Le Sénégal a un calendrier œcuménique. Ce qui se fait chez nous en matière de fêtes religieuses ne se fait ni au siège d’Al Azar, au Caire, ni dans la capitale de la Chrétienté, Rome. Notre pays est certainement le seul au monde à ériger en jours fériés, chômés et payés, toutes les dates commémoratives de tous les grands évènements musulmans (Tamkharit, Maouloud, Korité, Tabaski ) et chrétiens (Pâques, Ascension, Pentecôte, Assomption, Toussaint, Noël). Qu’importe que 9/10 de la population soient incapables d’expliquer le sens ou la signification de certaines d’entre elles, chez nous la règle c’est que toute fête légale donne obligatoirement droit à un congé payé, ce qui est loin d’être une loi universelle. Nous avons tellement de fêtes religieuses que certains de nos hôtes, ambassades ou institutions internationales, ainsi que la grande majorité des travailleurs indépendants ignorent royalement certaines d’entre elles.
A ces fêtes religieuses s’ajoutent des fêtes à caractère laïc : le Jour de l’An, la fête nationale, la Fête du Travail ! Au total donc, treize jours de vacances auxquels il faudrait ajouter les fêtes concédées en cas de désaccords, fréquents, dans la communauté musulmane, les « ponts » généreusement jetés entre certaines fêtes et les week-ends qui les suivent ou les précèdent. Sans compter, enfin que du fait du caractère lunaire du calendrier islamique, une fête musulmane peut être commémorée deux fois dans la même année civile !
Bref, une année au Sénégal peut compter près d’une vingtaine de jours légalement chômes et payés.
Déséquilibre…
La première incohérence de ce calendrier c’est son déséquilibre et son parti pris. C’est en réalité un calendrier colonial, extraverti, calqué sur celui de la France et que l’on conserve comme une relique du passé. L’un des signes de cette anomalie c’est que jusqu’à une date relativement récente, la Tamkharit, qui commémore les débuts de l’année musulmane, n’était pas reconnue au Sénégal comme une fête légale. Mais si la France a remis en cause ses fêtes religieuses, transformant par exemple le lundi de Pentecôte en journée fériée mais non chômée pour venir en aide aux personnes âgées et aux handicapés, le Sénégal reste cramponné à l’héritage qu’elle lui a laissé ! En ne tenant pas compte d’un rapport des forces et d’un contexte socioculturel très différents de ceux de notre ancienne métropole, notre calendrier crée une distorsion injustifiable au regard de l’équilibre démographique.
Cela se traduit par la légalisation de six fêtes chrétiennes contre 4 musulmanes, alors que selon des estimations, il est vrai jamais justifiées, la communauté chrétienne ne représenterait que 5 à 6 % de la population. C’est une situation que l’on ne retrouve nulle part en Afrique puisque des pays qui, comme le Mali ou la Gambie ont, approximativement, la même répartition religieuse que notre pays ne s’alignent pas sur notre calendrier et que ceux qui, comme le Gabon ou le Kenya, sont dans la situation inverse n’accordent pas à leur composante musulmane les privilèges que le Sénégal accorde à sa minorité chrétienne. Cette disparité n’est même pas une exigence des Chrétiens, ce sont en réalité les gouvernants qui n’ont jamais eu le courage de mettre en chantier une véritable réforme de notre calendrier.
Excès de zèle…
Mais ce calendrier a aussi la particularité de faire preuve d’un zèle religieux que l’on ne retrouve, paradoxalement, ni dans le monde arabo-musulman ni surtout dans des pays de vieille et profonde culture chrétienne. Aux Etats-Unis et au Canada, où le lundi de Pâques est un jour comme un autre, dans le nord de l’Europe et particulièrement dans les pays scandinaves, dont les drapeaux portent pourtant le signe de la croix, ni l’Ascension ni la Toussaint, par exemple, ne donnent droit à des congés payés .Même dans les pays européens qui restent les bastions du catholicisme, comme la Pologne, l’Irlande, l’Espagne ou l’Italie, il y a moins de fêtes chrétiennes chômées et payées qu’au Sénégal. Ainsi, l’Espagne, célèbre par la ferveur exceptionnelle de ses processions religieuses, et l’Italie qui abrite le Vatican, ne fêtent pas le lundi de Pentecôte, pas plus que l’Irlande ou la Pologne ne chôment le jour de l’Ascension.
Pour faire bonne mesure signalons enfin que dans certains pays très majoritairement musulmans, comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, laTamkharit ou le Maouloud ne donnent pas lieu nécessairement à des jours fériés.
L’intrusion des politiques
C’est enfin un calendrier qui est devenu un enjeu démagogique et de surenchère politique. Le projet d’ériger la date du Magal en une 11e fête religieuse, chômée et payée, n’est pas une initiative des religieux, il a été porté d’abord par des politiques, dont certains ne sont même pas d’obédience mouride, tous plus préoccupés de plaire aux marabouts mourides que d’inciter les Sénégalais au travail. Il est évidemment plus facile d’ajouter une bouture à un tronc déjà surchargé que de s’attacher à mettre au point un arbre sain et amélioré.
