uniquement composée d’administrateurs coloniaux, la conférence de Brazzaville de 1944 est souvent citée pour ses promesses concernant l’octroi de la citoyenneté à tous les habitants de l’empire. Il faut aussi noter que c’est sous l’impulsion de nombreux Africains comme Léopold Sédar Senghor que des débats sur l’extension des droits des peuples colonisés voient le jour. C’est finalement la loi Lamine Guèye du nom du député du Sénégal qui donne la citoyenneté à part entière à tous les habitants de l’empire colonial français en 1946.
L’empire a changé de nom et devient l’Union française. À une époque d’intense réflexion sur la forme que doit prendre cette union, le fait que tous les colonisés sont aussi des citoyens pose des questions sur le fonctionnement de l’empire. Les colonisés sont-ils devenus des citoyens de la France ou de l’Union française ? La nuance est en fait fondamentale puisqu’elle détermine la participation des députés des colonies aux débats en France ou dans leurs territoires respectifs. La loi-cadre de 1956 et la création de la Communauté en 1958 ne changeront pas la donne puisque cette nouvelle citoyenneté ne s’applique uniquement que dans chaque colonie. Ce que cette nouvelle citoyenneté a cependant donné est, le suffrage universel, un accès aux emplois dans l’administration dans chaque territoire et la liberté de circulation. Malgré les reformes successives, les différences entre citoyens français en France et citoyens dans l’empire colonial ne se sont donc jamais complètement effacées. La guerre d’Algérie en a été l’un des exemples les plus évidents.
La question de la couleur de peau, exprimée en termes ethniques, raciaux et religieux a toujours été présente dans la question de la citoyenneté française. Les citations de Charles de Gaulle ou de Nadine Morano sur la «race banche» dans des contextes différents en sont une conséquence directe. A nous de relire l’histoire de la colonisation et celle de la décolonisation pour comprendre que la France s’est dejà posée la question de la nature de la citoyenneté et que ces débats doivent apparaitre explicitement aujourd’hui. Les ignorer revient à croire que la Révolution française avait déjà tout inventé et tout résolu.

Liberation.fr


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