Cette initiative, sans risque car pouvant s’appuyer sur la menace concentrationnaire qui pèse sur nos épaules, pourrait ouvrir la boite de Pandore, sans même la garantie de répondre à l’attente de ses initiateurs. Si le projet était conduit à terme, ce serait la première fois qu’une fête légale est surajoutée au calendrier, non au profit de l’ensemble d’une communauté de croyants, mais à celui d’un segment, important certes mais parcellaire, de l’une des deux composantes religieuses du pays. Il pourrait faire jurisprudence et il n’est pas exclu qu’un jour une autre confrérie, voire une portion de confrérie, invoquent les mêmes raisons et réclament les mêmes privilèges.
Enfin ce projet ne tient pas compte de cette réalité qui est que, contrairement aux autres fêtes religieuses musulmanes, le Magal, qui sera célébré à deux reprises au cours de l’année 2013, n’est pas un évènement domestique qui se fête à la maison. Il impose des déplacements, plus ou moins longs, vers une même destination et se satisfait rarement d’un seul jour de liberté. Sans compter que la très grande majorité de ceux qui y participent ne sont pas des salariés du public, mais des travailleurs indépendants qui n’ont nul besoin de dispositions légales, qu’ils ne respectent d’ailleurs pas souvent pour d’autres fêtes religieuses .Le Magal n’a pas besoin et ne se suffit pas d’un jour de vacance et il aurait été plus judicieux d’ organiser et de garantir l’octroi de permissions déductibles du congé. En revanche le seul jour de liberté accordé pour commémorer une fête aussi éprouvante et disputée que la Tabaski mérite un débat.
Elargir…sans accroitre
Comme on le voit, le véritable enjeu ce n’est pas d’ajouter une fête à nos fêtes, mais de conduire une véritable réflexion sur le sens et le nombre de jours chômés, respectueuse de la diversité des croyances et dont les conclusions seraient compatibles avec une économie en développement. Notre calendrier festif ne fait pas assez de place à des évènements ou des symboles non religieux et qui dans un pays en construction peuvent être aussi des occasions de recueillement, de fraternité, donc de fête. C’est donc en fonction d’une double exigence, élargir sans accroitre, que nous devons procéder à sa réforme.
Si nous ne nous contentons que d’allonger la liste déjà longue de nos fêtes religieuses, nous ne ferons que renforcer l’idée que notre pays s’éloigne des principes de laïcité qui sont un des fondements de sa constitution. L’érection du Magal en fête légale chômée et payée ne donne pas la garantie que les absences seront mieux gérées, mieux contrôlées, mais, surtout, en portant à un niveau qui n’est atteint nulle part ailleurs le nombre de journées chômées et payées, elle s’inscrit en faux contre le culte du travail exalté par celui que l’on prétend honorer !
Sudquotidien
A ces fêtes religieuses s’ajoutent des fêtes à caractère laïc : le Jour de l’An, la fête nationale, la Fête du Travail ! Au total donc, treize jours de vacances auxquels il faudrait ajouter les fêtes concédées en cas de désaccords, fréquents, dans la communauté musulmane, les « ponts » généreusement jetés entre certaines fêtes et les week-ends qui les suivent ou les précèdent. Sans compter, enfin que du fait du caractère lunaire du calendrier islamique, une fête musulmane peut être commémorée deux fois dans la même année civile !
Bref, une année au Sénégal peut compter près d’une vingtaine de jours légalement chômes et payés.
Déséquilibre…
La première incohérence de ce calendrier c’est son déséquilibre et son parti pris. C’est en réalité un calendrier colonial, extraverti, calqué sur celui de la France et que l’on conserve comme une relique du passé. L’un des signes de cette anomalie c’est que jusqu’à une date relativement récente, la Tamkharit, qui commémore les débuts de l’année musulmane, n’était pas reconnue au Sénégal comme une fête légale. Mais si la France a remis en cause ses fêtes religieuses, transformant par exemple le lundi de Pentecôte en journée fériée mais non chômée pour venir en aide aux personnes âgées et aux handicapés, le Sénégal reste cramponné à l’héritage qu’elle lui a laissé ! En ne tenant pas compte d’un rapport des forces et d’un contexte socioculturel très différents de ceux de notre ancienne métropole, notre calendrier crée une distorsion injustifiable au regard de l’équilibre démographique.
Cela se traduit par la légalisation de six fêtes chrétiennes contre 4 musulmanes, alors que selon des estimations, il est vrai jamais justifiées, la communauté chrétienne ne représenterait que 5 à 6 % de la population. C’est une situation que l’on ne retrouve nulle part en Afrique puisque des pays qui, comme le Mali ou la Gambie ont, approximativement, la même répartition religieuse que notre pays ne s’alignent pas sur notre calendrier et que ceux qui, comme le Gabon ou le Kenya, sont dans la situation inverse n’accordent pas à leur composante musulmane les privilèges que le Sénégal accorde à sa minorité chrétienne. Cette disparité n’est même pas une exigence des Chrétiens, ce sont en réalité les gouvernants qui n’ont jamais eu le courage de mettre en chantier une véritable réforme de notre calendrier.
Excès de zèle…
Mais ce calendrier a aussi la particularité de faire preuve d’un zèle religieux que l’on ne retrouve, paradoxalement, ni dans le monde arabo-musulman ni surtout dans des pays de vieille et profonde culture chrétienne. Aux Etats-Unis et au Canada, où le lundi de Pâques est un jour comme un autre, dans le nord de l’Europe et particulièrement dans les pays scandinaves, dont les drapeaux portent pourtant le signe de la croix, ni l’Ascension ni la Toussaint, par exemple, ne donnent droit à des congés payés .Même dans les pays européens qui restent les bastions du catholicisme, comme la Pologne, l’Irlande, l’Espagne ou l’Italie, il y a moins de fêtes chrétiennes chômées et payées qu’au Sénégal. Ainsi, l’Espagne, célèbre par la ferveur exceptionnelle de ses processions religieuses, et l’Italie qui abrite le Vatican, ne fêtent pas le lundi de Pentecôte, pas plus que l’Irlande ou la Pologne ne chôment le jour de l’Ascension.
Pour faire bonne mesure signalons enfin que dans certains pays très majoritairement musulmans, comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, laTamkharit ou le Maouloud ne donnent pas lieu nécessairement à des jours fériés.
L’intrusion des politiques
C’est enfin un calendrier qui est devenu un enjeu démagogique et de surenchère politique. Le projet d’ériger la date du Magal en une 11e fête religieuse, chômée et payée, n’est pas une initiative des religieux, il a été porté d’abord par des politiques, dont certains ne sont même pas d’obédience mouride, tous plus préoccupés de plaire aux marabouts mourides que d’inciter les Sénégalais au travail. Il est évidemment plus facile d’ajouter une bouture à un tronc déjà surchargé que de s’attacher à mettre au point un arbre sain et amélioré.
Cette initiative, sans risque car pouvant s’appuyer sur la menace concentrationnaire qui pèse sur nos épaules, pourrait ouvrir la boite de Pandore, sans même la garantie de répondre à l’attente de ses initiateurs. Si le projet était conduit à terme, ce serait la première fois qu’une fête légale est surajoutée au calendrier, non au profit de l’ensemble d’une communauté de croyants, mais à celui d’un segment, important certes mais parcellaire, de l’une des deux composantes religieuses du pays. Il pourrait faire jurisprudence et il n’est pas exclu qu’un jour une autre confrérie, voire une portion de confrérie, invoquent les mêmes raisons et réclament les mêmes privilèges.
Enfin ce projet ne tient pas compte de cette réalité qui est que, contrairement aux autres fêtes religieuses musulmanes, le Magal, qui sera célébré à deux reprises au cours de l’année 2013, n’est pas un évènement domestique qui se fête à la maison. Il impose des déplacements, plus ou moins longs, vers une même destination et se satisfait rarement d’un seul jour de liberté. Sans compter que la très grande majorité de ceux qui y participent ne sont pas des salariés du public, mais des travailleurs indépendants qui n’ont nul besoin de dispositions légales, qu’ils ne respectent d’ailleurs pas souvent pour d’autres fêtes religieuses .Le Magal n’a pas besoin et ne se suffit pas d’un jour de vacance et il aurait été plus judicieux d’ organiser et de garantir l’octroi de permissions déductibles du congé. En revanche le seul jour de liberté accordé pour commémorer une fête aussi éprouvante et disputée que la Tabaski mérite un débat.
Elargir…sans accroitre
Comme on le voit, le véritable enjeu ce n’est pas d’ajouter une fête à nos fêtes, mais de conduire une véritable réflexion sur le sens et le nombre de jours chômés, respectueuse de la diversité des croyances et dont les conclusions seraient compatibles avec une économie en développement. Notre calendrier festif ne fait pas assez de place à des évènements ou des symboles non religieux et qui dans un pays en construction peuvent être aussi des occasions de recueillement, de fraternité, donc de fête. C’est donc en fonction d’une double exigence, élargir sans accroitre, que nous devons procéder à sa réforme.
Si nous ne nous contentons que d’allonger la liste déjà longue de nos fêtes religieuses, nous ne ferons que renforcer l’idée que notre pays s’éloigne des principes de laïcité qui sont un des fondements de sa constitution. L’érection du Magal en fête légale chômée et payée ne donne pas la garantie que les absences seront mieux gérées, mieux contrôlées, mais, surtout, en portant à un niveau qui n’est atteint nulle part ailleurs le nombre de journées chômées et payées, elle s’inscrit en faux contre le culte du travail exalté par celui que l’on prétend honorer !
Sudquotidien